L'invité de la
rédaction
Juin-juillet 2005 Spécial Le Bourget 2005 Interview: Philippe de
Saint Aulaire
Silencieux,
peu gourmand et capable d'emporter 555 passagers, le nouvel Airbus A380
est en passe de révolutionner le transport aérien. A
l'origine de cette réussite annoncée une démarche
novatrice: la prise en compte de l'environnement dans la conception et
le développement de l'appareil. Directeur Environnement d'Airbus Monsieur de Saint Aulaire, vous êtes le Responsable des questions environnementales pour Airbus. Le nouvel A380 passe pour être le tout premier avion au monde pour lequel les considérations environnementales aient présidé à sa construction. Qu'en est-il? Philippe de Saint Aulaire: Vous savez, Airbus a bâti son succès sur sa capacité à écouter et à prendre en compte les attentes des parties prenantes liées à son activité: clients, employés, public, actionnaires, autorités, aéroports... Cette écoute nous aide à tracer nos directions. De plus, grâce à une activité Recherche et Développement forte (10% de notre CA), nous nous efforçons de mettre sur le marché, au moment opportun, le produit le plus efficace qui soit en termes d’économie, de performance et d’environnement. L’A380, comme tout autre produit de la gamme Airbus, bénéficie de cette approche. Maintenant, l’environnement a-t-il présidé à son développement? Oui, me semble-t-il, dans la mesure où les attentes et les exigences en matière d’environnement n’avaient encore jamais été aussi importantes. La performance de l’A380, comme tout autre avion, est le résultat d’un compromis entre une multitude de paramètres, parmi lesquels les paramètres environnementaux, qui ont fait partie des "Top Level Aircraft Requirement" (TLAR) de cet avion. Par exemple, si nous avions eu une spécification moins stricte en matière de bruit, nous aurions pu avoir un gain de consommation légèrement supérieur à celui, déjà très conséquent, que nous avons obtenu (12% par rapport au 747–400). En cela nous pouvons effectivement dire que les considérations environnementales ont présidé à la construction de l’A380. Quelles sont les dispositions environnementales prises sur cet appareil et ses performances au bout du compte? Philippe de Saint Aulaire: Tout avion se doit de disposer des technologies disponibles les meilleures et les plus fiables au moment où il entre en service. Les principaux domaines sur lesquels nous travaillons pour améliorer la performance environnementale des avions sont les matériaux, l’aérodynamique, les systèmes, et les moteurs. Côté moteurs nous avons fait appel, pour les quatre réacteurs de l’A380 d’une poussée unitaire d’environ 80 000 livres, à deux motoristes : Rolls Royce d’un côté et Engine Alliance (General Electric - Pratt & Witney) de l’autre. Les performances de ces moteurs répondent avec une marge confortable aux normes de l’OACI, notamment en ce qui concerne les émissions de Nox, qui doivent être réduites de 12% en 2008 par rapport à la norme précédente. Un résultat qui n’est pas si facile à obtenir par les motoristes lorsque l’on sait que le gain nécessaire en CO2 (chambres à haute pression et température élevée) ne va pas dans le sens du gain en NOx sur lequel on joue en réduisant le temps de séjour et la température dans la chambre de combustion. De plus, il a fallu optimiser ces exigences avec la nécessité d’obtenir un gain sensible en matière de bruit. C’est ce que nous avons également réussi à faire en réduisant le bruit de –3 décibels, ce qui correspond à une énergie sonore réduite de moitié. Pour vous donner un exemple, un Boeing 747-400 transportant 420 passagers, dégage la même énergie sonore que deux A380 qui emportent, pour leur part, au total deux fois 555 passagers, soit 1110 passagers. Les bénéfices en terme de réduction de la consommation de carburant sont à la fois économiques et environnementaux. Ainsi, l’A380 ne consommera que 3 litres de kérosène par passager au 100 km, soit moins qu’une voiture diesel pour une vitesse pourtant plus de 6 fois supérieure. Cela correspond à un niveau d’émissions de CO2 inférieur à 80 grammes par km. Rappelons à ce titre que l’objectif de l’industrie automobile européenne est d’obtenir un niveau inférieur ou égal à 140 grammes de CO2 au kilomètre en 2008. Je pense que nous pouvons être fiers de la performance de l’A380 et que nous devons continuer dans cette voie pour nos prochains produits. Ce qui ne doit pas réjouir les Américains. On dit qu'au départ cet avion devait être construit en collaboration avec les USA. Peut-on rappeler les origines du programme et son déroulement? Philippe de Saint Aulaire: Il est vrai que dans les années 94 - 95 Boeing a travaillé sur le VLCT (Very Large Commercial Transporter) en approchant les quatre membres du GIE Airbus, qui étaient DASA (Allemagne), Aérospatiale (France), British Aerospace (Royaume Uni) et CASA (Espagne), chacun étant libre de travailler avec d’autres avionneurs. Néanmoins, le projet n’avançant pas très vite, Airbus a adopté une autre option consistant à dire «s’il y a besoin d’un gros porteur on le fera seul». Afin de cerner très précisément les besoins, Airbus s’est alors lancé dans des réflexions poussées avec ses partenaires industriels traditionnels, ainsi qu’avec les compagnies aériennes. Ces réflexions ont débouché sur le lancement commercial de l’A380 en juin 2000 puis à son lancement industriel en décembre 2000 et son 1er vol le 27 avril 2005. Les premières livraisons sont prévues au second semestre 2006 pour Singapour Airlines. Deux philosophies pour les gros porteurs semblent s'affronter aujourd'hui, celle du B787 et celle de l'A380. Pouvez-vous nous éclairer sur cet aspect stratégique? Philippe de Saint Aulaire: Il n’y a pas opposition entre ces deux avions car ils ne sont pas en concurrence directe. En effet, Boeing base son offre de produits sur l’hypothèse qu’il n’y a pas de marché pour un gros porteur. Par conséquent, il développe un appareil du type B787 sur le segment des 250-300 places, censé relier directement deux destinations "Point to Point" sans passer par les gros aéroports principaux que nous appelons "Hubs". Chez Airbus, nous pensons aussi que ce marché "Point to Point" va se développer, notamment pour absorber une partie de la croissance du trafic (5% par an). C’est pour cela que nous avons notre gamme A330/340 et que nous travaillons sur le futur A350 qui devrait entrer en service en 2010. Mais nous pensons aussi que sur certaines routes, il sera non seulement difficile de rajouter des vols supplémentaires - pour des raisons d’infrastructure, voire d’environnement – mais aussi économiquement plus intéressant d’exploiter des gros porteurs. Satisfaire la demande croissante sur ces routes-là passe inéluctablement par un avion du type A380. C’est ce que nous ont démontré nos études de marché; c’est aussi ce qui explique la confiance des compagnies aériennes, qui nous ont déjà passé plus de 150 commandes fermes alors que l’avion vient seulement d’effectuer son premier vol. Comment s'est traduit l'engagement environnemental au départ ? Y avait-il une "Lettre de mission", une organisation dédiée? Philippe de Saint Aulaire: Les quatre piliers de la "feuille de route" de l’A380 étaient les suivants: performance, capacité, économie, et environnement. Ces quatre axes ont été nourris par le processus d’écoute dont je vous ai parlé précédemment et par un travail d’équipe effectué avec les compagnies aériennes, les aéroports et autres prestataires de service dans le monde entier tout au long de la définition et de la conception de l’avion. Le but était de préparer un avion, en soi très novateur, mais n’entraînant qu’un minimum d’adaptation des infrastructures et du système d’exploitation existants ; en matière d’environnement, nous avons travaillé aussi bien avec l’équipe spécifique marketing A380 qu’avec l’équipe en charge des questions d’infrastructures. Comment travaille-t-on au quotidien quand on est Responsable de l'environnement d'Airbus? Etes-vous "sur le dos" des ingénieurs ou y a-t-il une organisation déjà institutionnalisée, voire planifiée avec des objectifs fixés dans les programmes? Philippe de Saint Aulaire: Non, on n’est pas sur le dos des ingénieurs car on a développé l’intégration de l’environnement dans notre culture. Le développement d’une culture environnementale interne est un travail progressif mais de tous les instants. Aujourd’hui un ingénieur pense bien évidemment et avant tout sécurité, mais également économie, environnement et performance. Si nous étions "sur le dos" des ingénieurs comme des "empêcheurs de tourner en rond", je ne pense pas que nous aboutirions à une telle adhésion de leur part. Ceci dit, je dirais que l’environnement est quelque chose de quasiment "congénital" chez Airbus. En effet, depuis que le transport aérien s’est développé pour devenir un mode de transport de masse, la réduction de la consommation de carburant a toujours été un leitmotiv pour le constructeur. Du reste, moins l’avion consomme, moins il y a de carburant à bord, et plus il y a de passagers et de marchandises. De façon similaire, pour une charge marchande donnée, plus la masse à vide de l’avion est réduite, plus la puissance nécessaire à sa propulsion sera réduite et donc plus sa consommation et son bruit seront réduits. Améliorer ces rapports est tellement naturel et nécessaire que cela me conduit à dire que la prise en compte de l’environnement est effectivement quasiment "congénitale". Mais au quotidien comment cela se passe-t-il? Votre équipe, vos méthodes? Philippe de Saint Aulaire : L’impact environnemental de nos activités et de nos produits, on s’en occupait avant la création de mon service en 2000. Quand je suis arrivé on m’a demandé de structurer la prise en compte de l’environnement au sein d’Airbus. Mon service est rattaché à la Direction Générale au travers de l’ "Executive Vice president External Affairs and Governmental Relations", qui rapporte lui-même au Président. Ce rattachement illustre l’importance donnée par Airbus à la prise en compte de l’environnement et permet de travailler de façon transversale. Notre équipe d’environ douze personnes est focalisée sur trois axes pour lesquels il existe trois responsables: une personne "Produit", une personne pour l’aspect "Industriel", en charge de la gestion des impacts environnementaux de nos activités industrielles en Europe et une personne pour l’aspect "Business & Communication". On a ensuite des représentants fonctionnels supervisant les travaux dans chacune de nos filiales (Royaume Uni, Espagne, Allemagne et France). Chacun des représentants de nos filiales anime les responsables de sites (Airbus a 16 sites en Europe). A travers un système de reporting approprié, nous travaillons en boucle fermée et à partir de là, le rôle de mon service est de développer et mettre en place les moyens d’une amélioration continue de l’impact environnemental de l’ensemble de notre activité incluant le produit lui-même tout au long de son cycle de vie. Il semble donc, qu'au-delà de l’avion lui-même et de son cycle de vie, c'est l'ensemble de la chaîne de production industrielle d'Airbus qui est concernée par l'environnement. Pouvez-vous nous en toucher un mot? Philippe de Saint Aulaire : Nous sommes en train de mettre en place le système de management environnemental ISO 14001 couvrant les aspects industriels et produits. Ce système nous permettra notamment d’agir plus efficacement sur la conception de nos produits afin de prendre en compte l’ensemble des impacts environnementaux tout au long de leur cycle de vie. Notre objectif, c’est la mise en place de la certification sur chaque site avec au bout du compte une certification globale, sites et produits en 2006 au niveau Corporate. Nous avons démarré début 2004, et fin 2004 nous avions déjà six sites certifiés (deux au Royaume Uni, un en Allemagne, deux en France et un en Espagne). L’étape suivante est la certification Corporate sous un seul et même certificat avec au total seize sites et l’approche produit, et ce pour fin 2006. Les sites certifiés à ce jour l’ont été par deux organismes indépendants : DNV et LRQA. En conclusion du Bourget 2005 si vous deviez retenir une idée, une impression, en rapport à l'environnement, qu'elle serait-elle? Philippe de Saint Aulaire: Il est clair que la plupart des regards, cette année, étaient tournés vers l’A380 puisque c’était la première fois que le grand public pouvait le découvrir en évolution en vol. Je pense qu’au-delà même de cette découverte, l’impression dominante, qui nous a été rapportée par un grand nombre de visiteurs au Bourget, restera le faible bruit généré par cet avion et pour beaucoup, ce fut une bonne surprise. Pour nous en tout cas, cela concrétise des années d’efforts, de recherche et d’optimisation. Propos recueillis par Bertrand Villeret Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine Pour Info http://www.airbus.com Whoswoo Philippe de Saint Aulaire Copyright Quantorg 2005 pour ConsultingNewsLine All rights reserved Reproduction interdite |
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