L'invité de la Rédaction Octobre 2004 Spécial Mondial de l'Automobile Gérard Welter: La griffe du Lion Interview du Directeur du Centre Style Peugeot S'il
est bien le Patron du Style
d'un des constructeurs les mieux
structurés du monde de l'automobile, et l'inauguration du
nouveau centre de Vélizy est bien là pour en
témoigner, Gérard Welter n'en est pas moins un
passionné qui fabrique aussi de ses propres mains des voitures
de
course le soir après les embouteillages... Rencontre avec un
maître de l'industrie autant qu'un artisan emblèmatique du
style automobile
Gérard Welter, aujourd’hui le Design a envahi le quotidien. Même un véhicule d’entrée de gamme se doit d’être beau. Pourtant tout ce qui sort ne va pas forcément plaire. Qu’est-ce qui fait qu’un véhicule va taper dans l’œil du client ? Gérard Welter: Effectivement le design à notre époque a une importance prépondérante, mais il ne fait pas tout. C’est un élément déterminant dans le choix d’une voiture, mais le plus important reste le concept du véhicule et je m’appuierai pour exposer cela sur la 1007 avec sa porte coulissante qui est notre dernière petite voiture exposée au mondial. Cette voiture a été conçue pour être pratique et favoriser tout ce qui peut satisfaire la clientèle sur le plan de l’ergonomie et de la fonctionnalité. Cette voiture, par son concept de facilité, représente une vraie nouveauté qui a été très bien perçue. Les clients ont tout de suite saisi l’intérêt de cette nouvelle proposition automobile. Mais la part du « Beau » ? Gérard Welter: Le “ Beau ” est intégré au concept. Mais la priorité pour cette petite voiture a été donnée complètement à cette fonction nouvelle qu’est la porte coulissante. Est-ce qu’on peut dire que la 206 coupé cabriolet qui était sortie il y a deux ans allait aussi un peu dans le même sens, puisqu’elle était conçue autour d’une nouveauté, à savoir le toit ouvrant qui se repliait dans le coffre? Gérard Welter: Pour la 206 coupé cabriolet, c’est un peu différent, parce qu’en fait cette voiture est née pour faire rêver. C’est une voiture de salon, un petit Dream Car que l’on avait pensé pour être uniquement exposé. Devant l’accueil et le succès réservés à cette voiture par le public et les journalistes, on a pratiquement été obligés de la mettre en fabrication. Donc là, effectivement, c’est la séduction de cette petite voiture qui a déclenché le processus industriel, et nous l’avons faite en deux ans, conformément à ce qu’avait promis Frédéric Saint-Geours. C’était un tour de force, puisqu’il a fallu industrialiser dans un espace temps extrêmement court. Donc là, c’est le beau qui a déclenché toute la suite des opérations. On reviendra sur cet aspect temporel. Donc le “ Beau ” fait rêver et du Beau à la “ Mode ” il n’y a qu’un pas. On a vu apparaître récemment des éléments qui n’étaient pas présents sur la gamme comme les très grandes entrées d’air à l’avant (406, 407) que l’on trouve aussi sur les Chrysler Sebring. Est-ce là un effet de mode? Gérard Welter: Il y a des modes certes, mais l’entrée d’air unique qui apparaît sur les Peugeot aujourd’hui n’en est pas une. Elle appartient à l’identité de Peugeot, identité sur laquelle nous travaillons en permanence. Le Style de la 407 est le reflet d’une réflexion qui s’est élaborée avec le temps. La première entrée d’air unique est apparue sur un concept-car que l’on a baptisé « Asphalte » et qui a fait l’objet d’une animation à l’occasion des précédents salons de Paris. C’est depuis l’apparition « d’Asphalte » que nous travaillons à résoudre les nombreux problèmes liés à l’adoption de cette entrée d’air unique. Les problèmes sont en effet nombreux, il faut que le pare-chocs s’adapte à ce concept et passe toutes les normes de sécurité piéton. Ce travail nous l’avons poussé car nous voulions que le style de nos voitures reflète notre emblème qui est le Lion dans toutes ses expressions. C’est ainsi, lorsque vous regardez une 407 que vous avez un reflet poussé de la gueule de ce félin. En effet, la 407 a les yeux du Lion, sa truffe mais aussi et désormais sa gueule. La gueule du lion, mais pas seulement. On sait qu’il existe depuis longtemps un lien privilégié avec Pininfarina. Et l’on trouve là une question intéressante pour nos lecteurs qui sont consultants. On peut imaginer que le bureau de Design italien joue un rôle de conseil. Où se situe-t-il dans le développement d’un modèle ou d’une gamme? Gérard Welter: Pour nous, Pininfarina, c’est une maison que l’on connaît depuis extrêmement longtemps. C’est certainement une des meilleures références italiennes et nous avons pris pour habitude de consulter nos amis italiens pour chaque projet nouveau intéressant la marque Peugeot. Aujourd’hui, leur rôle est un rôle consultatif. Nous leur soumettons un projet qu’ils développent dans leurs murs et, lorsque ce travail est abouti, on le compare avec ce que nous faisons. Et, comme c’est une espèce de concours en fin de compte, eh bien que le meilleur gagne ! Voilà, c’est comme cela que ça se passe. Il y a 20 ans les Concept Cars présentaient un fort décalage avec les véhicules de série. On disait alors que les équipes de Designers s’étaient fait plaisir. Aujourd’hui la série semble intégrer de plus en plus les lignes et les trouvailles présentes sur les Concept Cars. Doit-on y voir un rôle nouveau dévolu aux Concept Cars dans l’élaboration du style? Gérard Welter: Vous savez, cela dépend de ce que l’on cherche à traduire au travers d’un Concept Car. La plupart du temps le rôle d’un Dream Car c’est comme son nom l’indique de faire rêver. Lorsque l’on cherche à faire rêver il y a plusieurs solutions : Pousser l’imagination jusqu’à l’utopie, on est alors dans le domaine du rêve total, c’est-à-dire souvent dans l’inaccessible. L’autre manière c’est de faire rêver au travers de solutions stylistiques et technologiques pratiquement commercialisables. En fonction de l’objectif poursuivi on choisira l’une ou l’autre solution. Aujourd’hui chez Peugeot, on opte pour le rêve accessible, parce que l’on pense que l’émotion est d’autant plus intense que l’on regarde un concept-car qui suggère le “ si seulement, une voiture comme celle-ci était commercialisée ”. Ce qui serait le cas de la 907 et là, elle n’est pas en vente… Gérard Welter: Oui, mais vous voyez malgré tout qu’elle est très riche en termes d’émotions. On se dit « Ah une voiture comme çà… ! ». Donc nous essayons par tous les choix que nous avons faits dans la conception de cette voiture, déjà de satisfaire les passionnés de la marque mais également bien d’autres encore. Notre premier but, c’est cela, satisfaire et faire rêver les gens. L’automobile reste toujours un élément du rêve moderne. Et là on peut dire qu’avec la 907 on est en plein dans le sujet. Elle fait absolument l’unanimité dans les journaux, les revues internationales. Je l’ai sous les yeux, elle est acclamée, elle se compare à certaines GT étrangères, pourtant c’est clair on reconnaît tout de suite une Peugeot, voir certaines Peugeot d’après guerre. Qu’est-ce qu’on peut en dire, en rapport à la marque? Gérard Welter: La 907 est une voiture de rêve que l’on a voulu totalement intemporelle. Cette voiture est remarquable aujourd’hui, elle sera toujours belle dans 10 ans, dans 20 ans. Pour aboutir à cela, il faut épurer, il faut monter au style. C’est ce que nous croyons avoir réussi en intégrant toutes les valeurs de style qui font les Peugeot d’aujourd’hui, c’est à dire une grande félinité qui symbolise notre marque. On voit que vous l’aimez ce lion et l’on imagine aisément la passion des équipes pour la marque. Est-ce que l’on peut, au-delà du rêve pour le client, entrevoir justement une dimension interne à un tel projet, pour fédérer et motiver les équipes par exemple? Gérard Welter: On s’organise chez nous de la manière suivante : lorsque l’on fait un Concept-Car c’est une affaire d’équipe, c’est souvent une grande récompense pour la totalité des animateurs du Style Peugeot. En fait, c’est pensé, réfléchi, dessiné, sculpté par un petit noyau de personnes, mais, plus le travail avance, plus les gens se rapprochent, plus l’échéance est proche et plus on intègre de monde dans le projet. On peut dire que tous les collaborateurs du Style Peugeot, à un moment donné, auront participé à la « mise sur pieds » de la 907. Ce qui veut dire que c’est “ leur “ voiture, et c’est beaucoup mieux et beaucoup plus fort comme çà. Avec tant de monde le secret n’a pas du être facile à garder, pourtant cette 907 est bien la surprise de l’année. Peut-on préciser l’organisation que vous avez mis en place, équipes, charges de travail, délais? Gérard Welter: Nous n’avons aucun secret en ce qui concerne notre organisation. La responsabilité du Concept-Car est du ressort du Style Peugeot. Il y a d’un côté les stylistes et l’équipe qui gère le projet tout au long de son développement et de l’autre côté une équipe technique qui va concrétiser ce projet et qui est sous la responsabilité de Jean-Christophe Bolle-Reddat qui a en fait deux patrons, Vincent Soulignac qui appartient à la DRIA (Direction de la Recherche du Groupe PSA Peugeot Citroën) et moi-même responsable du Style Peugeot. Au départ d’une étude comme celle-ci on trouve une équipe réduite de 6 personnes auxquelles au fur et à mesure viennent se greffer des équipes plus importantes en fonction des différentes étapes d’élaboration du projet. Le temps de développement est très court, il n’excède pas 6 mois. Si la voiture parce qu’elle plaît au public devait être transformée en voiture de série, avec tous les problèmes d’industrialisation que cela comporte, combien de temps faudrait-il rajouter, 1 an et demi, 2 ans? Gérard Welter: Il est possible que ce délai soit raisonnable… Ceci étant, la voiture qui a été exposée est déjà opérationnelle et ne pose pas forcément de gros problèmes d’homologation telle qu’elle est aujourd’hui. Une voiture comme la 907 se conçoit autour d’un ensemble mécanique et l’originalité de notre démarche a été de penser cet ensemble avant la voiture. On le voulait impressionnant et largement dimensionné pour qu’il puisse susciter cette envie de voiture intemporelle : quand on regarde la mécanique de la 907, on est amené à un certain respect ! Comme vous avez pu le voir, c’est impressionnant, c’est une voiture à utiliser avec beaucoup de respect. La puissance est là, le couple également, tout ce qu’on peut rêver de meilleur en matière automobile. Ce qui nous amène à une question incontournable : pourquoi un V12 alors qu’il y a eu sur la piste des moteurs V10 Peugeot qui ont brillamment réussi, et que le V10 est devenu la mode en F1. Pourquoi le choix d’un 12 cylindres? Gérard Welter: Au travers de votre question vous avez donné la réponse. Notre 907 n’est pas une voiture de course, c’est une voiture de sport luxueuse, c’est ce que l’on appelle une voiture grand tourisme. J’insiste bien sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une voiture de course, et donc que le moteur le plus prestigieux, celui qui fait rêver n’est pas un 10 cylindres comme on pourrait le penser, mais bien plutôt un 12 cylindres qui dans l’esprit des passionnés d’automobiles reste le moteur du rêve. ... c’est effectivement ce que l’on a fait de plus brillant depuis l’entre deux guerres, donc vous nous confirmez que c’est bien votre choix Gérard Welter: C’est bien notre choix et ce choix a été vraiment fort. On a voulu réaliser une voiture intemporelle et, ma foi nous avons veillé à ce que tout soit cohérent, le choix de la motorisation ayant été l’élément principal déclencheur du style de cette voiture. Donc une voiture avec une très forte personnalité autour d’un V12. Mais lorsque vous n’êtes pas sur un tel Concept Car et qu’il vous faut “ sortir ” la gamme Peugeot, j’imagine que vos Designers sont sur une, voir plusieurs voitures à la fois. Comment assurez-vous la cohérence de la gamme tout en maintenant la personnalité de chaque véhicule? Gérard Welter: Peugeot en tant que constructeur bénéficie d’une forte identité de marque, laquelle identité s’appuie sur des valeurs issues de l’histoire de cette marque. Les stylistes qui travaillent dans mon équipe connaissent l’histoire de Peugeot et dans leur approche stylistique ils intègrent des éléments appartenant à cette histoire. Nous faisons en sorte que toutes nos voitures soient imaginées, développées sur un site ouvert où tous les projets se côtoient, ce qui a pour effet de pouvoir nourrir une compétition. Comme dans une famille, chaque membre a une personnalité qui lui est propre, mais des caractéristiques de ressemblance qui justifient que tous les membres portent le même nom. Et au bout du compte vous avez installé cette famille à Vélizy dans un centre pour lequel on dit que vous vous êtes beaucoup investi. Qu’est-ce que ce type d’architecture peut apporter à vos équipes de Designers? Gérard Welter: Nous sommes effectivement installés dans le nouveau centre de design PSA Peugeot Citroën de Vélizy depuis presque deux mois. Vélizy, c’est une opération extrêmement importante qui s’est jouée sur plusieurs années. Il a fallu choisir le site, définir l’architecture, intégrer toutes les fonctionnalités liées à notre spécialité, établir un certain nombre de Cahiers des Charges... Maintenant nous sommes dans les murs et je dois dire que c’est une réalisation exceptionnelle. C’est un très bel endroit où la lumière, une très belle lumière, pénètre abondamment. Cela se compare à un immense atelier d’artiste, où l’on peut traiter tous les problèmes de sculpture, et de sculpture automobile en particulier bien sûr, de la meilleure manière qui soit. C’est le regroupement du style et de la technique. Ce sont 900 personnes, et cela pourrait augmenter encore. C’est énorme, et c’est la première fois dans l’histoire de la marque que l’on donne autant d’importance à notre spécialité. C’est une belle récompense pour nous. Propos recueillis par Bertrand Villeret ConsultingNewsLine 907 par l'équipe du Style Peugeot Copyright
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Welter:
La griffe du Lion Crédit
Photo: B. Villeret
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