Méthodologie
Février 2011 

Interview : Frédéric Petitbon

Directeur Général Délégué, IDRH

Frédéric Petitbon est le Directeur Général Délégué d’IDRH, cabinet spécialisé dans les RH bien connu et présidé par Jean-Luc Placet, actuel Président du GSSEC, le groupement des 5 syndicats d’études et de conseil de la fédération Syntec. Frédéric Petitbon, Sociologue, diplômé de l’ESSEC, est spécialiste en Ingénierie de Conduite du Changement. Il est l’auteur du Guide du Manager Public paru aux Editions d’Organisation et le co-auteur avec Alain Reynaud et Hubert Heckmann de Restaurer la Confiance dans l’Entreprise sorti à la rentrée dernière chez Dunod, ouvrage qui a reçu le «Stylo d’or», Prix du livre de l’année 2010 décerné conjointement par l’ANDRH, l’Association Nationale des Directeurs des Ressources Humaines, et la revue Personnel

Frédéric Petitbon vous êtes le co-auteur d’un ouvrage sorti récemment sur la perte de confiance dans l’entreprise et sur la façon dont elle peut être restaurée. On sait les Français actuellement stressés, mais en quoi peut-on parler de perte de confiance, et ce dans l’entreprise ?


Frédéric Petitbon : La perte n’est pas systématique, mais elle est générique et touche tous les sujets. Les études le montrent : les gens gardent confiance dans leur travail et dans leur responsable de premier niveau, mais néanmoins en terme de carrière ils ont le sentiment pour beaucoup de s’être fait flouer, que le contrat n’a pas été respecté… contrat implicite qui était ce qu’on en a compris en entrant dans l’entreprise, en terme de cursus, de métier, de salaire… et tout cela n’a pas été pas respecté. Nous avons ainsi le devoir de comprendre ce qu’était ce contrat initial entre le collaborateur et l’entreprise, contrat qui pour bonne partie était implicite – par exemple : « J’étais rentré chez « Trucmuche Industries » parce qu’on m’avait promis d’y développer mon métier, d’y être créatif et innovant à mon niveau et 20 ans après je me retrouve à un poste de production et non de recherche, pérenne mais sans marge de manœuvre et sans satisfaction, peu mobilisé sur un travail sans d’intérêt » … Ou bien : « Chez vous, XYZ, société mondiale dans le champ de la santé avec un aspect commercial international j’avais compris que moi, français, je me destinais à être dirigeant managé par des français et j’ai un singapourien qui me passe devant, on ne me parle plus d’international et on me réfute ma compétence d’innovation, qui serait non essentielle, pour celle de communication, que je pensais développer et je tombe sous le coup du respect de processus managériaux qui m’obligent à rentrer dans le moule d’une organisation matricielle »…


Au-delà des effets d’une globalisation mal perçue, ne trouve-t-on pas là le résultat de l’application, sans réflexion, de méthodes par trop procédurales?

Frédéric Petitbon : Oui. On observe fréquemment la perception d’une perte de marge de manœuvre de la part de l’encadrement sous contrainte de processus de type « ISO » ou  Reporting « multiple » avec quantité d’’info à faire remonter dans un calendrier de comptes-rendus de plus en plus court !


Le Middle Management, même s’il est peu nombreux, donc très occupé, garde pourtant une certaine autonomie, une marge d’initiative…

Frédéric Petitbon : Là le discours est souvent paradoxal : « se prendre en main, être acteur de son développement, de sa carrière »… ça c’est un discours fréquent et important envers le Middle Management. Mais en même temps « être acteur » n’est pas évident, on ne lui a pas appris « et » les organisations du travail, « et » les arcanes des relations en entreprise comme celles dont il a besoin pour être l’acteur de sa carrière et de ses collaborateurs. Donc il apparaît une contradiction entre le suivi de procédures et l’initiative qui est demandée de manière implicite.


Flou, paradoxe, contradiction… Frédéric Petitbon, l’ouvrage que vous venez de publier, en quoi donne-t-il des moyens au management pour identifier et résoudre ces anomalies ?

Frédéric Petitbon :
Dans le cadre de notre projet d’entreprise, les consultants d’ IDRH veulent contribuer aux débats majeurs qu’ils rencontrent sur le terrain. Nous avons essayé de sélectionner des sujets, des thématiques importants, qui résonnent bien, en essayant de ne pas être négatif et en proposant des pistes de réflexion pour dégager des solutions. Donc on commence par des « grilles de lecture du contrat » pour comprendre cette rupture de confiance, cette rupture du contrat implicite : qu’est-ce qui est dit, qu’est-ce qui est écrit, qu’est-ce que l’on attend, quelles sont les contradictions,  pourquoi les gens ont cette impression ? Par ailleurs on donne dans ce livre des pistes qui nous semblent importantes : commenton expliciter le contrat, les nouvelles règles du jeu… mais aussi la nécessité pour le dirigeant de dire ce qui se passe, ce qui va se passer, les contributions, les rétributions, les règles du jeu [qu’il fixe]…


Cette nécessité d’explicitation incombe-t-elle au DRH, plus qu’au Middle Management ?

Frédéric Petitbon : Pas seulement. On est sur des sujets où le DRH ne peut pas agir seul. Il faut une politique d’entreprise incarnée par « patron » qui pourra assumer, [par exemple] qu’on ne privilégie plus les techniques mais le commercial ; lui seul pourra le dire, pourra aussi dire pourquoi il est nécessaire de faire appel à une expertise externe de gens qui n’ont pas fait carrière dans l’entreprise, alors que la règle du jeu historique était différente. Le DRH après pourra agir avec le management ; mais  s’il veut agir seul il se plantera.


Quitte-t-on définitivement un mode paternaliste qui avait cours autant dans les grandes entreprises que dans les petites ?

Frédéric Petitbon : Je dirai qu’on passe d’un modèle où ce n’est plus la loyauté sur les temps longs qui est le facteur dominant à un modèle où l’on recherche des résultats évalués de manière précise avec un horizon qui est à plus court terme.


D’où une partie de la perte de confiance. Alors quelles voies proposez-vous pour retrouver cette confiance ?

Frédéric Petitbon : pour la retrouver, il faut travailler sur l’importance de l’explicite, dire comment se construit la vie du salarié de l’entreprise, ce qu’il doit analyser, l’importance de la preuve, c’est dire les modes d’évaluation. Et c’est la patron qui doit dire les choses et la réalité des comportements qui le contredisent…


On passerait du paternalisme au patriarcat… Un patron qui s’exprime cela nécessite-t-il une bonne organisation de la Com ‘ interne ?

Frédéric Petitbon : Quand l’action se limite à la communication c’est destructeur car les salariés voient très vite la contradiction entre la promesse et ce qu’ils vivent au quotidien, comme  les valeurs qu’ils doivent respecter. Quand c’est de l’énoncé, [au sens du contrat] c’est engageant et c’est inducteur  de  confiance.


N’est–on pas sur ce point dans une approche qui implique nécessairement les syndicats ?

Frédéric Petitbon : Ils ont un rôle majeur sur le sujet et c’est normal en situation de défense des équilibres actuels, surtout quand les syndicalistes voient arriver le patron qui dit vouloir refondre le contrat social d’autant qu’ils n’y voient pas d’amélioration immédiate pour les salariés mais y voient des ajustements en termes de carrière et de retraite ! Donc ils sont prudents sur le sujet. Donc faire évoluer réclame des ajustements d’où un dialogue social nourri autour de cela.


Comment peut-on traduire cela en termes de méthode ? On est dans de l’action qui va de la vision du directeur au dialogue avec les syndicats. Vous avez parlé de grilles d’analyse…

Frédéric Petitbon : On développe les différentes dimensions à explorer pour construire le contrat : notamment une grille de lecture dite « Arobase » - A pour activité, R pour relations, O pour organisation, B pour « ma boîte », E pour évolution professionnelle et Se pour salaire, afin d'expliciter les diverses dimensions du contrat. C’est une grille d’exploration du contrat social dans ses divers domaines, qui est utilisée comme support d’engagement réciproque, « qui s’engage à donner quoi », les bonnes décisions, les relations au travail, les relations professionnelles, les solutions, les marges d’autonomie…


L’évaluation annuelle est-elle un moment privilégié pour l’emploi de telles grilles ? 

Frédéric Petitbon : C’est un très bon moment mais toujours très difficile car en évaluation annuelle on a des figures imposées centrées sur les résultats... pour que ça marche le support doit pouvoir aider le collaborateur à prendre du recul et à comprendre son « contrat pour demain », ce qui oblige le responsable à donner de la visibilité sur le dessein qui est porté par le DRH, de même que sur les éléments de décor cachés, et à pouvoir dire « attention : tes résultats sont bons mais si tu restes comme ça dans 3 ans tu vas dans le mur , les sujets où tu es performant ne correspondront plus à ce que l’entreprise ou l’environnement demande ». Aussi, ce n’est pas facile pour le responsable d’accompagner les collaborateurs pour que tout se passe bien à moyen terme, et non pas de se satisfaire du seul résultat obtenu à court terme !


Pour un cabinet on pense notamment aux compétences internationales, cela devient vrai autant pour les grands groupes que pour les PME aujourd’hui…

Frédéric Petitbon : Oui et c’est bien sûr cette capacité à vivre dans un environnement international qui est recherchée. Donc capacités linguistiques, fonctionnement dans des systèmes de travail par objectifs plus précis, management par projets multiples, travail avec du personnel interne et externe, organisation internationale matricielle plus complexe, horizons plus courts termes [et le reporting individuel qui va avec]. Et là ça va de soi, ..?…, mais pas pour tout le monde ! D’où l’importance pour les dirigeants et les responsables d’équipes à bien décrypter les évolutions du monde, à les bien expliciter et que cela puisse apparaître dans un contrat à moyen terme qui seul doit permettre de maîtriser cela, ce qui peut passer par la possibilité de quitter l’entreprise de manière anticipée et qui doit apparaître de manière explicite dans le contrat. Il devrait apparaître de manière explicite que l’Up or out est devenu la règle. Mais pour l’instant tout le monde n’en convient pas. Et les entreprises et leurs managers doivent prendre à cœur l’accompagnement individualisé des projets professionnels de chacun de leurs collaborateurs !


On voit poindre là les besoins de formation chère aux syndicats ou encore, la portabilité chère aux politiques et l’on retrouve la notion de GPEC, qui pour autant perdrait son sens nous dit-on. Qu’en est-il ?

Frédéric Petitbon : Dans un contexte aussi complexe et évolutif, la GPEC devrait certainement être, [pour l’individu], plus humble dans ses objectifs, dans la mesure où l’enjeu n’est plus d’avoir une vision totale de son évolution aux temps longs mais de permettre de construire un cheminement centré sur des processus de carrière et aider à éclairer l’avenir. Je pense, par contre, que pour l’entreprise la GPEC doit contribuer à maîtriser les grands besoins de compétences, les métiers qui deviennent sensibles, les trous à combler en compétences de masse et elle doit permettre en retour au salarié de voir vers quoi il doit aiguiller sa carrière et quels écueils il doit pouvoir à moyen terme éviter. Donc la GPEC devient phare, balise, mais celle-ci ne doit pas avoir l’ambition de déterminer avec une grande précision le chemin de chacun.


Frédéric Petitbon, en conclusion, que doit-on retenir des réalités que vous avez évoquées, des principes présentés et de la méthode développée dans votre ouvrage « Restaurer la Confiance dans l’Entreprise  »

Frédéric Petitbon : Nous assistons aujourd’hui à une véritable perte de confiance dont aucune entreprise n’est à l’abri. Aussi, il est vital pour le collaborateur de pouvoir dessiner aujourd’hui le contrat qui le conduira demain, dans l’entreprise comme au dehors, à trouver sa voie, compte tenu des différents devoirs et engagements qui seront pris.  Pour l’entreprise, ce contrat devra expliciter ce qu’elle offre et demande à son collaborateur et devra aider à éclairer le chemin. L’ouvrage donne les clefs pour aller dans ce sens et s’adresse particulièrement aux dirigeants, managers, DRH en « recherche de confiance », ou de « restauration de cette confiance » et en travail sur leur modèle social, modèle qui devient aujourd’hui clairement plus ouvert.


Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine



Pour info :
Restaurer la Confiance

http://idrh.org/
http://idrh.org/idrh.php?page=idrh&&act=clients

Whoswoo :

Frederic Petitbon (en préparation)

Images :
Courtoisie IDRH 2011



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