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Fév 2019
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Hommage

Disparition de Pierre Nanterme, P-dg d’Accenture

Pierre Nanterme
Images  : Accenture 2005    


Pierre Nanterme

Image :  Courtoisie Accenture 2019




Il dirigait depuis Paris le plus grand cabinet conseil au monde. Pierre Nanterme, P-dg d’Accenture est décédé le 31 janvier 2019 des suites d’une longue maladie. Conseiller des chefs d’entreprise du CAC 40 au SBF 120, il était de toutes les commissions qui comptent, l’hôte des plus grands forum comme celui des gouvernements. Jean-Luc Placet, qui lui avait succédé à la tête de la Fédération Syntec, rend hommage à son ami disparu


Jean-Luc Placet vous avez bien connu Pierre Nanterme, sa disparition a surpris le monde du conseil et pris de court ses amis...

Jean-Luc Placet :  C’est incensé. Je réalise à peine qu’il nous a quittés. Je me revois encore le taquiner au sujet de sa barbe il y a à peine quelques mois. Pierre était un homme merveilleux, chaleureux. Il avait eu cette opération il y a deux ans mais il avait si bien récupéré que tout cela semblait être du passé. Un an et demi après ça allait moins bien. Le 11 janvier nous avons appris sa brusque démission et son décès trois semaines plus tard.    


Pierre Nanterme dirigeait depuis Paris la plus grande société de conseil en management au monde... 

Jean-Luc Placet :
On peut le dire ainsi. Dans l’audit il y a les Big Four, tel PwC que mon cabinet a rejoint en 2015... mais pour ce qui est du conseil en management "pur" , même si aujourd’hui il se confond avec la transformation digitale, Accenture est devenu indéniablement un Leader mondial et c’est un Français qu’ils ont choisi pour le diriger, depuis Paris et pas Dublin comme beaucoup le pensent. Vous savez, il y a une clause dans le réglement d’Accenture que Pierre m’avait expliquée et qui dit que le CEO dirige depuis l’endroit où il est basé, idem pour les autres directeurs : Atlanta pour le directeur financier, Bruxelles pour le directeur des opérations, New York pour pour le DRH et Londres pour la stratégie... Etre proche du marché et éviter les phénomènes de cour, est semble-t-il une philosophie à laquelle on tient beaucoup chez Accenture. Pierre était à Paris donc il dirigeait depuis Paris ! Ce fût un grand honneur pour lui et un gage de reconnaissance pour le savoir-faire managérial français.  


Un savoir-faire français pas toujours reconnu à juste titre, point que vous connaissez bien en tant qu’ancien Président à la Fédération Syntec...

Jean-Luc Placet : Oh que oui ! Nous avons les meilleurs directeurs de grandes entreprises et les meilleurs consultants au monde mais cela ne se sait pas assez. J’avais justement succédé à Pierre Nanterme à Syntec Conseil en Management d’abord (aujourd’hui Consult’in France) puis au groupement GSEC... C’était une charge très lourde comme j’ai pu en juger, mais Pierre s’en était acquitté avec aisance. A ce titre il siégeait au MEDEF où il avait pris la présidence de son Comité Economique et où il participait aussi comme membre au Comité exécutif. Il y a si bien oeuvré que Laurence Parisot, alors patronne du MEDEF, l’avait sollicité à lui succéder. Selon moi Pierre aurait eu l’investiture sans coup férir s’il l’avait demandée et il aurait été un très bon président du MEDEF. Mais à l’époque il a décliné la proposition pour se concentrer sur Accenture, alors  en plein développement - une entreprise où il a fait toute sa carrière, 36 ans, ce qui est rare dans nos métiers.


Il y est entré,  je crois savoir, au bureau de Lyon...

Jean-Luc Placet : Pierre était en effet Lyonnais, et l’est resté de coeur. Au départ Il était jeune diplômé de l’ESSEC (1981) lorsqu’il intégre le bureau de Lyon en 1983, dans la division conseil, alors que ce bureau appartenait au réseau Arthur Andersen. Il y a donc fait ses débuts, mais rapidement le directeur du bureau de Lyon, qui avait été muté ailleurs, lui en a confié les rênes, en pleine récession. Un moment difficile donc, mais ce baptême du feu devait être déterminant. C’est là qu’il est réellement devenu un manager. Ensuite il a monté les échelons. En l’an 2000 comme vous le savez la branche conseil a été séparée de l’audit financier et a pris le nom d’Accenture. Pierre en est devenu le Président France en 2005 dans la suite de Benoit Genuini, puis en 2011 le Directeur général et enfin le Chairman et CEO, « P-dg en français » en 2013, succédant ainsi à Bill Green. Il s’est donc retrouvé du jour au lendemain à la tête d’une entreprise de plus de 250 000 collaborateurs... *. Rien qu’en France cette société de services compte aujourd’hui autant qu’Airbus, LVMH, Total ou encore L’Oréal... Avec les Big Four et quelques SSII elle fait partie des Rolls pour les étudiants qui entrent dans la profession.

450 000  collaborateurs pour  39,6 Md de dollars de CA en 2018 et 100 Mds de dollars de capitalisation boursière.


Pierre Nanterme

Images :  Courtoisie  Accenture  2013
Bill Green et Pierre Nanterme


Son ascension ne lui a pas monté à la tête dit-on... Quelles étaient ses qualités selon vous ?

Jean-Luc Placet : Le « petit Lyonnais » comme je l’appelai affectueusement, même s’il était grand de taille, était quelqu’un de simple. Il avait fait ses classes dans le métier et était très à l’écoute des autres. Très aimé des clients. Si je devais retenir des traits de son caractère, de son savoir-faire aussi, je dirai que premièrement c’était un « consultant » au plein sens du terme. Un vrai : analytique, synthétique et tourné vers le client. Pas un homme de système. Deuxièmement c’était un vrai chef d’entreprise. Or ces deux qualités sont souvent incompatibles. Donc c’était un bon consultant et un bon gestionnaire. Aujourd’hui les clients ont besoin de gens très pro, qui soient des partenaires technologiques, mais il faut aussi qu’ils soient des consultants et des dirigeants.


Des partenaires technologiques ? Il y a là une véritable explication de texte à nous donner, le mélange entre le Digital et le management reste aujourd’hui encore un véritable mystère...

Jean-Luc Placet : Vous mettez le doigt sur cette spécificité du conseil en management contemporain. Je n’entrerai pas dans les détails des spécialités propres à Accenture bien sûr, mais ce qu’il faut par contre retenir c’est que Pierre Nanterme a anticipé ce besoin vers ce qui allait s’appeler le Digital et transformé son entreprise en conséquence. D’une « quasi SSII qui faisait aussi du management » il en a fait un Leader du digital intégré* et un très grand « accompagnateur du changement
» dans les entreprises clientes. La restructuration d’Accenture qu’il a mise en place a été un chef d’oeuvre.  Et il a fait cela avec une « vision » sur le long terme : transformation digitale (Cloud, Cybersécurité, IA...) mais aussi formation* car avant de transformer le client il fallait déjà transformer Accenture... Aussi je dirai que sa troisième qualité, et celle qui reste la plus bluffante, c’est cette « vision », et cela « avant tout le monde ». Et cette vision n’a pas seulement impacté son entreprise mais toute la profession par son engagement auprès de Syntec et du MEDEF. Il m’avait dit : «  le conseil m’a tellement donné qu’il faut que je donne à mon tour une vision de l’entreprise à la profession ». Il le fera à travers Syntec et le MEDEF. Et à partir de 2008 il siégera aussi à la Commission Attali où il donnera son avis notamment sur la libéralisation des marchés. Et le marché du conseil est comme chacun le sait globalisé. C’est pour cette raison de globalisation que sa vision fut aussi sociale, sociétale, humaniste : diversité pour les recrutements, employabilité des collaborateurs, égalité homme-femme... Lorsqu’il est appelé aux plus hautes fonctions en 2011 c’est un homme rompu au conseil auprès des directions des grandes entreprises et auprès des gouvernements qui est coopté, mais c’est aussi et surtout un homme qui a réussi le changement dans sa propre entreprise sur la base d’une vision qui est choisi. C’est sa  « vision » qui est choisie. 

Aujourd’hui  60% de l’activité est dans les services soit 23 Mds de dollars de CA
Accenture a investit 950M$ sur 4 ans pour formé 350 000 collaborateurs

Au delà de son côté visionnaire, Il avait aussi ce petit côté humain qui fait qu’il était devenu votre ami...

Jean-Luc Placet : Oui, très humain mais encore plus. Si je devais retenir une ultime qualité, et ce serait la plus importante, je dirai la noblesse. Il était d’origine modeste mais il avait un extraordinaire sens artistocratique, mélange de distance et de proximité. Proximité car il était charmant. Mais avec une hauteur de vue non moins aristocratique, en lien avec cette vision qu’il avait des choses. Il avait certainement beaucoup travaillé pour cela et s’était forgé lui-même, mais Il n’y avait pas de théâtre chez lui... ce qui le distinguait des autres CAC 40 !  Et là j’en connais dont je pourrai dire qu’ils se fichent pas mal de tout ce qui se passe autour d’eux... Non, Pierre lui était différent, à la fois proche et lointain, attentif aux autres, visionnaire pour les autres. En cela on peut dire qu’il s’était élevé humainement et avait construit sa propre noblesse.  


Proche et lointain. On imagine qu’il l’est encore plus pour vous aujourd’hui... Les hommages ont été unanimes...

Jean-Luc Placet : Les Echos bien sûr. Challenge aussi, qui lui a consacré un long article qui repose sur une interview recueillie avant Noël - alors même que nul n’envisageait sa disparition. Selon ses collaborateurs les Tweets n’ont cessé d’affluer de tous bords : Tim Cook (Apple), Marc Benioff (Salesforce), Bill McDermott (SAP) et Nadella (Microsoft) ou encore
pour la France Jean-Pascal Tricoire (Schneider Electric), Geoffroy Roux de Bezieux, qui lui a rendu un hommage appuyé sur les sites du MEDEF et des Echos, et surtout le Chef de l’Etat, Emmanuel Macron, qui a posté un bel hommage sur le site de l’Elysée où il rappelle que Pierre était « un capitaine d’industrie visionnaire et audacieux ». A la cérémonie en l’église Saint Honoré d'Eylau les officiels ont été nombreux : Bruno Le Maire, Ministre de l’économie et des finances, Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’éducation nationale et directeur de l’ESSEC, Gilles Pellisson - l’actuel P-dg de TF1 mais aussi un des administrateurs d’Accenture – qui a fait son éloge... C’était très émouvant et la réception avec la famille qui devait suivre la cérémonie fut très chaleureuse. Mais ce qui me chagrine et me met par moment presqu’en colère c’est que les média généralistes n’en n’ont pratiquement pas parlé. Dix minutes sur le feuilleton Carlos Ghosn et à peine trois sur Pierre... En France les grands hommes du management restent inconnus du grand public, quand ce n’est pas des écoles tout court... Pourtant son départ est une vraie perte. Il était plus brillant que n’importe quel patron du CAC 40. Et il occupait le poste économique le plus important au monde : celui où l’on crée de la valeur pour les entreprises. Les gens sont passés à côté de quelque chose, à côté de quelqu’un. Quelqu’un d’exceptionnel. 

Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine 


Jean-Luc Placet
Images  : BV. ConsultingNewsLine 2018
 
Whoswoo:
Jean Luc Placet
Partenaire PwC
Ancien président de Syntec
Membre du CESE

 




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