Port Joinville

  Il pleuvait toujours sur Port-Joinville et, dans le petit cimetière qui alignait ses croix blanches et grises face à la gendarmerie, la tombe du maréchal Pétain proposait le bain de siège en option.

  Chaque année, le 11 novembre, une cohorte de nostalgiques de la francisque, bérets au vent et croix de feu sous le manteau, débarquaient flanquée d'un ramassis de crânes rasés bottés de cuir.  Le préfet, moins blasé que les islais ricaneurs, passait sa journée au téléphone, craignant sans doute que la gerbe présidentielle, discrètement héliportée, ne finît en bouquet garni.

  Permissions annulées, mes hommes faisaient la gueule et je résistais de mon mieux en relisant les "Mémoires de Guerre".

  En vingt-quatre heures, le jeune Bardin-Cardaillac était monté d'un cran dans ma mésestime: de banal dissimulateur aux lectures nauséabondes, il s'était, à la seule force de la préméditation, hissé au rang d'assasin en puissance. Comment qualifier autrement un fils à papa qui, après avoir surpris et identifié un cambrioleur responsable de l'hospitatlisation de son amie, éloigne la gendarmerie et court acheter, au prix fort, une pétoire au père Dada?

  La chasse étant fermée, il y avait du réglement de compte dans l'air et il devenait urgent de mettre la main sur l'inconnu au 4X4.

  Sur la vingtaine de véhicules suspects, les deux tiers avaient maintenant été innocentés et deux nouveaux témoins venaient de subir un contrôle technique.


Dominique Rocher
La mouche sans raison
Editions Publibook, Paris 2004