Carnets de voyage
Décembre 2006 - janvier 2007
 

Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance
La survie du groupe
par Jean Noël Contensou

Au début Candide rentrait aussi dans sa famille chaque week-end, puis il lui arriva progressivement de faire quelques infidélités à cette règle ; car une fois calmé le boniment extravagant des anciens, Candide se laissa attirer par certains camarades qui s’investissaient dans des clubs intéressants, il finit par s’inscrire dans un groupe culturel qui lui prit de son temps libre. En effet il était habitué à tout faire avec sérieux, et dut progressivement donner plus que sa part, car comme d’habitude en pareil cas, les consommateurs occasionnels sont plus fréquents que les responsables dévoués. Il finit par être un de ceux-là, certainement pas par goût du pouvoir, mais simplement parce que, comme disaient en douce ses camarades, il était bonne poire et qu’il fallait assurer la survie du groupe.

Il eut donc l’occasion de participer ou d’organiser des tournées culturelles dans cette région qu’il ne connaissait pas, d’assister ou de monter des conférences sur des sujets variés. Cette dernière occupation lui fut particulièrement riche d’enseignement. Il ne lui serait pas venu à l’esprit, en entrant à l’Ecole, d’oser prendre son téléphone pour contacter une personnalité locale, un chef d’entreprise. Mais Henry lui donnait l’exemple de son aisance ; il découvrit l’usage fait par ses camarades de l’annuaire des
anciens, et que rien n’était interdit quand on se présentait poliment comme élève de l’ENIS. Et comme Candide ne manquait certainement pas de politesse et même de déférence, il osa progressivement passer à la pratique et découvrit tout étonné le pouvoir des étiquettes. Non, il ne savait toujours pas en quoi consistait le métier d’ingénieur, mais il commençait à sentir qu’il faisait partie de cette caste.

Il en eut la confirmation quand ses parents l’emmenèrent au mariage d’Agathe, la fille de l’oncle Gérard. Il eut la surprise de voir ce dernier venir à lui avec beaucoup d’intérêt alors qu’il se demandait s’il allait le reconnaître. Il se montra plein de sollicitude, l’interrogea sur l’ENIS, sur ses ambitions. Heureusement cette rencontre se produisait à une époque où déjà Candide avait pris un peu d’assurance et progressé en diplomatie et même dans l’art du déguisement, car autrement il eût été assez paniqué par la nature des questions, qui semblaient montrer que l’oncle Gérard le tenait en haute estime. Il eut même assez d’assurance pour simuler le brin d’aisance que manifestement l’oncle attendait de lui, du fait que l’ENIS était plus prestigieuse que l’école dont il sortait. Pendant le retour, une douce atmosphère régnait dans la voiture que conduisait son père, comme un nuage cotonneux. Les trois sentaient à leur façon qu’une barrière venait de s’effacer. Pour le père, qui avait observé de loin la conversation entre Candide et l’oncle, c’était comme si toute la famille eut obtenu un visa pour un pays plus civilisé, et même s’il sentait qu’il n’y serait jamais lui-même qu’un invité admiratif, il éprouvait un sentiment d’achèvement paisible. La mère restait sur l’agréable surprise d’une longue conversation avec la femme de Gérard, qui lui avait fait compliment de son élégance et l’avait honorée de quelques petites confidences ; elle savourait un bonheur d’attendrissement tranquille à se sentir introduite dans des sphères élargies. Et finalement seul Candide éprouvait une certaine gêne, à sentir sur son dos le poids d’une mutation sociale, alors que décidément il ne savait toujours pas en quoi consistait le métier d’ingénieur.

Jean Noël Contensou
Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance
Editions Publibook, Paris 2005


>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   Extrait n°7


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Candide

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