Carnets de voyage
Août 2009 Gilles Hanauer N'apprend rien d'eux, sinon tu vas mourir 2 Préface (suite) Mon journal avait décidé d’accorder une double page à cet étrange écrivain ayant parallèlement réussi à mener une brillante carrière en entreprise. Aujourd’hui, j’étais devant lui car il venait d’achever un ouvrage très attendu sur les tribulations d’une jeune diplômée débarquant dans une multinationale. Un livre faussement léger et toujours drôle. « Oui, arrive inéluctablement un moment où les rêves perdent leur sens », lâcha Hanauer, perdu dans les recoins de sa pensée et tandis qu’il touillait distraitement son café. Puis il ajouta : « Moi, ce fut presque à la dernière heure. Quelle naïveté ! » — Un désenchantement brutal ? dis-je. — Oui et non. J’avais atteint cette zone grise de l’âge, entre chien fidèle et loup mité, une zone de transit rapide entre être et avoir été, alors mon employeur ne me considérait plus que comme un coût supplémentaire. Je me voyais inviter – certains silences sont éloquents – à me saborder sans bruit. Entre nous, j’étais complice, ravi de quitter ce monde bizarre de l’entreprise. Je pouvais du même coup retourner à l’écriture, mon véritable métier, avec la guitare électrique et la photo. … Mais sans crier gare, Hanauer changea de sujet : — Vous aimez l’horrible spectacle de la corrida ? Je le savais de pensée assez déstructurée. D’ailleurs quelques années plus tôt, il avait écrit un livre intitulé Récits Proches, qui avait connu un certain succès. Un livre de nouvelles, excellentes certes, mais sans queue ni tête. En tout cas, pas un livre touchant à l’universel. Je répondis prudemment : — Bien entendu, j’exècre la corrida. — Un mauvais point pour vous, Monsieur le journaliste. Quand je pense à la corrida, je pense au taureau. Vous le savez, dans l’arène, où il rencontre pour la première fois l’homme à pieds, le taureau combat dans le vide de la muleta, cette étoffe rouge qui se dérobe toujours. — Et… ? (Les digressions reprenaient…) — Heureusement pour le matador que la bête ne poursuit que le vide. Mais, en une vingtaine de minutes, le taureau apprend tout. Dans le fracas des clameurs et l’apeurement des rivières de sang, il comprend que derrière la muleta se cache autre chose, son destin, un ennemi mortel. Alors, le taureau brave devient très dangereux, et c’est pourquoi le rituel prévoit, et précisément à cet instant, la mort. Il s’interrompit et me regarda au fond des yeux. — Où voulez-vous en venir ? dis-je, un peu agacé par la tournure sombre de l’entretien. — C’est pourtant clair : nous devons absolument mourir juste à temps. Juste au moment où le puzzle cynique du monde prend soudain forme dans notre tête. Il faut laisser la place à la candeur des jeunes, les futurs Petit Poucet ne se sachant pas encore à genoux devant les Puissants. — Les Puissants ? — Oui, cette poignée d’hommes qui se croient aux commandes du monde parce qu’ils le valent bien. >>>>> extrait n°3 Quantorg 2009
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