Gil Gidron, Le marché semble atone
mais pourrait reprendre en 2004. Que peut-on dire des tendances
actuelles ?
Gil Gidron: Je dirai
qu’il y a trois tendances. La première concerne
l’économie dans son ensemble. L’activité
industrielle reprend doucement dans le monde entier ce qui
entraîne une demande en « services à l’industrie
». La seconde résulte de problèmes plus
structuraux. Ainsi on a eu une bonne croissance grâce à
divers actionneurs de la demande : le Bug de l’an 2000, les
progrès en informatique et en technologies des communications,
la bulle internet, la privatisation des entreprises publiques et
finalement l’arrivée de l’Euro. Ceci a contribué à
une croissance du conseil bien supérieure à
l’économie. Mais tout cela a changé. Aujourd’hui la
croissance du conseil a ralenti et cela devrait prendre un certain
temps avant que nous retrouvions la croissance de la fin des
années 90. Troisièmement, la façon dont les
consommateurs de conseil achètent est en train de changer avec
un profil de la demande qui se révèle différent.
Ainsi on voit apparaître le concept de « guichet unique
» (One Stop Shop): conception, implémentation,
maîtrise opérationnelle !.. C’est ce que les clients
veulent. Et pas seulement des conseils.
Ceci explique-t-il les
récentes fusions - acquisitions entre cabinets et autres
sociétés ?
Gil Gidron:
Comme je l’indiquais la troisième tendance est liée
à la nécessité pour les consultants d’être
capables de délivrer un service complet incluant
l’implémentation. C’est la raison pour laquelle IBM a
fusionné avec PWC, pourquoi EDS a capturé A.T. Kearney et
pour laquelle Ernst & Young a rejoint Cap Gemini ... etc. Ceux qui
se trouvent à la périphérie rentrent dans ce jeu
car il est très profitable d’apporter à un client une
approche intégrée. IBM a trouvé là une
réelle opportunité. Ainsi la consolidation est une
conséquence des changements dans la demande et des tendances
à l’implémentation. Une autre conséquence est que
les sociétés de conseil doivent changer leur Business
Model. C’est là que les dividendes entrent en jeu. Les
sociétés de conseil ont besoin d’investir et de passer
d’un partenariat traditionnel à la levée de capitaux sur
les marchés afin de créer de solides structures
financières. Toutefois pénétrer les marchés
de capitaux rend nécessaire la séparation du conseil et
de l’audit. Le problème clef ici étant que pour des
raisons d’indépendance, de directives réglementaires,
etc, le marché réclame cette séparation. Si
l’audit est obligatoire et indépendant, le conseil est
volontaire et lié à des honoraires. Ces deux
activités doivent se séparer.
D’autres tendances pour
lesquelles il y aurait matière à commentaire ?
Gil Gidron: Le
marché devient bipolaire : d’un côté nous avons de
grandes multinationales mais tout à la fois un espace suffisant
pour des opérateurs spécialisés sur des
créneaux spécifiques (Niche Players) importants tels que
le « diagnostic des risques » ou encore l’expertise
en « automation industrielle »... La vision que j’en ai sur
un diagramme figurant sur un axe la taille du cabinet et sur l’autre le
caractère plus ou moins spécialisé de
l’activité c’est que les sociétés conseil n’ont [
lorsqu’elles évoluent] que deux choix possibles : devenir
un Niche Player (c’est à dire revenir à ce qu’elles font
le mieux) ou bien fusionner ! Ainsi la consolidation devrait se
poursuivre, mais il y existe un espace suffisant pour les Niche
Players. Pour ce qui est des cabinets les plus localisés et
notamment les plus petits opérant sur des marchés
émergeants, les grandes compagnies vont venir les
acquérir parce qu’il n’existe que trois possibilités :
recruter les talents, être racheté ou passer des
alliances. Or les alliances ne sont pas stables.
D’autres perspectives, plus
liées aux technologies ?
Gil Gidron: C’est
ainsi que le futur apparaît. Et malheureusement il n’y a aucune
technologie majeure qui puisse impacter l’industrie dans le court
terme. Cela dit il existe de nombreuses petites choses :
l’économie nomade qui devrait permettre du conseil
spécifique, l’élargissement européen, la
libéralisation qui se poursuit notamment dans l’énergie
et les grandes commodités ... Ainsi nous devrions
hérité d’un futur excitant même s’il semble plus
complexe et plus compétitif. Avec aussi une compétition
nouvelle de la part des marchés Off Shore tels que l’Inde ou les
Philippines, qui sont de plus en plus à même de
développer des technologies sur une échelle
dépassant de loin celle de l’Europe... Cela devrait commencer
par les technologies de l’information puis remonter lentement la
chaîne de la valeur : Body shopping, conception puis
implémentation. A cet effet les opérateurs locaux seront
nécessaires.
Donc
des acteurs nouveaux. Que dire de l’évolution des pratiques et
de la survie de tous ces opérateurs?
Gil Gidron: Il y a eu
une époque où l’on avait les RH, les processus, le
management, l’infrastructure, l’externalisation ... C’est alors que
IBM, EDS, etc... se mirent à acquérir de larges parts du
secteur conseil, et là les frontières du marché
ont disparu. Ce fut la fin du clivage. Maintenant les clients
demandent des missions transverses. Celui qui sait intégrer ces
diverses pratiques devient le plus à même de gérer
les transformations chez le client. Et l’externalisation est à
ce titre un élément clef. Aussi de 2002 à 2012 la
question qui va rester pertinente, tout spécialement si l’on
pense y être encore, c’est de savoir qui va survivre. Et
c’est pour cette raison que la consolidation va continuer et que de
toute évidence les grandes sociétés de conseil
vont survivre. Il devrait en rester une demi douzaine, pas plus.
Une qui se trouve en position de leader aujourd’hui est sans conteste
IBM. Accenture a le même modèle, bien qu’il est
été développé de manière plus
organique, non par acquisition si l’on excepte le hardware qui reste
une commodité.
Mais d’un point de vue
quotidien cela implique-t-il que la façon de faire du conseil
ait réellement changé?
Gil Gidron: le profil
des projets a changé. Si vous êtes une banque de 2000
personnes la chose la plus difficile lorsque vous devez
implémenter une nouvelle technologie ou une mettre en place une
nouvelle stratégie c’est de faire en sorte que les gens
comprennent où vous allez. Pour les ordinateurs vous ne devez
que les acheter et le management du changement se résume
à de la formation, mais pour ce qui est de
l’intégralité du projet, la gestion de la motivation
reste le domaine le plus difficile à maîtriser et va
requérir la part la plus importante de votre effort pour aboutir
au succès.
Les ressources humaines
seraient-elles donc le problème clef de la globalisation?
Gil Gidron: Le
conseil est une activité économique globalisée.
Cependant vous travaillez localement dans votre environnement national.
Ainsi, bien que la diversité européenne rende le conseil
en Europe passionnante, elle n’en requiert pas moins une palette de
compétences très large pour en assurer le succès.
A titre d’exemple, pour une société de conseil
multinationale présente dans une douzaine de pays
européens, acquérir une Supply Chain n’est pas en
soi un problème mais s’arranger avec la diversité des
pratiques en est une bien réelle. Une contrainte
supplémentaire vient du fait que si USA il existe une
réelle obsession pour le bilan financier et que les
opérateurs y sont vraiment orientés vers l’actionnaire,
en Europe la prise en compte des diverses parties prenantes est bien
plus large. Dernier point enfin, l’aspect humain se
révèle différent pour le consultant de ce qu’il
est pour le client: la compétition est globale mais
l’implémentation est locale avec tous ses parfums locaux. Pour
cette raison le marché européen représente un
véritable challenge.
Ce qui nous amène
à la question de l’élargissement de l’Europe
Gil Gidron: Le
challenge pour les firmes de conseil va être de rapprocher les
grandes compagnies et les petits acteurs locaux. Et le challenge pour
la FEACO sera de rester représentatif des plus grandes comme des
plus petites sociétés de conseil et de garder ce
réseau soudé. Aujourd’hui la fédération est
déjà représentante de 23 pays qui se rassemblent
en groupes de travail : Multinational, Institutions européennes,
Petites structures et Blocs régionaux tels que les Pays
Nordiques, Pays de langue germanique et Pays de l’Est. Hong Kong a
rejoint la fédération et l’Afrique comme
l’Amérique latine pourraient la rejoindre dans la suite. Aussi
l’élargissement de l’Europe n’est qu’un épisode de la
globalisation prise dans son ensemble.
Cet élargissement
européen pourrait-il enrayer la chute des honoraires?
Gil Gidron: Nous
faisons face à une surcapacité. Ce qui a
entraîné des réductions d’effectifs, une terrible
pression sur les marges et une déflation des prix. Pour
s’arranger de cet ensemble de nombreuses compagnies ont modifié
leur Business Model afin de répondre a la question
stratégique : pourquoi et comment concourir ? Il faut bien
comprendre que notre domaine devient de plus en plus un marché
d’acheteurs. Par conséquent pour réussir, l’innovation,
la confiance dans l’engagement et les investissements deviennent
déterminants. Toutefois pour répondre au problème
des réductions d’émoluments nous devons
réfléchir à la valeur même des projets
proposés. Nous devons fournir une « proposition de valeur
» au client. La valeur pour le client est devenue la
priorité absolue. Les clients ne s’engagent pas sur une mission
de conseil s’ils n’entrevoient pas une quelconque valeur à la
démarche. C’est un aspect de la mentalité de l’acheteur
qui s’est beaucoup modifié. Dans un marché du conseil
dipolaire qui voit les acteurs principaux confrontés tant
à des investisseurs exigeants qu’à des clients
très demandeurs de résultats, et dans lequel les Niche
Players deviennent des garants de la qualité et du savoir-faire,
la bonne nouvelle c’est que la sous-traitance va se développer.
Ainsi les sociétés de conseil auront à prendre des
décisions et à se positionner. Elles devront s’appliquer
à elles même leurs propres recommandations et se rappeler
qu’il faut trois choses pour vendre : avoir une bonne proposition
(quelque chose que le client veut acheter), avoir des avantages
spécifiques (savoir, compétences) et un bon relationnel
allié à la capacité à s’impliquer. Ce
dernier point sera déterminant dans les Pays de l’Est et du Sud.
Propos recueillis par Bertrand
Villeret
Pour Info:
http://www.accenture.com/xd/xd.asp?it=esweb&xd=locations\spain\espana_home.xml