L'Invité de la Rédaction
Mai 2006  

Société
Interview: Azouz Begag
Ministre délégué à la Promotion de l'Egalité des Chances  

Chercheur au CNRS, enseignant à Centrale - Lyon, Visiting Professor à Cornell, Azouz Begag est Docteur en Economie et spécialiste de sociologie. Membre du Conseil Economique et Social et rédacteur d’un rapport sur les relations entre les jeunes et la Police Nationale,  il est depuis juin 2005 le Ministre délégué à la Promotion de l’Egalité des Chances. Une tâche dont il s’acquitte avec conviction

Liberté Egalité Fraternité. Voilà bien toute la trinité républicaine. C’est en tout cas celle qui apparaît sur le fronton des Mairies. La liberté on y croit, elle s’acquiert, durement - peut-être conditionne-t-elle, à elle seule, toutes les autres vertus. On en hérite aussi... elle n’est donc pas, sauf pour les journalistes, le souci premier des Français qui profitent en cela du travail de leurs aînés. A l’autre extrémité du fronton la troisième déclaration sur la "Fraternité" passe presque pour une saute d’humeur de Marianne à l’importance fluctuante. Mais c’est au milieu,  coincé tout au milieu que l’on trouve ce mot "Egalité" qui intrigue, qui inquiète et qui en France prend peut-être plus que partout ailleurs son importance, une importance constitutionnelle. Oui mais au delà de l’importance, quel peut bien en être le sens? Quelle égalité?... Egalité des rémunérations? Egalité de l’héritage? Egalité devant la maladie? Egalité devant la justice? Egalité vers l’isoloir?... Lorsque l’on passe l’entrée du 35 rue Saint Dominique avec ses dossiers sous le bras et le chrono en tête on se demande pourquoi ce nom inhabituel: Ministère délégué à la Promotion de l’Egalité des Chances. Quel lien avec le Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement (Jean Louis Borloo, 127 rue de Grenelle) ou encore le Ministère délégué à l’Emploi, au Travail et à l’Insertion professionnelle des jeunes (Gérard Larcher au 55 de la même rue St Dominique), ou encore le Ministère délégué à la Cohésion Sociale et à la Parité (Catherine Vautrin au 101 rue de Grenelle) ? D’autant que le Ministère délégué à la Promotion de l’Egalité des Chances n’est rattaché à aucun d’eux, mais directement aux Services du Premier Ministre. Le déclic se fait lorsque je traverse en diagonale la cour carrée:
«chances, égalité des chances, promouvoir l’égalité des chances, Ministère (délégué) à la promotion de l’égalité des chances. Promouvoir l’égalité des chances, n’est-ce pas là une des toutes premières missions de la République»? Après la crise des banlieues la notion prend toute son importance: promouvoir à l’égalité des chances. Le Ministre dédié à cette mission n’en a pas moins été nommé plusieurs mois avant les événements et travaille la question en sociologue depuis les années 80. C’est avec lui que nous avons rendez-vous dans la suite du discours qu’il avait prononcé le 16 mars 2006 au Palais Brongniard lors de la conférence organisée par le Cabinet Deloitte sur les Enjeux de la Diversité pour l’Entreprise. Nous avons préparé à cette occasion un questionnaire permettant d’aborder le sujet en une quinzaine de points... Charte de la diversité dans l’entreprise, Discrimination positive, Quotas, CV anonymes, Testing... bref tout l’arsenal dont débattent abondamment les consultants en management depuis peu. Nous passons en revue ces points avec un membre du cabinet du Ministre, dans le petit salon bleu qui tient lieu d’antichambre. Mais d’emblée Azouz Begag fait voler en éclat le sage ordonnancement préparé par nos soins en résumant dans un style très personnel ses convictions. Il ne s’encombre guère des définitions habituelles. Il nous livre au passage quelques messages plus politiques concernant l’état de réalisation de sa mission et les suites possibles qu’il entrevoit. Il est vrai que les circonstances font que le temps presse... lorsque nous le quittons, la conseillère du Ministre me fait observer que: «le Ministre vous a accordé plus de temps que prévu : les problématiques de l’accès à l’emploi sont centrales pour l’égalité des chances».... Résumé :

Azouz Begag


Monsieur le Ministre, les événements de novembre dernier semblent avoir catalysé dans la société française de nombreuses réactions et l’on sait déjà que la campagne présidentielle qui approche risque de stigmatiser les problèmes d’immigration et d’intégration. Quel est votre point de vue sur les questions de diversité que n’avez pas seulement pris en charge en amont des événements, mais que vous suiviez en sociologue depuis les années 80. Phénomène passager, mouvement plus profond? Quel rôle pour votre ministère?

Azouz Begag, Ministre délégué à la Promotion de l’Egalité des Chances:
«C’est un mouvement de fond, irréversible, on ne pourra plus revenir en arrière ! Il existe une réelle nécessité de faire la diversité en économie, en politique, dans l’audiovisuel... Cette idée de diversité doit s’installer dans toutes les têtes. Car il va y avoir une demande constante. Dans l’esprit des gens la diversité n’est encore qu’un concept alors que c’est une expérience qui se matérialise tous les jours, dans les loisirs, à l’école, dans l’emploi... donc cela doit devenir une exigence».

Nous présentant une affiche où l’on voit de multiples visages sur fond de carte de France le Ministre poursuit: «Les gens de toutes origines, d’Outremer et d'ailleurs se rendent compte que l’on ne les a pas oubliés et que cela résulte d’une politique d’égalisation. L’égalité est une méthode pour atteindre un objectif : la diversité. Si l’objectif était bien cela pour mon ministère alors c’est une réussite pour ce ministère.  La révolte des banlieues a agi comme un révélateur : la diversité de la société française d’aujourd’hui doit se retrouver dans tous les secteurs, à tous les échelons. Sans quoi une partie de la population se sentira oubliée, en rupture».

Le Ministre explique: «le paradoxe c’est de "visibiliser" pour rendre invisible. Donc les politiques publiques doivent agir afin d’accéder à cette multiplicité. Il n’est pas question d’imposer des quotas ou de la discrimination positive, c’est contraire à nos traditions républicaines. Je prône une autre voie: inoculer, ouvrir la voie, banaliser, afin qu’on ne voit plus la couleur mais la compétence. Pour moi la tautologie insultante c’est penser promouvoir en fonction de la couleur de la peau ou de la religion. La compétence est essentielle».

En sociologue le Ministre poursuit : «l’absence de mixité, de diversité, crée la frustration et crée l’appel de la couleur».

Sur ce point Azouz Begag rappelle son séjour d’un an aux USA en 1988: «A la télé ces 30 dernières années il n’y avait pas un seul noir. Des USA on s’apercevait de cette absence. A cette époque il y avait la lepénisation rapide de la société. De retour de Cornell j’ai publié sur ce sujet».

Et de conclure: «Donc on a 20 ans de retard, ce que je disais encore il y a quelques jours sur Channel Four. On me questionnait sur la diversité à la télé et ses effets pour atténuer le problème des banlieues. Il est éminemment urgent de montrer la diversité. C’est tout le sens de la partie de la loi pour l’égalité des chances  que j’ai portée au Parlement».


Ce faisant ne risque-t-on pas justement de promouvoir en fonction de la couleur et de la religion plus qu’en fonction des compétences et des qualités humaines? Donc obtenir le contraire, voire utiliser les déboires des uns pour faire le bonheur des autres?

Azouz Bagag :
«Le comble c’est d’être noir et d’avoir aussi le droit de ne pas être excellent. Je ne revendique pas l’excellence, on a le droit d’être mauvais. Je m’explique. Comme je le disais c’est la compétence qui prime sur la couleur, mais la preuve que la couleur n’a plus d’importance c’est quand on peut aussi être mauvais et réussir en étant de couleur. C’est toujours comme cela: les pionniers sont obligés d’être les meilleurs.... Mais au delà du paradoxe ce qui est important c’est que la société française s’ouvre à tous ceux qui la composent».


Et si la France échoue dans cette démarche qu’adviendra-t-il?

Azouz Begag:
«Les jeunes dans les quartiers ne trouvent pas leur voie de passage. Lorsqu’ils ont la chance d’aller aux USA ou en Angleterre ils sont fascinés par la prise en compte de leur seule compétence, et ça c’est formidable. Maintenant s’ils ne trouvent pas leur voie en France  ils partiront».


Donc selon vous le problème serait aussi pour les entreprises de savoir attirer les jeunes issus des quartiers, de les accueillir et de savoir les retenir. Les DRH en discutent abondamment aujourd’hui et se tournent de plus en plus vers les consultants pour y répondre. Les débats autour des outils de type Chartes, Labels, Reporting social, Quotas, CV anonymes, Testing vont bon train. Et les questions de répartition des rôles aussi : Consultants, Auditeurs, Certificateurs, Agences de Rating... Entrevoit-on la façon dont tout cela pourrait se mettre en place? Et au delà existe-t-il des principes à appliquer?

Azouz Begag:
«On n’en est pas encore à cette étape. Pour l’instant on en est à l’engagement des entreprises au travers de la Charte (Charte de la Diversité dans l’entreprise, MDPEC, IMS, CJD, ANDCP, IE, E&P,Alliances, MEDEF). Plus de 400 grandes entreprises ont initialement  signé la Charte. Dans le Val d’Oise près de 130 entreprises viennent de la signer. Je veux que chaque Français ait les mêmes possibilités de choix de recrutement, notamment dans la fonction publique et surtout que le recruteur ait au moment du choix le réflexe de la diversité. Cela n’est possible que si les DRH sont motivés, donc 1) comment alerter, 2) comment valoriser la diversité... Et là on aura tout gagné. J’en ai discuté avec le Président la Fédération Française de Football qui est confronté à la violence dans les stades : qui de nous a déjà vu un noir chez les arbitres, alors que de très nombreux joueurs le sont? Un moyen de réduire le racisme c’est d’avoir un représentant de la loi qui soit noir... les spectateurs n’enverront pas  de peau de banane à un arbitre noir alors qu’ils le font avec les joueurs».


La langue française rechigne à appeler un chat un chat et dans l’entreprise on se contorsionne pour parler du sujet.

Azouz Begag:
«Il ne faut pas avoir peur des mots en effet. Il faut tout simplement dire les mots : noir, arabe et non pas Black ou Beur. Mais il faut aussi faire sans  dire. C’est pourquoi je suis favorable aux trombinoscopes: dans les équipes, dans les Mairies, dans les Commissariats. Comme le font couramment les Américains».


Monsieur le Ministre, n’y a-t-il pas là un risque pour les entreprises de devoir s’acquitter d’un affichage de la diversité qu’elles s’offriront à bon compte en alimentant leurs recrutements dans les meilleurs écoles internationales tout en laissant pour compte les jeunes dans leurs quartiers? C’est ce que l’on observe dans certains cabinets conseil.

Azouz Begag:
«Il faut avoir l’esprit tordu ! C’est bien français de ne penser qu’aux défaillances éventuelles. C’est le même type de réflexe qui a mené aux réticences devant le CPE. Et pendant ce temps là  il y a des milliers de jeunes bardés de diplômes qui préfèrent partir vendre leurs compétences  à l’étranger! Aussi pourquoi penser que les entreprises pour redorer leur blason à moindre frais iraient chercher les noirs et les arabes dans les Business school des pays étrangers? Soyons concrets. Avec l’opération qui a été lancée on a 5000 jeunes BAC+3 qui vont être suivi par un Coach. C’est une "reformation"et seront donc individuellement suivi par un consultant. Les organismes ont été sélectionnés et cela a été décidé par les Préfets à l’Egalité des Chances. Rappelons que ces Préfets ont une double tutelle: le Ministère délégué à la Promotion de l’Egalité des Chances et le Ministère de l’Intérieur. Ils sont déjà au nombre de 6. Dans l’Essonne ils ont déjà désigné 10 Coaches».


Il s’agit là d’un projet ambitieux qui n’apparaît peut-être pas dans toute sa cohérence au travers des articles de presse. Peut-on en rappeler les détails, d’autant que les consultants visiblement doivent pouvoir y trouver leur place?

Azouz Begag:
«L’égalité des chances se joue avant tout sur le domaine de l’accès à l’emploi. Tout d’abord il y a  l’accompagnement vers l’emploi de 5000 jeunes diplômés des ZUS depuis fin mars 2006, l’accueil systématique des jeunes par l’ANPE, l’organisation de Forums de rencontre avec les employeurs, ensuite la multiplication de signatures de chartes de la diversité (aujourd’hui plus de 400), les plans de recrutement comme celui de la SNCF, sans oublier le soutien à l’enquête expérimentale de l’INED pour la mesure de la diversité et sa compatibilité avec la réglementation, et puis le développement du portail «diversité-emploi.com » ouvert depuis avril 2006 lié à l’impulsion par le Ministère d’une déontologie pour les annonces des sites d’emploi sur internet afin de réduire le nombre d’annonces à caractère discriminatoire. Enfin une impulsion nouvelle pour la fonction publique afin qu’elle montre l’exemple grâce au programme PACTE de formation en alternance. Il faut noter que la fonction publique a montré un intérêt pour la diversité au niveau local et proposé l’élaboration d’une Charte de la diversité dans les collectivités locale».


Donc un plan de bataille bien ordonné. Mais l’avenir de tous ces jeunes ne passe-t-il pas aussi par plus d’autonomie, plus de liberté, la possibilité de "créer sa boîte", bref d'accéder à des statuts plus souples pour pouvoir faire des aller et retour entre diverses activités? D’autre part ne se focalise-t-on pas trop sur les origines alors que la discrimination face à l’emploi est le lot de tous les jeunes d’origine modeste et qui depuis les années 60 s’en sont finalement plutôt bien sortis?

Azouz Begag:
«Les premières rixes dans les banlieues apparaissent en 75, à la fin des trente glorieuses. A partir de là, la croissance n’offre plus assez d’espace. Et là pour reprendre votre remarque il y a effectivement cette alternative qui est de "créer sa boîte". Je suis en train de réfléchir à la création d’un fond pour faciliter la création d’entreprises dans les banlieues. On ne peut pas tolérer que dans certains endroits en France, le taux de chômage dépasse les 50%».


Ne risquez-vous pas rapidement de buter sur la législation française et ses tombereaux de droits sectoriels acquis?

Azouz Begag:
«C’est qu’il existe un décalage criant entre la complexité sociale moderne et les archaïsmes du droit français. La précarité c’est un fait quotidien pour trop de nos concitoyens. C’est en gagnant la bataille pour l’emploi que nous la ferons reculer, pas en s’arc-boutant sur des habitudes et des rigidités. Le CPE était un outil très utile dans cette bataille pour l’emploi».


En conclusion Monsieur le Ministre que retiendriez-vous de la situation actuelle et de l’action de votre Ministère? Quel message vers les cabinets conseil, et je pense notamment à votre demande faite au Palais Brongniard auprès de Deloitte pour que 10% des recrutements s’ouvrent à la diversité?

Azouz Begag:
«Aujourd’hui il nous faut définir un nouvel espace de rencontre, entre des jeunes qui ne savent pas où il y a de l’emploi et des offres qui ne tiennent pas compte de la diversité. Aujourd’hui 400 000 offres d’emploi ne sont pas pourvues! Les jeunes ne savent pas qu’il y a du boulot: ils n’ont pas accès à l’information, ils s’autocensurent, certains ont peur d'aller au delà du Périf' ! . Donc un des ingrédients contre l’exclusion c’est d’informer. L’internet est un de ces outils : accès aux emplois, forums, rencontres. C’est pourquoi j’ai lancé le portail www.diversite-emploi.com avec l’ANPE, le MEDEF, Monster et Respect Magazine. Le portail est révolutionnaire, il donne accès non seulement à des offres d’emploi, dont beaucoup émanent d’entreprises ayant signé la charte de la diversité, mais aussi à toutes les infos dont les jeunes ont besoin pour mieux s’orienter vers le marché du travail. C’est un vivier. Aussi ce que l’on attend des cabinets conseil, que ce soit pour leur recrutement interne ou pour les recrutements qu’ils réalisent pour le compte de tiers, est concret: c’est qu’ils mettent des annonces sur le site pour qu’il puisse y avoir au bout du compte un face à face entre un demandeur d’emploi et un recruteur».

Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef
ConsultingNewsLine



Azouz Begag
Azouz Begag, Ministre délégué à la Promotion de l'Egalité
des Chances.



Pour info :
http://diversite-emploi.com

Whoswoo :
Azouz Begag

Images :
Courtoisie des Services du Premier Ministre




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