Livre
Sept-oct  2006 Fayard

Un autre monde. Contre le fanatisme du marché
de Joseph E. Stiglitz
Avec des chapitres tels que Rendre le commerce équitable, Brevets : des profits et des hommes, Lever la malédiction des ressources, Sauver la planète, Les multinationales, Le fardeau de la dette, Réformer le système de réserve mondiale, ou encore démocratiser la mondialisation, cet ouvrage écrit par un prix Nobel d'économie justifie pleinement son titre et son premier chapitre: un autre monde est possible ! A lire absolument par les consultants


Professeur à l’Université de Columbia, Prix Nobel d’économie et ancien vice-président (démissionnaire) de la Banque Mondiale, Joseph E. Stiglitz est une des sommités de la science économique mondiale. Dans le match entre les monétaristes partisans du libéralisme pur et dur de Milton Friedmann (récemment décédé) et les post-keynésiens, partisans d’un retour des régulations publiques, Joseph E. Stiglitz se situe clairement dans le camp des seconds. Pourtant il n'emprunte que peu aux dogmes établis et montre en quelques chapitres bien étayés qu'il est temps de changer de paradigme sous peine de voir l'économie mondiale s'effondrer. Une vision particulièrement instructive pour les stratéges et les consultants de plus en plus sollicités sur les risques et les dérives de la globalisation.


Un plaidoyer pour le retour de l’Etat
Prenant sur ce point le contre-pied de la thèse de la «mondialisation heureuse» chère à Alain Minc, Joseph E. Stiglitz montre que les forces des marchés financiers livrées à elles-mêmes tendent à imposer une logique de développement à la fois impressionnante mais fortement inégalitaire. La mondialisation multiplie le nombre des perdants au nord mais aussi au sud. Il en résulte une somme impressionnante de frustrations et de mécontentements qui se focalisent contre l’occident, et son chef de file, les Etats-Unis. Joseph E. Stiglitz s’en inquiète et plaide pour une réhabilitation du rôle de l’Etat. Mais s’il critique ceux (les monétaristes) qu’il appelle les « fanatiques du marché », il ne s’en démarque pas moins des «alter mondialistes» et de tous ceux qui rêvent d’un retour au protectionnisme et au nationalisme économique. Il plaide pour une intervention sélective de l’Etat afin de stimuler la formation des hommes, la protection sociale et la taxation des hauts revenus. Selon lui, les gagnants de la mondialisation doivent accepter une certaine forme de redistribution de leurs revenus au profit des perdants. Cependant, lucide, l’économiste américain reconnaît que ce n’est pas ce qui se passe actuellement.


Doublé d’une défense et d'une illustration du multilatéralisme
L’Administration Bush selon Stiglitz n’a pas seulement malmené le multilatéralisme dans le domaine politique et diplomatique – elle en paye lourdement les conséquences en Irak – mais aussi et surtout dans le domaine économique et commercial. L’Administration républicaine a préféré à chaque fois des accords bilatéraux aux négociations multilatérales, certes devenues plus difficiles pour les occidentaux face aux nouvelles coalitions constituées par les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie, Afrique du Sud…).

Or, selon Stiglitz, le bi-latéralisme risque d’avantager les forts aux dépens des faibles, mais aussi, de favoriser le retour du protectionnisme et des guerres commerciales. Il suffit de voir la détérioration des relations commerciales entre la Pologne et la Russie, entre la Géorgie et la Russie pour entrevoir ce qui pourrait se passer demain sur une échelle plus large.

L’auteur défend également le principe de la responsabilité sociale de l’entreprise et la gestion publique mondiale des ressources naturelles. Lucide et généreux, l’ouvrage de Stiglitz laisse entrevoir en même temps les difficultés d’une gouvernance mondiale équilibrée.


Stiglitz touche du doigt les difficultés d’une gouvernance mondiale
Si le diagnostic du Prix Nobel d’Economie est pertinent, les solutions qu’il propose restent certainement  ouvertes à la discussion. Il y a à cela au moins trois raisons. La première est liée à l’intensité des rivalités entre «les puissances établies» comme l’Europe ou les Etats-Unis et les pays émergents, et en premier lieu, la Chine et l’Inde. La bataille du pétrole et des matières premières en constitue l’illustration vivante. La seconde est l’évolution du «pouvoir de négociation» entre les pays du nord et les pays du sud. Ceux-ci pèsent et pèseront de plus en plus lourds dans les enceintes internationales et leurs intérêts ne convergeront que rarement avec les nôtres. La troisième, et non la moindre, tient au fait qu’une gouvernance mondiale équilibrée suppose l’adhésion à des règles du jeu communes. Règles du jeu qui risquent, au contraire, d’être l’enjeu d’intenses rivalités. L’Amérique ne retrouvera pas (ou peut-être plus?) la position hégémonique qui fut la sienne dans le monde de l’après seconde guerre mondiale et cette donnée n’a pas fini d’être méditée.

On le voit, un ouvrage à se procurer absolument, surtout en ces temps de réflexion pour le conseil, alors même que la pression des clients se fait de plus en plus grande pour se faire expliquer les risques et les dérives de cette mondialisation qui ne se développe pas comme on l'aurait cru et pour laquelle l'occident découvre qu'il pourrait bien être très vite le grand perdant.  Ceci dit, un autre monde est possible, et c'est un Prix Nobel qui le dit.


Yves Perez
Directeur de l'IDCE
Institut pour le Développement du Conseil d'Entreprise


Nota:
Un autre monde, Joseph E. Stiglitz,
Editions Fayard – 2006 – 452 pages

Pour info:
/www.fayard.fr


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