Le Point  Janvier 2005  

Capgemini
Evolution de l'organisation:
Pierre Hessler nous explique


Le congrès de l’AMCF à New York était l’occasion idéale pour Pierre Hessler, Censeur de Capgemini, de faire le point avec nous sur la fusion entre Cap Gemini et Ernst & Young et de présenter l’évolution de l’organisation du leader européen du conseil en informatique sur près de quatre décennies. L'occasion aussi de donner son point de vue sur les événements boursiers les plus récents

Serges Kampf a fondé à Grenoble la Sogeti en 1967. Quelque 37 années plus tard cette petite société issue d’une ville provinciale qui préparait timidement les jeux olympiques est devenue le groupe international que l’on sait, et le Leader du conseil informatique en Europe, avec un siège à Paris et une direction américaine à New York. Mai 2000 voit le groupe français prendre le contrôle de l’activité conseil d’Ernst & Young et devenir au passage un des Big 5 du conseil aux côtés de Deloitte,  IBM  PWC et le futur Accenture. Dès 2002 Cap Gemini Ernst & Young (CGE&Y) représente déjà 50 000 personnes dans le monde pour un CA de 7,047 Milliards d’Euros. Comment une société régionale en est-elle arrivée à un tel niveau de succès est un sujet qui intéresse plus d’un consultant et comment une SSII française a-t-elle  bien pu intégrer un leader du conseil anglo-saxon restait pour les membres de l’AMCF, majoritairement américains, un véritable sujet de curiosité. Le 57ème meeting de l’AMCF était donc l’occasion idéale que pour faire le point sur le sujet, et ce d’autant plus logiquement que Lanny Cohen, un des Vice Présidents de CGE&Y à New York, en était le Chairman. Initialement Paul Hermelin, CEO de CGE&Y, était «booké» pour cet exercice périlleux. Mais le «contrat du siècle» avec l’ Inland Revenue britanique par lequel CGE&Y devait ravir un marché de 3 milliard d’Euros au nez et à la barbe d’EDS et d’Accenture, le retenait en Europe. Aussi c’est Pierre Hessler, censeur dans le Conseil d’Administration de CGE&Y qui allait s’acquitter de cet exercice difficile pour le plus grand plaisir de tous. Dans un anglais impeccable il allait captiver une salle entière par un discours rythmé et ponctué d’un humour tout ce qu’il y a de plus européen. Après notre rencontre avec Pierre Hessler au Hyatt Regency de Park Avenue lors de ce 57ème meeting, Cap Gemini Ernst & Young changeait de nom et devenait Capgemini. Le changement de nom puis plus récemment le repli de l’action Capgemini étaient l’occasion de revoir Pierre Hessler un an plus tard rue de Tilsit pour se remémorer l’évolution de l’organisation, clore le dossier Ernst & Young et faire le point sur les événements les plus récents, tant en France qu’aux USA où il passe une bonne partie de son temps. Interview


Pierre Hessler, Cap Gemini Ernst & Young clôt son cycle d’évolution en devenant  Capgemini.  Une conversion attendue je crois ?

Pierre Hessler: Au moment de la fusion la SEC (Securities Exchange Commission) avait autorisé l’emploi du nom Ernst & Young jusqu'à la mi-2004, aussi il fallait s’attendre à une évolution du nom. En 2000, le nom d’Ernst & Young était hyper porteur sur le marché US. Aujourd’hui ça s’est retourné. Il y a perte d‘image pour tout ce qui touche l’audit, notamment aux USA. Aussi il fallait éviter cette confusion dans l’intérêt du client qui d’ailleurs nous le demandait. 


Nous reviendrons sur cet aspect US, lequel semble avoir contribué au repli du cours de l’action récemment. Mais avant d’aborder cette actualité peut-on résumer pour nos lecteurs votre discours sur l’évolution de l’organisation de Capgemini, tel que vous l’aviez présenté lors du 57ème meeting de l’AMCF ?

Pierre Hessler: Bien sûr, d’autant que cela permet de comprendre les évolutions actuelles. Tout d’abord il y a le modèle de l’agence. C’est le modèle d’origine du Groupe, adopté il y a 35 ans pour Cap Gemini Sogeti. Inventé par Serge Kampf, il est resté «Le» modèle pour l’industrie des services français pendant 25 ans. Dans ce modèle une agence compte entre 50 et 200 personnes. La vente et la livraison des services sont sous la responsabilité du patron de l’agence. Pour une région et un marché défini, l’agence gère son profit et son commercial. Dès lors l’entreprise est un ensemble d’agences et managée comme un tout, notamment d’un point de vue financier.


Cette structuration responsabilise les équipes mais ne favorise guère les synergies sur un plan international.

Pierre Hessler: C’est pour cela qu’un deuxième modèle est apparu, créé en 92-93, notamment à la suite de nombreuses acquisitions. Hoskyns au Royaume-Uni, Volmac en Hollande, Programator en Suède. Dés lors le Groupe a compté 15 000 personnes et a comporté des sociétés déjà structurées. On a atteint la limite ! Il fallait pouvoir opérer une transformation et une globalisation du Groupe au niveau de l’offre et du développement des compétences. C’est ainsi qu’en 93-94 Gemini Consulting a aidé la direction à créer une structure plus sophistiquée proposant partout les mêmes offres avec les mêmes processus de vente et delivery. Ce « modèle II » a fort bien fonctionné jusqu’en l’an 2000.


Là on peut imaginer que l’obligation faite aux sociétés d’audit de séparer leurs activités de conseil a fait figure d’opportunité afin de renforcer le Conseil qui donne un  accès aux DG des grands groupes mondiaux ?

Pierre Hessler: En quelque sorte. Annoncé en mai 2000 à l’occasion du rachat d’Ernst & Young Consulting par Cap Gemini le « modèle III » a été l’instrument de cette fusion. Ce modèle associe l’existant avec le Global Account Management d’Ernst & Young ainsi qu’une structure matricielle « Offre client/ Secteur géographique ». C’est donc un modèle assez complexe, visant la croissance et l’arrivée de nouvelles offres. Malheureusement les problèmes du marché de l’informatique sont apparus peu après… Le modèle s’est avèré trop lourd à gérer dans un marché en régression. D’où une série de simplifications et une révision complète en septembre 2002.


Une structuration telle que celle des grandes firmes de conseil proposant des services se serait-elle dés lors imposée?

Pierre Hessler:  Quand ça va mal il faut simplifier ! La direction a structuré l’organisation en 3 activités : le Conseil, la Technologie et l’Outsourcing. Sous pression économique, il faut gérer ces métiers selon leur modèle économique propre. De plus certains  clients en période difficile souhaitent  «acheter en morceaux». Comme le conseil a pris un volume considérable avec le rachat d’Ernst & Young, que la Technologie reste très importante et que l’Outsourcing se dévelope, les gérer en tant que tels est apparu indispensable – compétences, taux d’utilisation, structures de coûts, salaires... Bien entendu, l’accès au marché reste placé sous l’angle sectoriel, qui est celui des clients.


Mais cela a conduit à des départs, notamment chez les consultants. Que peut-on en dire ?

Pierre Hessler: Il y a eu des pertes en ligne, très clairement – comme lors de toute fusion. Mais ce ne sont pas des pertes dues à des redondances, sauf pour le Staff Support. La fusion est arrivée au moment du ralentissement de nos marchés. Après l’euphorie, l’après 2000 et l’éclatement de la bulle Internet ont réduit l’attrait de la branche. Ceux  qui ne se sentaient pas à l’aise ont été plus susceptibles d’être attirés ailleurs, souvent chez des clients – un phénomène plus important que dans les années 90. Dans la réalité du terrain la fusion s’est faite par pays, souvent sans grande difficulté. Il y en a où cela s’est moins bien passé et où l’énergie dépensée a manqué sur le marché.


Donc un remaniement quelques fois difficile et la mise en place d’une structure selon 3 activités. Comment dés lors avez-vous assuré la gestion financière de cet ensemble ?

Pierre Hessler:  Avec la structure par métiers ou disciplines – Conseil, Technologie, Outsourcing, sans oublier les services professionnels de proximité de Sogeti-Transiciel, importants et profitables - le Groupe a radicalement simplifié la gestion des pertes et profits. Les P&Ls (Profit & Loss) n’existent plus que dans cette dimension, avec normalement un P&L par métier et par pays. Ceci ne signifie bien sûr pas que les aspects sectoriels ou les grands clients soient négligés, mais ils ne sont pas des P&Ls : la gestion devient beaucoup plus transparente, sans les conflits d’interprétation des problèmes de chaque cellule de la matrice… Notons aussi la séparation en Europe de l’outsourcing (il faut gérer une production internationale) et la division de ce continent en deux grandes entités, grosso modo le Nord et le Sud.


La fusion était une opportunité historique mais était-ce stratégiquement si nécessaire ?

Pierre Hessler: Certains ont pensé que l’acquisition d’Ernst & Young était une erreur. Ce n’est pas mon avis ! Avant la fusion, le Groupe était modestement représenté sur des marchés-clé  tels que les USA ou l’Allemagne. En Amérique du Nord, 3000 personnes, et nous n’étions pas «haut de gamme». Ce que l’on a atteint grâce à la fusion n’aurait pas pu se faire de manière organique. D’une manière plus générale, la puissance du conseil associée aux forces de frappe technologique et d’externalisation permet au Groupe de lutter à armes égales avec les plus grands et chez les plus grands clients – il est membre d’un club dont les membres se comptent sur moins que les doigts d’une main… 


La France a cette capacité à créer des leaders, Lafarge, Bouygue, Airbus, Cap Gemini... Comment positionnez-vous Capgemini  par rapport au phénomène d’Offshoring?

Pierre Hessler: Pour pouvoir délocaliser la production où c’est nécessaire, il faut disposer d’une taille suffisante. Ceci explique les difficultés actuelles et à venir des acteurs locaux.


Cette composante est-elle réalisée dans des pays à faible coût de main d’œuvre ?

Pierre Hessler: «Offshore» est un terme trop général, nous lui préférons l’expression «Rightshore» : le travail se fait où il doit se faire, c'est-à-dire là où les besoins du client en termes de proximité, de langue, de productivité et de connaissances peuvent être satisfaits au meilleur coût. Bien des services demandent un contact direct et quotidien, d’autres peuvent être produits dans le même pays, mais dans des régions moins onéreuses que la capitale… d’autres peuvent être fournis d’un pays proche culturellement mais moins coûteux… d’autres enfin se prêtent à l’interaction à longue distance, en Inde ou en Chine. Capgemini gère donc un appareil productif diversifié, alliant les avantages de pays européens – avec un grand centre à Cracovie par exemple – au bénéfice de coûts de main d’œuvre beaucoup plus bas dans des pays plus éloignés.


L’Offshoring représente-t-il une révolution organisationnelle?

Pierre Hessler: c’est un phénomène important, dont toutes les conséquences ne sont pas encore visibles. La plus importante d’entre elles, c’est l’obligation d’une gestion plus industrielle de la production de services. Capgemini est là bien positionné – la production de maintenance applicative en ateliers ou usines centralisés a commencé dès le début des années 90. De plus, la création de centres de développement d’application, il y a presque dix ans, a requis la mise au point de méthodes de production qui se prêtent très bien au «Rightshoring».
Qui dit «Rightshoring» dit aussi exigence de flexibilité. Les demandes des clients et les réalités économiques exigent une adaptation constante… certaines villes indiennes sont maintenant considérées comme trop coûteuses… les frais de main d’œuvre, notamment pour les personnes les plus qualifiées, se rapprochent vite de ceux d’autres pays. .


L’Offshoring n’est pas la seule nouveauté. Il semble que les sociétés d’audit aient relancé une certaine activité conseil. Votre point de vue ?

Pierre Hessler: Les firmes d’audit ont poursuivi leurs activités de conseil dans les domaines fiscal, juridique, dans le management du risque...chez les firmes qui ne sont pas clients de l’audit. Il semble qu’elles étendent le champ de ces activités en direction du conseil en management et de l’informatique. Le risque pour un Groupe comme Capgemini est beaucoup moins grand que dans les années 90, car les synergies commerciales audit / conseil semblent bien rester prohibées.


Récemment l’action Capgemini a vu son cours se replier. Que peut-on en dire ?

Pierre Hessler: Dans la mesure où les cours de bourse s’expliquent rationnellement, ceci semble dû au fait que la profitabilité opérationnelle du Groupe est encore insatisfaisante. De plus, les résultats du premier semestre 2004 avaient déçu. Il reste à espérer que la publication des résultats annuels montrera un réel progrès au second semestre – le Groupe a déjà annoncé une position de cash à fin 2004 qui devrait rassurer les milieux financiers. Qui plus est, les principaux marchés ont repris des couleurs, et la croissance de Capgemini devrait évidemment en bénéficier.  Dans tous les cas, l’évolution du cours de bourse à court terme ne saurait influencer la gestion en profondeur de l’entreprise.


Les grands média se sont fait l’écho du repli de l’action Capgemini et ont  insisté sur des pertes aux USA. Qu’en est-il ?

Pierre Hessler: Les Etats-Unis sont un marché éminemment difficile, la direction du Groupe n’y ménage pas ses efforts. Les jugements à l’emporte-pièce de certains médias sont parfois irritants, mais la peau d’un grand Groupe se doit d’être épaisse – face aux louanges excessives également…


Après l’ Inland Revenue en Angleterre un autre très grand contrat vient d’être remporté par Capgemini. Mais la grande presse émet des doutes sur la rentabilité de tels contrats. Le groupe Capgemini saura-t-il transformer l’essai ?

Pierre Hessler: Je n’en doute pas une seconde, car ces grands contrats ne sont pas de l’Outsourcing classique aux marges faibles. Ils font appel à toute la capacité de transformation du Groupe, à tous ses métiers : bien peu savent le faire, et Capgemini n’en est pas à son coup d’essai !


Propos recueillis par Bertrand Villeret
ConsultingNewsLine


Pour Info

Pierre Hessler, Capgemini  5 Time Square, New York NY
www.Capgemini.com

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