Fédéral
3 juillet 2009   

Interview : Jean-Luc Placet, Président
                    Syntec Conseil en Management

Avec 6 % de croissance en France, selon les chiffres de Syntec Conseil en Management, l’année 2008 s’inscrit en net recul par rapport à 2007, laquelle avec près de 14 % de croissance matérialisait le grand retour du conseil vers les hauteurs après le ralentissement de 2002-2003. Las, une crise qui avançait jusqu’ici à couvert a fait son apparition en septembre 2008 et a conduit à un 1er trimestre 2009 qui impacte déjà le résultat des entreprises de conseil. Quel bilan peut-on déjà tirer du premier semestre 2009 ? Quelles prévisions peut-on faire pour 2009 et 2010 ? C’est ce que tente d’établir pour nous Jean-Luc Placet

Jean-Luc Placet comment va le Conseil en Management au vu des chiffres que Syntec vient de publier ?

Jean-Luc Placet : Ni  bien ni mal. Nous ne  sommes pas les plus touchés. On avait une croissance de + 14% en 2007, on vient d’annoncer + 6% pour 2008 et le premier semestre 2009 prévoit une baisse, donc c’est un peu décevant mais pas calamiteux.


Comment est apparue pour le conseil cette crise que certains consultants voyaient venir mais dont on reportait par l’esprit l’arrivée ?

Jean-Luc Placet : Notre métier est arrivé dans la crise en novembre avec des carnets de commandes pleins mais des projets qui n’ont pas démarrés. Donc une entrée dans la crise tardive avec des effets qui sont apparus progressivement, reports de missions etc... Dans l’ensemble 2008 a été convenable mais les 3 premiers mois 2009 ont été calamiteux.


Trois mois de baisse c’est long ! On devrait passer en croissance négative pour 2009 ? Certains cabinets sont-ils plus menacés que d’autres ?

Jean-Luc Placet : Les petits et les moyens s’en sortent mieux car ils ont réagis très tôt contrairement aux gros qui sont entrés dans la crise plus tard. On escompte entre – 5% à – 10% pour 2009, et ce avec une visibilité faible : on  envisage le mois de septembre, mais on ne voit pas le mois d’octobre… il y a pire que nous mais cela reste très complexe pour tout le monde.


Donc  pour l’instant, pas de reprise en vue et un manque total de visibilité sur l’activité, même à court terme ?

Jean-Luc Placet : On n’a jamais été un métier à visibilité forte mais là on est passé à une visibilité faible, disons que l’on passe d’une visibilité de 3 à 5 mois à une visibilité de 1 mois et demi pas plus.


Et là les petits et les moyens s’en sortiraient mieux que les autres ? Comment expliquer cela ?

Jean-Luc Placet : [Comme je l’indiquais]les petits et les moyens ont réagis en novembre et donc s’en sortent mieux au premier semestre 2009, mais les gros comme les pétroliers ont besoin de kilomètres pour manœuvrer et ont subi la crise plus tard. Certes ils ont d’autres moyens mais ils sont touchés. Pour les petits il suffit d’un bon client ou deux pour pouvoir passer au travers de la crise.


Comment se compare cette crise à celles de 1992-93 et 2002-2003, notamment pour ce qui concerne l’emploi dans le conseil ?

Jean-Luc Placet : Elle est certainement plus forte que 2002-2003 et [impacte] plus que 92-93.  On a perdu 3% du personnel dans le secteur conseil en 2008 et pour 2009 on devrait encore se contracter. Sur les 50 000 personnes du secteur on pourrait en perdre de 5 à 10% ; les cabinets alignant leurs équipes sur leur activité.


Est-ce à dire que nous arriverions pour le secteur conseil à une situation d’embauche nulle ?

Jean-Luc Placet : Je ne dirai pas cela. Comme dans les grandes sociétés et les banques, on ne refera pas les erreurs de 2002 où l’on avait laissé partir les talents. On va s’attacher à garder les jeunes qui ont un fort potentiel. Cela dit les recrutements seront très serrés.


On avait 15% de Turn-over dans la profession. Est-ce à dire qu’il va contribuer au maintien des recrutements où au contraire est-il en train de s’atténuer ?

Jean-Luc Placet : 10-15 % c’est une moyenne, 5-10% % c’est bien, 25% ce n’est pas bien. Ce qui est sûr c’est que les gens aujourd’hui ne bougent plus. Or la question est liée à l’opportunité interne de bouger, ce qui libère des postes [comme à l'appel de la concurrence]. Là, le système est figé.


Ce qui donc ne devrait guère contribuer à maintenir un recrutement par renouvellement. Peut-on avancer un chiffre pour les propositions d’emploi ? On parle d’une réduction d’1/3 …

Jean-Luc Placet : Sûrement, sûrement…


Des secteurs sont-ils plus favorisés que d’autres ?

Jean-Luc Placet : Ca ne veut rien dire car il n’y a pas de secteurs plus porteurs que d’autres pour le conseil. Il y a des entreprises porteuses (comme dans la banque ou la grande industrie). Donc  c’est plus une question de qualité et de force des entreprises. C’est donc plus un problème d’état général des entreprises que de secteur. Ceux qui escomptent se porter bien feront appel au conseil, quelque soit le secteur…


Si l’on ne peut donner d’indication sectorielle peut-on le faire par type d’activité conseil : IT, Organisation, Management, RH, Stratégie… par exemple ?

Jean-Luc Placet : Nous considérons pour le moment que l’on est sur un plateau situé à la base du U. Un plateau qui va durer 1 an à 1 an et demi soit donc jusqu’à fin 2010. La bonne nouvelle c’est que la qualité, la précision, la sophistication des demandes ne cesse de croître dans 2 domaines : 1) les Réorganisations et la Stratégie organisationnelle. Là on est dans l’ère « Post GM » :   ce qui a fait réussir dans le passé ne fera plus réussir dans l’avenir. Donc repensons notre stratégie, notre Relation Client, notre Business Model. Ensuite, 2ème sujet les RH : Salaires des patrons, Gouvernance, Gestion Prévisionnelle des Carrières (GPC).


Peut-on encore parler de GPC en période de crise ?

Jean-Luc Placet : Raison de plus, au contraire, il faut garder les compétences. Donc la GPC prend toute son importance aujourd’hui.


Pour le reste va-t-on voir apparaître des secteurs sinistrés, comme l’IT et le recrutement ?

Jean-Luc Placet : Là il faut voir avec les syndicats concernés. Pour ce qui est de l’IT le problème est celui de marchés très explosés avec des grands, des petits. Ceux qui ont une activité stratégique et qui sont donc chez nous ça va aller mais pour tous les gros du « Body Shopping » ils sont plus touchés pour une raison simple : « tout ce qui est industrialisé est comparable et les prix peuvent baisser… ce qui est différent du Home Made ».


A la baisse, pour vous reprendre au mot. Doit–on y voir l’arrivée d’une baisse des honoraires comme en 2002 ?

Jean-Luc Placet : Plus les métiers sont comparables, plus les produits sont similaires et plus les prix vont baisser. Plus c’est incomparable comme la stratégie et moins cela va baisser…


Est-ce à dire que l’on verrait le grand retour de la Stratégie, un peu éclipsée après cette décennie d’Offshoring endiablé ?

Jean-Luc Placet : Oui, retour s’il s’agit de vision stratégique, de la mesure des enjeux, de maximalisation des démarches, mais pas de stratégie de portefeuilles [à l'ancienne]… Aujourd’hui le mot d’ordre c’est la mobilisation autour d’une vision commune.


Une vision commune, c’est ce qui semble faire défaut à la France depuis longtemps. Comment positionner les consultants face aux difficultés nationales actuelles ?

Jean-Luc Placet : Le conseil ne s’en sort pas mal. En France tout le monde est touché. L’année 2009 est pleine d’incertitudes. Les consultants ont tout intérêt à se placer sur le marché de la compétitivité des grands groupes. Et les grands groupes qui s’en sortiront sont ceux qui feront appel aux consultants.


Par rapport à l’Asie peut-on dire que l’on a perdu une bataille ?

Jean-Luc Placet : Ce n’est pas toujours aussi simple que cela mais il est clair qu’il ne faut plus accumuler les retards. Aussi, le conseil est une solution à la crise, encore faut-il que le client en soit conscient. La secousse est brutale aujourd’hui mais les perspectives sont plus dynamiques que lors des crises de 92 et 2002. Par ailleurs si les clients ont réduit l’extension des contrats ils n’ont pas cessé de multiplier les demandes.


N’est-ce pas sur ce point que l’Etat pourrait intervenir ? S’il existe une demande, il peut la solvabiliser ? 

Jean-Luc Placet : L’Etat a besoin de consultants pour se moderniser mais a-t-il les budgets pour le faire ?


Alors quelle issue à cette crise ? Et quand ?

Jean-Luc Placet : Quand quelques grands groupes y verront un peu plus clair sur l’avenir, alors c’est eux qui déclencheront la reprise de l’activité conseil.  On dit traditionnellement que le conseil va toujours bien puisque quand cela va bien  les clients achètent du conseil et quand cela va mal les clients ont besoin de conseil. Aussi les consultants iraient bien quand les clients vont bien ou vont mal…  En fait ils vont bien quand les clients « escomptent aller bien » ! Le pire ennemi du conseil c’est l’absence de vision de l’avenir. Donc, dans le second semestre 2010, si ça va, le conseil repartira vite. C’est une question de positionnement. La reprise pourrait donc arriver l’an prochain à la même époque. Il me semble qu’il ne se passera rien de significatif dans l’année, mais dans 1 an au mieux et très vite cela pourrait repartir !



Jean-Luc Placet, sur ce  pronostic, peut-être un mot de conclusion ?

Jean-Luc Placet : On est « La» solution à la crise! Encore faut-il que les clients nous voient comme un investissement et non comme un produit de luxe. Ils nous considéreront comme un investissement dès que les choses se seront éclaircies. Si l’on devrait perdre de 5 à 10 % de CA cette année, on peut potentiellement avoir une reprise forte dans 1 an. Donc faisons d’un mal un bien, ce qui pour la profession devrait conduire à terme à une formidable opportunité.


Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef
ConsultingNewsLine


Images :
B. Villeret, Quantorg 2008

Whoswoo :
Jean-Luc Placet

Pour info :
www.syntec-management.com/



Copyright Quantorg 2009

pour ConsultingNewsLinne
Tous droits réservés
Reproduction interdite







Jean-Luc Placet







 


DC