La valeur de nos valeurs

Nos valeurs, celles des Français, c’est-à-dire nos croyances, nos convictions et les grands principes auxquels nous sommes particulièrement attachés, ont changé. En mieux ? Ont-elles évolué ? Pas sûr. Une grande enquête « La France à travers ses valeurs », la quatrième de ce type depuis 1981, vient d'étudier les modifications de nos mentalités et de nos comportements dans les principaux compartiments sociaux, de la famille aux institutions, de notre relation au travail à la vie en société.

Avec l’œil d’un entomologiste, observons au microscope le résultat de cette étude. Tout d’abord, ce qu’il ressort de l’enquête, c’est que l’évolution est lente. Pas de révolution radicale et sanglante mais un long processus progressif de changement des mentalités. C’est le terme d’individualisation qui s’adapte le mieux à cette évolution progressive. Attention, ne pas confondre stupidement individualisation avec individualisme. Les rédacteurs de l’étude définissent l’individualisation comme l’adoption d’une culture de son choix, l’affirmation de son autonomie, la capacité d’orienter son action sans contrôle ni contrainte. À croire que chacun serait devenu adulte !

En revanche, l’individualisme est le culte du « chacun pour soi », l’égoïsme institutionnalisé. Les Français seraient-ils soudain devenus altruistes et solidaires ? Ils le sont, sans conteste, à l’occasion de grandes catastrophes planétaires mais comme toutes les autres nations, bouleversées par une émotion brutale et débordante. Cependant, l’altruisme et la solidarité ne sont pas des valeurs en hausse constante. Elles stagnent plutôt dans un étiage de 20 à 25 % entre 1981 et 2008 quand nos concitoyens affirment faire spontanément confiance à leurs semblables.

Comme chacun semble vouloir avoir la maîtrise de sa vie et de sa sexualité dans cette démarche d’individualisation, l’euthanasie, le divorce, l’avortement et l’homosexualité sont considérés de plus en plus comme des démarches légitimes. Dans les domaines politique et religieux, c’est pareil : ce prurit d’autonomie permet à chacun de mitonner son propre cocktail de convictions, un peu ou beaucoup décalé des grands systèmes constitués.

Cette tendance à l’individualisation semble en constante progression, non seulement en France mais dans les pays européens les moins traditionnels et les plus porteurs d’une modernité affirmée. Autre tendance assez révélatrice de notre époque : la demande d’égalité devient plus importante que celle de liberté. Cette préférence, on s’en doutait, est surtout notable dans les populations à faibles revenus, mais sans distinction d’attachement à la gauche ou à la droite.

Enfin, dans cette enquête fouillée qui fait le recensement de nos valeurs, celles qui ont la cote et celles qui deviennent has been, il ressort que nos concitoyens sont fiers d’être Français et sont moins xénophobes. Alors, les Français plus ouverts, moins racistes, plus tolérants ? Permettez-moi d’en douter. Une récente enquête, une autre, réalisée cette fois par le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) vient de révéler que 59 % des minorités visibles (ou plutôt invisibles) se disent avoir été victimes de discriminations dans les cinq dernières années. Il ne faudrait pas se féliciter trop vite de nos valeurs humanistes alors que notre modèle d’intégration ne fonctionne pas ou fonctionne mal ; et l’on n’a pas pris en compte les populations maghrébines ou de confession musulmane. Mais les statistiques ethniques sont toujours interdites en France. Difficile alors de tirer des conclusions chiffrées. Droit à la différence ou droit à l’indifférence ?