L'invité de la rédaction

>> Juin  2003 

Management de l'Innovation : " Space Technology Inside "
   
Pierre Brisson, Responsable du Programme de Transferts de Technologies de l’Agence Spatiale Européenne

A la tête d’un programme de plusieurs millions d’Euros dont la manne financière satisferait nombre de chefs d’entreprises High-Tech, Pierre Brisson est devenu en quelques années un homme très courtisé dans le petit monde des consultants en innovation. Bien que toujours par monts et par vaux, alternant congrès et réunions, descendant d’un avion pour remonter dans un autre, il s’est prêté volontiers au jeu de « l’invité de la rédaction »,  même si pour l’occasion c’était sur « ses terres », lors de la conférence qu’il organisait au Bourget en présence du Ministre de la Recherche, Madame Claudie Haigneré

Pierre Brisson est un personnage hors du commun. Né en Afrique du Nord il n’en a pas moins été élu « Auvergnat de l’année » en 1984 !..  Un titre qu’il observe avec humour et qu’il apprécie particulièrement, lui qui a débuté sa carrière scientifique à l’Université de Clermont Ferrand. Une carrière  bien commencée puisque que ce Clermontois d’adoption participe pour sa thèse de doctorat aux expériences de métallurgie physique des materiaux embarquées sur la navette spatiale américaine lors du programme européen SpaceLab ;  rien de moins !.. Autant dire que sa route est toute tracée dés que « diplôme en main » il intègre l’ESA, l’Agence Spatiale Européenne. L’agence embarque en effet à cette époque sur un ambitieux programme de développement de lanceurs et de satellites dont les retombées, un temps océaniques aux dires des journaux spécialisés, finissent par payer et apporter à l’Europe le leadership économique de la mise à poste et de l’exploitation des satellites, notamment pour l’observation de la terre. Aussi lorsque l’agence européenne décide qu’il est temps d’intéresser les entreprises aux véritables « Retombées Technologiques » du Spatial, Pierre Brisson est naturellement désigné pour en développer l’organe opérationnal baptisé TTP, soit encore le Technology Transfer Programme (TTP). Du programme TTP naîtront de nombreuses applications industrielles dont la plus « éclatante » est certainement l’Airbag ! A côté des applications industrielles, de nombreuses applications médiatiques viendront rappeler au grand public que les technologies spatiales sont maintenant à sa disposition :  les combinaisons thermostatées des mécaniciens de McLaren en Formule 1, la voiture solaire Nunacar victorieuse en Australie du World Solar Challenge, les isolants thermiques de la voitures d’Henri Pescarolo lors du dernier Dakar où encore la sécurisation du prototype écologique de l’écurie Idée Verte Compétition qui a développé un véhicule au gaz pour courir dans les fameuses 24 heures du Mans. De l’époque où il faisait la « navette » entre les USA et le Massif Central Pierre Brisson a gardé un goût très prononcé pour les déplacements et se plie volontiers aux exigences de ce poste qui le voit partager sa vie entre le Centre de Recherches de l’ESTEC à Noordwijk aux les Pays Bas et le siège de l’agence à Paris.  L’homme qui a inventé l’expression « Space Technology Inside » nous accorde volontiers quelques minutes. Interview:


Pierre Brisson, le transfert de technologies spatiales est votre spécialité. Quelle réalité cette activité recouvre-t-elle et que pouvez vous nous dire sur l’ambition qui sous tend cette démarche ?

Pierre Brisson :   Il y a  14 ans lorsque l’idée de transfert a émergé il y avait quelque chose comme 150 milliards d’Euros qui devaient être dépensés pour l’espace. Rapportés au nombre de missions, de l’ordre de 4 à 8 par an pour environ 20 satellites cela représentait beaucoup d’argent. Cette manne devait-elle ne concerner que quelques Happy Fews ? Telle était la question. D’où l’idée qui a rapidement émergé de voir s’il était possible d’utiliser les compétences et les technologies mises en œuvre dans l’espace pour former les briques de solutions qui auraient des finalités terrestres. Mais dés lors quelles applications étaient-elles possibles sur la base de quelles technologies spatiales ?


Des applications spatiales « enfin disponibles sur terre » cela présente un coût. Peut-on le chiffrer et en  préciser l’évolution ?

Pierre Brisson : Lorsque l’on regarde l’évolution du budget annuel pour le transfert de technologies on peut estimer que l’on dépense entre 5 et 6 millions d’Euros en transferts  proprement dits sous forme de Seed Money et d’action des réseaux de courtiers. Ce budget ne comprend pas le réseau de 30 incubateurs établi depuis juillet 2002. Pour des actions technologiques qui vont plus loin et aboutissent à une production comme c’est le cas pour les capteurs solaires à l’Arséniure de Gallium, on fait appel à des sponsors et l’on s’appuie sur d’autres programmes tels que ceux de la Commission Européenne des 4ème,  5ème et maintenant 6ème Programme Cadre de Recherche et Développement (PCRD) au travers de mécanismes tels que CRAFT par exemple. Dans le cas des capteurs, la Commission a appuyé pour 10 à 20 millions d’Euros. Pour des technologies liées à des programmes particuliers tels que Galiléo (navigation par satellites) ou encore ISS (station orbitale internationale) il existe des budgets spécifiques. En parallèle on identifie un fond de budget supplémentaire de 5 millions d’Euros que l’ESA apporte à un fond de Start-Up ( ESINET Fund) ce qui permet de « tirer » entre 20 et 40 millions d’Euros à partir d’une « artillerie » qui ne vaut que 5 millions.


Il y aurait donc un effet de levier qui à la base serait délibérément recherché ?

Pierre Brisson : Nous jouons en effet un rôle de levier. A titre d’exemple nous investissons  500 000 Euros par an dans les « environnements hostiles » auxquels l’industrie vient apporter entre 4 à 5 millions d’Euros auxquels s’ajoutent le même montant en provenance du réseau de courtage. On attire ainsi de 10 à 20 fois plus d’argent que ce que l’on a injecté. Sans cet amorçage il n’y aurait pas d’attraction d’argent européen obtenu notamment auprès de la Commission. Autre exemple,  Eurêka, pour lequel on peut avoir un rapport de 1 à 1000 pour un versement initial qui ne dépasse pas le plus souvent 50 à 100 K Euros par dossier. Dans le cas de « l’injection pyrotechnique sans aiguille », sujet médical grand public promis à un  bel avenir, et projet pour lequel un dossier Eurêka a été soutenu et se trouve en cours de labéllisation, l’ESA avait versé 50 K Euros pour un budget global après labéllisation s’élevant à 25 M Euros, soit un facteur 500 ! Autre exemple l’Airbag de seconde génération qui tiendra compte de la morphologie et de la température. C’est en cours de montage et devrait conduire à quelques millions d’Euros d’investissement après labéllisation. Là je supporte 15 projets pour 150 K Euros avec un rapport de 10 à 20 pour la levée auprès des capitaux risqueurs. Pour ces projets Eurêka, l’ESA a permis de crédibiliser et d’accélérer le processus avec dans l’ensemble un facteur 100.  Les investisseurs ne s’y trompent pas, ils viennent parce que l’agence est autour de la table. l’ESA attire et intéresse. L’effet de levier vient du fait que l’ESA apporte une caution technologique aux projets qu’elle soutient.


Comment ces budgets s’inscrivent-ils dans le budget global de l’ESA ?

Pierre Brisson :   l’Agence a un budget global annuel supérieur à 3 Milliards d’Euros  et comme je vous l’ai indiqué nous dépensons de 5 à 6 millions d’Euros en Transfert de Technologies chaque année. Aussi nous sommes aux 2 millième du budget de l’agence. Toutefois en tenant compte des fonds levés de l’ordre de 10 à 20 Millions d’ Euros on est au centième et si l’on prend en compte le chiffre d’affaires que l’on génère, soit 100 millions d’Euros chaque année, on arrive au trentième du budget de l’agence ce qui devient considérable !


Les retombées financières seraient donc importantes eût eu égard au faible investissement de départ ?

Pierre Brisson :   En cumulé sur 14 ans on a généré 300 M Euros de Chiffre d’Affaire avec une projection à 2005 qui avoisine les 1 Milliards d’Euros cumulés, soit le tiers du budget annuel de l’agence. Et ce sans tenir compte du réseau d’incubateurs qui devrait générer pour les 10 ans à venir 1 Milliard de Chiffre d’Affaires. Le tout cumulé on arrive à 70% du budget annuel de l’agence pour un investissement de l’ordre du millième !


Une réussite indéniable pour laquelle certains projets vous ont certainement séduit plus que d’autres ?

Pierre  Brisson : Bien sûr l’Airbag qui est l’exemple même de l’application High Tech utile au grand public et directement issue du spatial européen. La SNPE réalise sur la base de cette technologie pyrotechnique entre 10 et 15% de son CA. Ensuite je pense aux détecteurs de mines anti-personnels non métalliques basés sur une technologie radar opérant jusqu'à 50 cm de profondeur, laquelle devrait permettre d’éradiquer ce fléau en moins de 100 ans là où les techniques conventionnelles mettraient plus de 10 000 ans. De même le pyjama MamaGoose qui prévient la mort subite du nouveau -né et repose sur une technologie développée pour éviter l’apnée des cosmonautes. Arrivant en phase finale il devrait être disponible dans les maternités d’ici 6 à 12 mois. Enfin l’une de nos plus belles réussites reste la combinaison XP-suite qui permet de protéger des UV à 99,5 % les enfants atteints de Xeroderma Pigmentosum (50 cas en France) lesquels ne peuvent supporter la lumière solaire et devaient jusqu'à présent être recouverts de crème toutes les deux heures et ne sortir que la nuit. Pour ce qui est des applications industrielles majeures il est clair que les composites du type de ceux utilisés pour les coques de Formule 1 ainsi que les bâches issues des tissus de protection thermique du moteur Vulcain utilisées pour éviter le vandalisme dans le transport routier forment certainement les plus belles réussites du Programme de Transferts de Technologies de l’Agence Spatiale Européenne.


Propos recueillis par Bertrand Villeret



Pour Info:

http://www.esa.int/technology//
http://www.nodal.fr/transfert_technologie/index.htm
http://www.esa.int

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