Profession Consultant
Novembre 2005 Interview
Emmanuel Carray, Consultant Segime (Groupe Altran Technologies) intervenant auprès de Renault F1 Team Quand on est un jeune ingénieur et que l’on a choisi de débuter sa carrière dans une grande société de conseil, rejoindre une écurie de Formule 1 est certainement l’événement auquel on s’attend le moins. C’est pourtant ce qui est arrivé à Emmanuel Carray, qui loin d’être au départ un mordu de sports mécaniques, s’est découvert une passion aux côtés d’une des plus prestigieuses écuries de Formule 1. Rencontre avec un consultant passionné... Une partie de l'équipe de Consultants d'Altran Technologies intervenant auprès de Renault F1 Team à Viry Chatillon. Image: B. Villeret, Quantorg 2005 Emmanuel Carray, vous êtes consultant Segime, filiale du groupe Altran. Il y a quelques années vous êtes arrivé un beau jour dans cette même salle où nous nous trouvons aujourd’hui pour un premier rendez-vous avec votre futur "client ". Depuis vous avez fait du chemin puisqu’ensemble vous avez gagné le Championnat du Monde des Constructeurs de Formule 1, une première dans l’histoire des sociétés de conseil. Avant d’aborder les mille et un détails de cette formidable aventure, peut-on savoir Emmanuel Carray qui êtes-vous? Emmanuel Carray : J’ai suivi une formation d’ingénieur généraliste en mécanique à l’ENSI de Valenciennes (ENSIAME , ex ENSIMEV) avec pour spécialités la Mécanique des Fluides et l’Energétique. Après ma formation je suis entré directement chez Altran où j’ai maintenant 7 ans d’expérience terrain en clientèle. J’ai eu le plaisir au début d’intervenir notamment 3 ans chez PSA Peugeot Citroën sur des problématiques de moteurs de série, à savoir l’injection directe essence et la suralimentation de moteurs Diesel. Après ce fût l’aventure Renault F1 Team. Et donc là un beau jour le téléphone sonne... Emmanuel carray : Un matin, Claude Emmanuel Boisson, Chief Technology Officer d’Altran, me contacte pour une mission chez Renault F1 Team. J’ai évidemment dit oui tout de suite, même s’il faut bien reconnaître que je n’étais pas spécialement, à l’époque, un mordu de sport automobile. Claude Emmanuel avait sollicité plusieurs personnes, le contrat avec Renault F1 Team prévoyant l’intervention d’une équipe de 15 consultants sur différents sujets. J’étais affecté sur mon domaine : la simulation de l’aérodynamique interne du moteur. Jusque là ce n’était qu’un coup de fil. On imagine votre discussion avec Claude Emmanuel Boisson puis votre première rencontre avec votre client. Comment ces événements vous apparaissent-ils aujourd’hui? Emmanuel Carray : J’ai d’abord rencontré Claude Emmanuel qui m’a exposé ses besoins et son point de vue. Son rôle était de choisir les personnes qui pouvaient aider au mieux le team Renault d’un point de vue scientifique sur des technologies que nous maîtrisions. De là nous avons ensemble rencontré le partenaire et tout a bien fonctionné pour moi. Certains auraient fait des bonds au plafond. Vous semblez garder un certain calme par rapport à tout ces événements. Emmanuel Carray : Je suivais la F1 de loin mais je n’étais pas fondu de sport automobile. Toutefois, j’ai été "super emballé " et l’appel téléphonique a été une réjouissance pour moi. Mais sachez, qu’étonnamment, certains consultants ont décidé de ne pas répondre à la demande de Claude Emmanuel pour se concentrer, par choix de carrière, vers d’autres secteurs d’activité. Donc Claude Emmanuel Boisson vous retient et vous allez ensemble à Viry Chatillon, un temple de la technologie automobile... le doute s’est-il installé en vous à ce moment là? Emmanuel Carray : même si ça date un peu maintenant, je crois me souvenir que je n’étais pas particulièrement tendu en arrivant à Viry-Châtillon. Bien sûr c’était l’antre de la F1 française, mais j’ai abordé ce premier entretien comme je l’aurais fait pour toute autre mission. Objectif : faire de mon mieux en prouvant à notre futur partenaire que j’avais les compétences à retenir. Et là vous êtes retenu. Comment se passe votre intégration, sachant que vous restez tout de même un prestataire extérieur plutôt porté à développer des spécialités scientifiques qui ne sont pas encore de l’ordre de la routine pour votre client? Emmanuel Carray : Au sein du Team Renault, il existe un formidable esprit d’équipe : du chef de projet au technicien, tout le monde se parle, tout le monde s’écoute, tout le monde se tutoie. Ce n’est pas pour rien que l’on parle du Team Spirit ! En effet c'est écrit en grand sur la voiture de course... Cette ambiance était sûrement propice à votre intégration. N’aviez-vous pas eu tout de même quelques doutes ? Beaucoup d’ingénieurs en savaient plus long que vous sur le design d’un moteur... Emmanuel Carray : Je savais que j’allais épauler des spécialistes qui avaient pour certains jusqu’à 20 ans d’expérience en moteurs de course. Ce n'était évidemment pas moi qui allait leurs expliquer comment développer et améliorer le V10. Au niveau technologique, j’ai été dans le bain d’amblé. Pour l’intégration il y a eut une petite réticence de la part des membres de Renault F1 Team par rapport à nous qui étions des experts extérieurs, même si tout avait été calé au niveau des accords de confidentialité. Lorsque l'on est ingénieur, on passe son temps à rechercher, à comprendre, donc on pose des questions, et au début je sentais clairement une réticence à répondre, ce qui était, je ne vous le cache pas, terriblement frustrant. Mais avec les bons travaux de l’équipe Altran, la confiance s’est installée, et désormais on travaille vraiment main dans la main, en parfaite adéquation. C’est désormais un plaisir pour Renault F1 Team et Altran d’avancer ensemble. Quinze consultants Altran sur une équipe moteur qui compte pas loin de 250 personnes, cela n’a-t-il pas favorisé une tendance à rester entre " Altran’s "? Emmanuel Carray : Cette tendance n’est pas observée, même si cela nous arrive de passer du temps ensemble. La bonne intégration passe avant tout. Qu’est-ce qui différencie le travail que vous faites chez Renault F1 Team de celui que vous avez eu avec d’autres clients? Emmanuel Carray : Dans nos spécialités la référence en général c’est l’aéronautique et le spatial. Ici c’est différent, les temps de développement peuvent être très courts : quand on propose une solution, la chaîne de validation est très courte. C’est vraiment le point le plus intéressant pour nos métiers d’ingénieur. Entrons donc dans les détails si cela n’est pas trop confidentiel. Peut-on préciser ce qu’a été votre travail ? Emmanuel Carray : On m’a confié la réalisation de simulations sur l’aérodynamique du moteur. Il s’agit, pour les non initiés, de modéliser les phénomènes physiques liés aux écoulements d’air à travers le moteur, à l’injection de carburant et la préparation du mélange air/essence, à la combustion et enfin à l’échappement des gaz brûlés. Les parties concernées vont de la prise d’air, située au dessus du casque du pilote à la sortie échappement, en passant par les trompettes, conduits d’admission, chambre de combustion, conduits et ligne d’échappement. Mon travail principal est une recherche permanente des meilleures géométries de manière à enfermer un maximum d’air pour un maximum de puissance. Pour cela, je m’appuie sur des codes de calculs et des moyens informatiques performants qui me permettent de répondre aux projets dans des laps de temps acceptables. Comment résumer la valeur ajoutée apportée par votre travail pour nos lecteurs qui ne sont pas tous scientifiques? Emmanuel Carray : Mon travail consiste à comparer des configurations qui n’existent pas forcément physiquement. Un premier tri permet de ne vérifier par essais que les meilleures " config ". Cela va dans le sens de la réduction des délais et des coûts. D’où les cycles de validation courts que vous nous indiquiez. Peut-on les évaluer? Emmanuel Carray : Nous travaillons à la fois sur des évolutions à court terme pour le moteur de l’année en cours, mais également pour le moteur de la saison suivante. Ainsi, pour des évolutions légères, dessins, simulations, fabrication, essais et validations peuvent prendre moins de deux semaines. Dans ce cas, les modifications sont appliquées dès le prochain Grand Prix. Une évolution lourde ne peut être envisagée si rapidement. Elle peut demander plusieurs mois de développement. Dans ce cas, elle devient applicable sur le moteur de la saison suivante. Au delà je ne peux en dire plus. Et tout cela pour la seule dimension gazeuse, mais il semble que vous ayez aussi à votre charge les simulations pour les parties liquides du moteur. Qu'en est-il? Emmanuel Carray : En effet ce que je viens de décrire est ma principale activité. Je m’occupe également des simulations de pompes à eau et circuits de refroidissement du moteur, pour la partie mécanique des fluides, ainsi que de la modélisation thermique. Que dire de la charge de travail. On imagine un rythme soutenu et des coups de feu. Qu’en est-il? Emmanuel Carray : Oui tout à fait. La charge est variable, et de temps à autre, des coups de collier sont à donner : il faut être là. La densité de travail peut être grande, mais globalement le niveau stress est loin d’être insupportable. Le travail d’équipe et la réactivité du personnel permettent très bien de faire face aux problématiques. Cela dit vos voitures n’ont pas toujours gagné. Que dire de l’ambiance quand ça va mal ? Emmanuel Carray : On n’a pas toujours franchi la ligne. L’abandon sur casse est la plus grosse déception. Mais généralement cette baisse de moral s’estompe rapidement : on connaît rapidement ce qui a fait défaut, souvent même avant que les moteurs ne reviennent à Viry Châtillon. Les experts statuent et corrigent. Le moral revient alors vite avec l’approche du GP suivant. Comment s’est passée la dernière course qui a vue la marque au losange remporter le championnat constructeur en plus du championnat des pilotes déjà acquis par Alonso? Emmanuel Carray : Quelque soit l’heure d’un Gand Prix, j’essaie d’être soit à Viry Châtillon soit à l’Atelier Renault sur les Champs Elysées. Pour la dernière manche du championnat j’étais à l’Atelier qui était à cette occasion réservé aux gens de Viry. Il y avait là Patrick Tambay et Daniel Perrier pour RMC Info. L’ambiance était explosive. Il fallait finir 1er et 4ème. Si l’une des deux voitures s’arrêtait on perdait le championnat constructeur. Il fallait donc "et" gagner "et" placer la seconde voiture. La course a été pleine de rebondissements et de tension jusqu’au franchissement de la ligne d’arrivée. Là ce fut la liesse. On l’a prolongée à notre manière en portant haut les couleurs du Renault F1 Team sur le parcours des 20 Km de Paris en course à pied … Voilà donc des consultants heureux et plutôt en forme. Toutefois, tous les contrats ont une fin et les missions de conseil aussi. Quand la votre sera terminée ne serez-vous pas tenté de rester chez Renault F1 Team? Emmanuel Carray : Nos métiers technologiques sont passionnants. La question peut se poser pour certains et c’est tout à fait légitime. D’autres, au contraire, préfèrent changer régulièrement d’horizons et se donner de nouveaux objectifs. Personnellement, je ne répondrai pas à votre question. Ce qui est sûr, c’est que dans tous les cas, je continuerai à suivre le Team en m’imaginant bien, pour l’avoir vécu, ce qui se passe en coulisses … Propos recueillis par Bertrand Villeret Rédacteur en Chef, ConsultingNewsLine Pour Info: www.altran.net Copyright Quantorg 2005 pour ConsultingNewsLine All rights reserved Reproduction interdite |
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