Conférence
Juin 2009
 
FIT 2009 au Mans et au Bourget
One Giant Leap
Une analyse de la conquête humaine de la Lune en  juillet 1969

Par James R. Hansen


James R. Hansen est professeur d’histoire de l'astronautique à l’Université d’Auburn dans l’Alabama, USA. Il a écrit de nombreux ouvrages sur des sujets aussi variés que l’histoire de l’aérodynamique aux USA (une série en 5 volumes publiée par la NASA intitulée The Wind and Beyond – Le Vent et au delà), une biographie de Neil Armstrong (First Man – le Premier Homme) et récemment un retour sur l’accident de la navette spatiale Challenger (Truth, Lies and O’Rings – Vérité, Mensonges et Joints toriques). Le présent texte est celui distribué lors de la conférence qu'il a donné le 11 juin 2009 au Mans sur le Campus universitaire

James R Hansen + Bertrand Villeret
James Hansen était en juin l’hôte du forum FIT 2009 (Forum Innovation Transports), sur le Campus Universitaire du  Mans et au Musée de l'Air et de l'Espace du Bourget, forum organisé par l'Association pour le Prix de l'Innovation (API) en collaboration avec ConsultingNewsLine et le cabinet Nodal Consultants


One Giant Leap... ou "Comment y est-on arrivé" ?

Il y a quarante ans—avant les ordinateurs personnels, avant l’Internet, avant les portables, bien longtemps avant les iPods ou la télévision haute définition, dans les “temps médiévaux” que les jeunes d’aujourd’hui ne pourraient pas imaginer!—comment a-t-on réussi à quitter la planète mère, voyager 400000 kilomètres à travers la vide de l’espace, faire atterrir sur un autre corps céleste, faire un pas et explorer un terrain inhospitalier, et rentrer chez soi sans problème? Et faire tout cela avec succès pas seulement une fois, mais six fois en peu plus que trois ans. Comment était-ce possible? Qu’est-ce qu’il a fallu pour y parvenir?

Et il avait lieu pendant une époque très troublée.  Les années entourant l’été de 1969 constituaient une ère turbulente qui était entravée dans presque tout le monde par le malaise civil, les guerres, et la discorde d’une sorte ou d’une autre.  Dans une époque si difficile, même calomnieuse, comment est-ce qu’une des plus grandes accomplissements de l’histoire humaine aurait pu se passer?  En outre, pourquoi est-ce que le programme Apollo n’avait pas échoué lamentablement?

C’est mon grand plaisir de discuter le voyage incroyable qui a eu lieu il y a 40 ans en juillet, quand trois astronautes du programme spatial américain ont atterri pour la première fois sur la Lune.  Dans mon exposé, je me concentrai principalement sur les facteurs technologiques à la base du succès des missions Apollo—pas seulement Apollo 11, le premier atterrissage, mais aussi les vols ultérieurs.  Cela ne veut pas dire que beaucoup d’autres types de facteurs—concernant l’organisation économique et industrielle, la politique, le gouvernement, la société et la culture—n’avaient pas aussi joué des rôles cruciaux dans le succès du programme Apollo; ça, c’est vrai, bien sûr.  Mais ici, j’ai choisi de focaliser mon analyse plus sur les systèmes technologiques d’Apollo que sur les facteurs externes ou contextuels plus larges qui expliquent aussi son succès. 

D’abord, il faut souligner plusieurs facteurs générales à la base du succès du programme lunaire.

Premièrement, son objectif était si clairement et fortement défini, sans aucune possibilité de malentendu.  « Poser un homme sur la Lune et à le ramener sain et sauf sur Terre avant la fin de cette décennie. »  C’étaient ces mots que le président John F. Kennedy a prononcé résolument—des certains gens pensaient, follement—dans un discours au Congrès en mai 1961.  Et un objectif si clair était nécessaire pour surmonter l’audace de la promesse incroyable de Kennedy :  proclamer que la nation entreprendrait un voyage de 8 jours à la Lune, dans un temps où toute la base de données pour le vol spatial a consisté seulement d’une tentative faible de 15 minutes par l’astronaute Alan Shepard dans sa capsule Mercury quelques semaines plus tôt.  Les inconnus—dans la mesure où Kennedy en était même conscient—n’avaient pas d’importance :  la radiation, les météoroïdes, l’apesanteur, les systèmes de navigation, la fuséologie, la nature incertaine de la surface lunaire elle-même !  Les États-Unis voulaient atteindre la Lune, marcher sur sa surface, et faire tout cela avant la fin de 1969 !  Jack Kennedy a décidé que c’était dans l’intérêt national, le Congrès était d’accord, et c’était cela !  Si le président avait promis quelque chose moins claire ou audacieuse, personne ne l’aurait pris au sérieux—ou aurait été si motivé à croire dans la possibilité d’atteindre le but.
Deuxièmement, toutes les ressources nationales disponibles—et même quelques importantes ressources internationales—étaient employées. La direction de la NASA s’avérait être brillante en construisant la base la plus grande que possible avec l’industrie, les universités, et le gouvernement qui travaillaient tous ensemble.  À son apogée, le projet Apollo a employé 400000 américains dans le gouvernement, l’industrie, et dans les universités.  Vingt milles entreprises industrielles étaient engagées d’une façon ou d’autre.  Le programme a coûté 24 milliards de dollars dans les dollars des années 1960, mais ce chiffre était bien sous l’évaluation donnée au président, ce qui étaient de 20 à 40 milliards de dollars.  (Aujourd’hui, c’est l’équivalent de 170 milliards de dollars.)  Un atterrissage lunaire était cher, mais il n’a pas entraîné des scandales budgétaires ni des grands dépassements de coût.  

À la suite de l’engagement de Kennedy
d’atterrir sur la Lune, la NASA a dû décider rapidement sa méthode pour mieux transporter un vaisseau spatial avec les hommes à bord à la Lune et le ramener sans problème.  Cette décision pour le « mission mode » du vol lunaire, plutôt fondamentale, n’était pas facile à prendre.

La méthode la plus évidente était construire une machine qui se propulserait par la force brute
de la surface de la Terre jusqu’à la Lune par l’ascension directe, ralentir pour l’atterrissage, et puis décoller et retourner directement vers la terre.  Il perdrait les pièces pendant le voyage, mais il était essentiellement une machine.  Cette approche était nommée l’ « ascension directe. »

Mais les ingénieurs astucieux ont déterminé qu’une machine qui pourrait se séparer en parties serait mieux.  On pourrait lancer deux pièces indépendamment, par exemple, les joindre dans l’orbite terrestre, et puis avancer à la Lune.  Cette approche était nommée le « rendez-vous orbital terrestre, » ou EOR.

Une alternative était de garder ensemble toutes les pièces jusqu'à l’orbite lunaire, et puis séparer une péniche de débarquement qui retournerait au vaisseau mère en orbite après avoir exploré la surface.  Cette approche était le « rendez-vous orbital lunaire » (LOR).  L’avantage principal de ce mode était qu’il a permis l’emploi d’un vaisseau spatial adapté—un module de débarquement qui était petit et manoeuvrable—qui aurait pu laisser les plus grandes parties du vaisseau en orbite et puis y retourner après le débarquement.
Au sein de la NASA et de l’industrie aérospatiale, l’EOR et le LOR tous les deux avaient leurs champions.  Le groupe mené par Wernher von Braun au centre de vol spatial de la NASA à Huntsville, en Alabama, a préféré l’EOR.  Quelques ingénieurs au Langley Research Center en Virginie, mené par un défenseur infatigable qui s’appelait John C. Houbolt, étaient pour le LOR.  Bien que l’ascendance directe ait semblé le plus simple—une seule machine, aller et retour—la taille incroyable de la machine, pas seulement au lancement mais aussi sur la Lune, l’a vite éliminé comme une possibilité réelle.  Dès que l’équipe de la NASA a commencé à analyser comment atteindre la surface lunaire dans un vaisseau dont la taille était celle du Washington Monument, avec les astronautes à bord étonnés par les cratères qui avançaient vers eux, n’ayant pas d’autre choix que faire atterrir, mais encore peu sûrs si les fusées marcheraient sans problème et s’arrêteraient au bon moment, toutes les parties concernées se sont rendues compte que l’ascendance directe était hors de question.
Il fallait un peu plus d’un ans, jusqu’à juillet 1962, pour la NASA à prendre sa décision pour le rendez-vous orbital lunaire et, quand elle l’a pris, elle ignorait les fortes objections du conseiller en sciences pour le président Kennedy, Jerome Wiesner.  Comme les autres sceptiques, Wiesner croyait que le LOR courait trop de risque.  Si le rendez-vous était une partie nécessaire de la mission lunaire, il pensait qu’on devait le tenter seulement en orbite terrestre.  Si ce rendez-vous n’a pas réussi, on pourrait faire rentrer les astronautes menacés simplement en laissant pourrir l’orbite du vaisseau.   Si un rendez-vous lunaire a échoué, les astronautes seraient trop lointains pour être sauvés.  Rien n’aurait pu être fait.  Le spectre des astronautes morts en orbite autour de la Lune hantait ceux qui étaient responsables pour le programme Apollo et cette image a rendu particulièrement difficile une évaluation objective des mérites de l’approche.   

Le choix éventuel du rendez-vous orbital lunaire comme la méthode pour la mission était, comme beaucoup de décisions de la NASA de cette époque, une qui est montée d’en bas.  Comme mentionné précédemment, un ingénieur qui s’appelait John Houbolt de Langley était le premier champion du LOR, et il a convaincu les dirigeants du Manned Spacecraft Center à Houston, notamment le directeur du centre Robert Gilruth, qui avait travaillé pendant 20 ans à Langley avant de transférer en Texas. 

Les agents de Gilruth, à leur tour, ont convaincu l’équipe de Von Braun à Huntsville des mérites du LOR, et puis tous les deux centres se sont coalisés contre le siège social à Washington, ce qui tenait bon pour l’ascendance directe par la fusée géante envisagée, Nova.  Le directeur de la NASA, James Webb, est arrivé à soutenir le rendez-vous orbital lunaire, et il a donné son approbation, malgré l’opposition persistante des conseillers de sciences de Kennedy.

La vérité, c’est que, sans le choix du LOR comme méthode pour aller sur la Lune, l’atterrissage lunaire n’aurait pas pu été achevé avant l’heure limite de Kennedy.  En fait, sans le LOR, il est possible que même aujourd’hui—en 2009—personne n’aurait posé le pied sur la Lune.  Le commandant d’Apollo 11, Neil Armstrong m’a dit, au cours de mon recherche sur sa biographie, qu’il était d’avis que « si le mode LOR n’avait pas été choisi, le programme Apollo n’aurait pas réussi. »  Tous les autres modes « aurait été si complexes technologiquement qu’il y aurait été des
grands empêchements dans le programme, et probablement il aurait échoué au fil du temps. »

Avec un engagement concret au mode LOR, les stratèges de la NASA pourraient procéder logiquement avec la conception des machines diverses nécessaires pour l’atterrissage lunaire.  Von Braun et son équipe à Huntsville n’étaient pas sûrs si une fusée Saturn avec 4 ou 5 moteurs serait requise, et ils ont choisi sagement la plus grande conception, en laissant un marge pour la croissance inévitable du poids de la charge.  Un vaisseau mère, ou un
« Module de Commande, » ferait le voyage aller-retour.   Un entrepôt, le «  module de service, » serait attaché au module de commande.  Les deux seraient appelés le « Module de Commande et de Service, » ou CSM, ce qui amènerait un équipage de trois personnes, deux qui atterriraient dans le module lunaire.  Le « module lunaire » comportait deux étages—la moitié du bas, ou « l’étage de descente, » agissait comme une aire de lancement sur la Lune pour l’étage de remontée, ce qui retournerait au CSM.  Pendant l’atterrissage, le Module de Commande restait en orbite, avec une fusée de secours attachée en cas des problèmes sur l’aire ou au début du vol.  Le Saturn V aurait trois étages, le deuxième et le troisième utilisant l’hydrogène mais le premier employant le kérosène à cause de son réservoir plus petit.
 
Sans doute, une des décisions clés du programme Apollo était le choix d’hydrogène comme le carburant pour les étages plus supérieurs de Saturn.  Depuis longtemps, plusieurs ingénieurs de la NASA au Lewis Research Center à Cleveland étaient intrigués par la grande impulsion spécifique de l’hydrogène liquide comme propergol de fusée.  En théorie, l’hydrogène liquide pourrait fonctionner de 30 à 40 pour cent plus efficacement que le kérosène, ce qui était le carburant pour la fusée Atlas, ou l’hydrazine, le carburant du Titan II.  Dès 1903 Konstantin Tsiolkovkii de la Russe avait suggéré l’hydrogène liquide comme propergol de fusée, comme feraient plus tard Robert Goddard et Hermann Oberth, mais un changement à l’hydrogène pour Apollo n’était pas du tout une décision franche.  Comme les concepteurs du dirigeable allemand Hindenburg pouvaient attester, l’hydrogène était un gaz épineux et brisant.  Sous forme liquide, l’hydrogène ne se liquéfie qu’à
-253ºC, et il est difficile de le maintenir au-dessous de cette température dans les réservoirs et dans les tronçons de distribution.  De plus, l’hydrogène liquide est très léger—seulement 7% aussi dense que l’eau, ainsi il faut avoir les réservoirs immenses par rapport aux carburants conventionnels.  En considérant le pour et le contre, et en courant un très grand risque, un comité sous le directeur de Lewis, Abe Silverstein, a opté pour les moteurs de l’hydrogène liquide/l’oxygène liquide pour les étages supérieurs de Saturn.  Von Braun, au début sceptique, est vite devenu un partisan enthousiaste de l’hydrogène.  Rétrospectivement, la décision de ce comité d’utiliser l’hydrogène n’était pas simplement courageuse mais aussi sage, aboutissant à l’avance la plus grande dans la technologie des fusées depuis les V-2s de Von Braun pendant la Deuxième Guerre Mondiale.

Quelques mots sur l’exécution superbe de la fusée Saturn V :  De tous les défis techniques, la fusée Saturn V était certainement, dans l’estimation de tous, l’une qui était considérée le plus probable à causer les échecs massifs aussi que les délais.  Pourtant, dès son premier vol, la nouvelle fusée géante a presque fonctionné à la perfection.  Pas une seule fusée Saturn V, ni ses prédécesseurs, le Saturn I et IB, n’a jamais explosé.  Ce record reste inégalé par n’importe quelle autre famille de fusées.  Il est particulièrement étonnant quand on considère que le Saturn V a contenu 3 millions de parties.  En 1962, la fusée Atlas a été poussé à bout en lançant dans l’espace la capsule Mercury de John Glenn, qui pesait 1361 kilogrammes.  Moins de six ans plus tard, le Saturn V a lancé 113000 kilogrammes en orbite.  L’évolution de cette machine gigantesque et compliquée, et comment la NASA a fait ce bond en avant dans l’énergie et l’exécution, est, sans question, une des raisons principales pour le succès de l’atterrissage lunaire.

Mais il y avait d’autres…

Sans le projet Gemini, les atterrissages lunaires n’auraient jamais pu été achevés avec succès.  Le projet était le pont technologique des modestes origines du programme spatial américain avec le projet Mercury aux objectifs beaucoup plus grands du programme Apollo.  Aller sur la Lune par un rendez-vous orbital lunaire a fallu juste cela :  le rendez-vous orbital et aussi l’amarrage, les manœuvres beaucoup plus dangereuses et complexes que lancer une capsule en orbite.  La capacité de rejoindre un autre objet dans l’espace et puis relier avec lui était un condition absolue pour le mode LOR.  Les 12 missions du programme Gemini ont fourni des millions d’heures d’expérience pratique dans la préparation des véhicules spatiaux et dans leur traitement au Cap Kennedy.  Par ailleurs, le programme Gemini a exigé le développement de la filière requise pour le lancement de plusieurs véhicules.  Il a fourni les expériences en vol—en particulier pour le rendez-vous—qui étaient essentielles que la NASA comprenne.  Le programme a permis l’agence spatiale à concevoir la filière de communications avec multiples vaisseaux et l’a donné des occasions innombrables pour améliorer leur connaissance, leur expérience, et aussi la confiance de tous dans le programme.

Le débat sur le mode de la mission Apollo qui avait pour résultat une appréciation de la sagesse vitale du concept du rendez-vous orbital lunaire est un bon exemple des avantages d’avoir, même de promouvoir, un débat sain dans une grande organisation—peut-être en particulier dans une grande organisation technologique comme la NASA.  Chaque membre de l’équipe de la NASA était encouragé à exprimer son avis, aussi vigoureusement qu’on voulait, avant que la NASA a fait son choix, mais après, soutenir absolument la décision.

Cette force de la culture institutionnelle, ce qui a accepté l’argument technique et constructif, peut aussi être vue dans les opérations brillantes de l’équipe Mission Control qui a été assemblée à Houston.  Le « Mission Control, » qui a été déplacé d’un complexe simple au Cap Canaveral au début à une installation beaucoup plus élaborée à Houston pour le programme Gemini, était un modèle de la prise de décisions hiérarchique, une pyramide avec les experts extérieurs au bas, les spécialistes au milieu, leurs responsables vers l’haut, et, au sommet, le « directeur de vol. »  Le « Vol, » comme il était appelé, a dirigé une démocratie et une dictature toutes les deux.  Le processus était démocratique dans le sens que le « Vol » a sollicité activement les avis de ses constituants et il a donné du poids à leurs conseils, mais il n’a toléré aucun chaos.  Le « Vol » a dû prendre la décision finale, fréquemment en secondes, et la pyramide avait des règles et une procédure stricte pour lui aider.  Les informations sont venues petit à petit d’en bas, en devenant synthétisées et condensées sur la route.  Les questions sont descendues la pyramide aussi loin que nécessaire pour produire des réponses satisfaisantes.  Certains experts étaient situés dans les antichambres et ont téléphoné leurs supérieurs qui étaient dans une grande chambre centrale, dont un mur était couvert avec des cartes électroniques et d’information supplémentaire.  Opposés les grandes cartes étaient des rangées de consoles, des postes de travail avec des tubes des rayons cathodiques sur lesquels étaient exposés des milles des renseignements transmis par le vaisseau spatial et par l’équipage.  Au centre de ce temple de la technologie était assis le « Vol, » le grand prêtre, et près de lui le CAPCOM, qui a relayé sa sagesse accumulée à l’équipage.  

C’était un système remarquablement efficace et, pendant toutes les années du vol spatiale humaine dans le programme américain, jusqu’aux années plus tard de la navette spatiale, je ne sais aucun cas dans lequel le Mission Control a donné des mauvais conseils à un vaisseau en vol.  C’était aussi un système qui a fait un travail remarquable en préparant pour l’imprévu.  Ce type d’analyse des échecs s’est avéré être une partie essentielle du programme—et une partie inestimable quand le cas rare d’urgence s’est produit, comme dans le cas d’Apollo 13.

Tragiquement, le programme Apollo a éprouvé une tragédie humaine terrible. 
Le 27 janvier 1967, l’équipage de Gus Grissom, Ed White, et Roger Chaffe était en train de conduire un essai de routine sur l’aire de lancement au Cap Kennedy quand une incendie éclatait dans leur vaisseau spatial.  En secondes l’intérieur s’est rempli avec les flammes et la fumée.  La température intérieure
a grimpé à 1371ºC.  La combustion a propagé si vite que les membres de l’équipage n’avait pas l’opportunité à échapper, et ils sont morts de l’aspiration de la fumée et des brûlures en secondes.  La cause précise n’était jamais découverte, mais il est probable qu’un court-circuit a enflammé le matériel combustible dans la baie inférieure, ce qui a brûlé avec intensité dans l’atmosphère de 100 pour cent d’oxygène.  

Cet environnement de l’oxygène pure dans la conception originelle des Modules de Command était une des très peu mauvaises décisions prises dans le programme Apollo.  Dans l’espace, l’oxygène pure à 6 livres par pouce carré est un risque maîtrisable.   Mais sur l’aire de lancement, la NASA remplissait régulièrement les vaisseaux spatiaux Mercury, Gemini, et Apollo de l’oxygène à une pression un peu plus haute.  À 16 livres par pouce carré, l’oxygène accélère énormément le processus de la combustion—une cigarette entière serait réduit en cendres en quelques secondes.  Et il y avait beaucoup de matériel combustible dedans le vaisseau :  les livres, les vêtements, le grillage, les fermetures Velcro, l’isolant en caoutchouc. 
L’acier enflamme à 16 livres par pouce carré, et certains objets non métalliques presque explosent à une telle pression.  Quant à la raison pour laquelle toutes les ressources intellectuelles de la NASA et dans l’industrie aérospatiale n’avaient pas saisi le risque d’essayer au sol un vaisseau dans un environnement de 100 pour cent d’oxygène, l’histoire elle-même n’a pas de réponse solide.  Neil Armstrong m’a dit, « Il y avait des erreurs d’inattention.  Nous sommes été sortis indemnes pour un certain temps, car nous avons essayé comme ça pendant tout le programme Gemini, et je suppose que nous étions trop complaisants. »

L’incendie était horrible, mais il a changé la conception et l’opération du Module de Commande pour le mieux.  Il y avait plus de 1000 changements à la conception du vaisseau spatial, et l’oxygène pure n’est plus utilisé dans un vaisseau immobilisé, mais plutôt on emploie un mélange de 60 pour cent d’oxygène et de 40 pour cent de nitrogène.  De cette façon, quand le vaisseau s’élevait et la pression diminuait à 5 livres par pouce carré, l’oxygène pure remplacerait peu à peu le nitrogène.

En plus des changements technologiques au vaisseau Apollo, l’incendie avait aussi comme résultat une nouvelle gravité dans l’entreprise spatiale entière—un sentiment renouvelé de dévouement et d’attention aux détails.  Pendant mes interviews pour la biographie, Armstrong a remarqué :  « Nous étions donné le don de temps.  Nous n’avons pas voulu ce don, mais on nous a donné des mois et des mois non simplement pour réparer le vaisseau spatial, mais aussi repenser toutes nos décisions précédentes, nos plans, nos stratégies et changer beaucoup de choses pour le mieux .  Tous ceux qui n’occupaient pas des choses liées à l’incendie étaient donné une pause, une opportunité de rattraper leur travail. »

Rétrospectivement, quelques fonctionnaires du programme Apollo croient que, si l’incendie sur l’aire de lancement n’avait pas eu lieu, il est possible qu’on n’aurait jamais achevé le but d’atterrir sur la Lune, si importante était-ce que la NASA réévalue sa filière et produit un vaisseau spatial de qualité supérieure.  Le coût de l’incendie dans la capsule Apollo était trois vies, 18 mois de délai, et 400 millions de dollars en plus.  Quand même, cinq ans après la tragédie, 12 hommes avaient posé le pied sur la Lune, desquels quatre avant la fin de la décennie. 

Un élément essentiel du succès du programme Apollo était ses ordinateurs à bord.  Aussi primitifs qu’ils nous semblent aujourd’hui, les ordinateurs de navigation à bord le Module de Commande et le Module Lunaire étaient en leur temps extrêmement sophistiqués.  Développé au début des années 1960 pour le programme spatial par le Laboratoire d’instrumentation de MIT sous la direction de Charles Stark Draper et fabriqué par la société Raytheon, l’ordinateur était le premier système moderne « special-purpose » (ou « embarqué ») à utiliser les circuits intégrés (environ 4000 d’eux), et à être utilisé par les astronautes en « temps réel » pour rassembler et fournir l’instrumentation de vol et contrôler automatiquement toutes les fonctions de la navigation du vaisseau Apollo.  Dès le premier atterrissage lunaire, l’ordinateur de navigation était à la traîne de la technologie contemporaine sur le plan de pouvoir et de mémoire, mais là n’est pas la question, car Apollo, comme d’autres programmes spatiaux, avait un calendrier de plusieurs ans et ses systèmes étaient d’une complexité extrême.  Bien qu’il ait eu des problèmes et des limites, l’ordinateur de navigation pour le programme Apollo était une étape importante sur les plans de la conception du matériel et de la gestion du logiciel, et il a établi les fondations pour le SpaceLab et le développement des systèmes pour les ordinateurs de la navette spatiale.  On a souvent dit que les ordinateurs qui ont rendu possible l’atterrissage lunaire n’étaient pas même aussi puissants que les ordinateurs d’aujourd’hui dans nos calculatrices de poche ou nos portables.  Mais sans ces ordinateurs, l’atterrissage lunaire n’aurait pas été possible.   

Finalement, comme biographe de Neil Armstrong, je ne peux pas conclure mon analyse des éléments essentiels au succès des atterrissages lunaires sans souligner la qualité remarquable, et l’entraînement superbe, de ceux qui ont piloté ces missions, les astronautes.  Dès l’époque du programme Apollo, les astronautes étaient loin d’être « spam in a can. »  Ils faisaient les choses qu’un chimpanzé ne pourrait jamais faire.  Ils étaient des jeunes hommes dévoués, extrêmement intelligents, et ambitieux avec une passion de voler et de la technologie de vol, et ils avaient le dynamisme et la ténacité d’achever l’objectif.  J’ai fait connaissance avec beaucoup de ces hommes et ils sont tous extraordinaires.

Seulement neuf sur douze des hommes qui ont posé le pied sur la Lune sont encore vivants.  Leurs âges rangent de 74 à 80 ans.  En 2019, quand nous célébrons l’anniversaire cinquantième d’Apollo 11, la plupart de ces hommes aura presque 90 ans.  Il y aura un jour pas très lointain où tous seront morts.

Ca va être étrange pour ceux qui, comme enfants, sont grandis dans une époque où aller en espace, encore moins sur la Lune, nous a semblé comme la science-fiction, matière à Jules Verne et Buck Rogers.  Entendre « Tranquility Base here.  The Eagle has landed » et regarder Neil Armstrong pose le pied sur la surface d’un autre corps céleste, ces moments inoubliables de juillet 1969 ont rendu l’existence de chaque personne vivante unique pour toute l’histoire.  À ce moment-là, aujourd’hui aussi, être allé à la Lune pendant nos vies mais vivre assez longtemps pour regarder tous ceux qui l’a fait quitter encore une fois ce monde pour un autre, ça me semble étrange—peut-être plus étrange que leurs premiers départs.

Un jour, rassurez-vous, d’autres personnes leur emboîteront le pas.  Et quel pas !  Au-delà du succès technologie d’Apollo, les atterrissages lunaires représentent une victoire de l’esprit humaine, si votre esprit apprécie l’exploration. 

C’est mon espoir que, pendant les célébrations de l’anniversaire d’Apollo 11 partout dans le monde, on n’oubliera pas comment formidable était l’entreprise du programme.  Que d’aller sur la Lune n’était seulement une entreprise technologique, mais aussi artistique—et pour quelques-uns, spirituelle.  Le même type d’imagination créative qui a permis Michel-Ange à créer ses fresques sur la voûte de la chapelle Sixtine a aidé les ingénieurs de la NASA à construire leur vaisseau spatiale.  Comme Michel-Ange avait besoin de confiance dans ses talents pour l’encourager pendant les longues années de son effort, le foi était aussi au sein de ce qui a emporté nos esprits et nos cœurs sur la surface de la Lune.

Merci.

Dr. James R. Hansen
Auburn University Professor



Whoswoo
Dr. James R. Hansen est professeur d’histoire et directeur du Honors College à l’Université d’Auburn, en Alabama, aux Etats-Unis.  Il est auteur de First Man, une biographie primée de Neil Armstrong, qui a passé trois semaines sur la New York Times Bestseller List.  En 1995 la NASA a sélectionné son livre Spaceflight Revolution pour un prix Pulitzer, la première fois que la NASA a jamais fait une telle sélection.  Son érudition a aussi été honorée avec le prix Robert H. Goddard par le National Space Club et avec les Certificats de Distinction par la Fondation historique de l’Air Force.  En 2005 la Société pour l’histoire de la technologie a décerné son livre The Wind and Beyond, une série en six volumes sur l’histoire de l’aérodynamique, le prix inaugural Eugene Ferguson pour l’Œuvre de référence remarquable.

L’auteur de dix livres et de nombreuses articles et chapitres, le livre le plus récent de Hansen est Truth, Lies, and O-Rings : Inside the Space Shuttle Challenger Accident avec coauteur Allan J. McDonald, qui fut longtemps chef du programme Solid Rocket Booster pour la navette spatiale.  En novembre 2008, Jim a fait un discours sur les vols sans précédents de l’irlandais Harry Ferguson, le premier à voler un avion motorisé dans la Grande-Bretagne ou en Irlande, à la conférence, « La conquête de l’air, naissance d’un nouvel imaginaire ? 1900 – 1920, » à l’Université du Maine.



Lien vers l'interview :

James R. Hansen & Neil Armstrong
James R. Hansen & Neil Armstrong

Pour info :
http://www.auburn.edu/~hansejr/

Whoswoo :

James R. Hansen

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Images du programme Apollo : source NASA




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