La Chronique de Pierrre Zimmer



2010

Bouc émissaire : mode d'emploi 

Nous vivons un temps déraisonnable, disait Aragon. Surtout une époque irresponsable où nous passons notre temps à chercher les coupables et les responsables de nos maux...

La crise ? C’est la faute à l’inconséquence, l’incompétence et l’impéritie des banquiers et de leurs instruments financiers. Notre pouvoir d’achat qui baisse ? C’est la faute aux distributeurs qui exploitent outrageusement les petits producteurs. Le stress au travail ? C’est la faute aux patrons voyous qui exigent toujours plus de leurs salariés. La météo pourrie ? C’est la faute au réchauffement climatique, aux insecticides, aux centrales nucléaires. Les incivilités à l’école ? Parents laxistes et permissifs d’un côté, enseignants dépassés et débordés de l’autre. L’insécurité ? Alors là, c’est facile, ce sont les nomades, les gens du voyage et autres chapardeurs et voleurs de poules qui font grimper les statistiques. Le danger, c’est l’étranger. Qu’il faut chasser, expulser, renvoyer systématiquement sur sa terre d’origine. L’enfer, c’est les autres, le refrain est connu. Le rejet, l’intolérance, le refus de la différence n’ont jamais fait bon ménage avec l’intégration et l’acceptation du prochain. Bien sûr, on peut aisément comprendre que les actes d’incivilités répétés dans certaines banlieues exacerbent les passions et expliquent, sans les justifier, des comportements et des opinions extrêmes. Il n’est pas question ici de confondre l’angélisme rêveur avec l’humanisme réfléchi. Mais il est dangereux de stigmatiser une population et de la vouer aux gémonies et à la vindicte populaire. Quand la boîte de Pandore est ouverte, il s’en échappe des relents abjects et délétères.

Le bouc émissaire est bien pratique : il a pour faculté de nous déresponsabiliser. Il nous permet de chercher ailleurs la cause de tous nos grands maux, nos gros problèmes et nos petits soucis. Il existe tout une littérature sur ce thème. Le philosophe René Girard est certainement celui qui a le mieux démonté les mécanismes de ce processus pernicieux. Boris Vian aussi, dans un autre registre : Les Bâtisseurs d’empire ou le Schmürz est une tragédie burlesque écrite en 1959, l’année de sa mort, qui met en scène une famille chassée de sa propre maison par un bruit étrange et mystérieux. Le bruit en question serait peut-être dû à la guerre du dehors, au désordre social de l'extérieur. Les personnages logent dans une tour à logements, et dès qu'ils entendent le bruit, ils déménagent à l'étage au-dessus, emportant à chaque fois un peu moins de matériel avec eux. Un homme en loques, une espèce de victime de la guerre ou d'on ne sait quelle peste, est présent dans chacun des appartements dans lesquels ils emménagent, qui sont de plus en plus petits. Il s'agit en fait du Schmürz et ce dernier se fait maltraiter tout au long de la pièce. Presqu'à chaque réplique d'un personnage, le Schmürz reçoit de violents coups de pieds, de poings, de barre de fer.

Autre référence littéraire : la Bible. Azazel était un lieu dans le désert vers lequel un des deux boucs était envoyé par le grand prêtre pendant l’office de Yom Kippour au temple de Jérusalem. Ce bouc devait porter avec lui « tous les péchés » d’Israël, d’où le concept de "bouc émissaire".  Aujourd’hui, en hébreu moderne, « va à Azazel » équivaut à notre expression « Va au diable ». Je me demande si nous y sommes pas, justement.

Pierre Zimmer
Conseil en communication et essayiste


Derniers ouvrages parus :

« Surtout, ne changez rien » aux éditions d’Organisation (2006)
« Et l’intolérance, bordel ! » aux éditions du Palio (2008)


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