Carnets de voyage
Juillet-août 2007 Le
Dossier Pouchkine
Scoop par Jean-François Pré Kremer et Pouchkine débarquent au
milieu de la cour,
les mains dans les poches. De vrais touristes. Cela fait un drôle d’effet que de voir le grand Vassili Pouchkine sans son habituel essaim d’admirateurs. Plus les journalistes, les photographes et les profiteurs en tout genre ; ça fait du monde… Là, Pouchkine est tellement détendu que je le vois presque désemparé – et même fragilisé – sans sa cohorte de parasites. Erreur ! Il se repose, tout simplement. On a toujours du mal à se représenter les grandes vedettes hors contexte professionnel. On en fait des surhommes, mais on oublie un peu trop vite qu’ils se lavent les dents comme tout le monde ! J’aime le regard de Pouchkine. Il est doux et caressant. Pas comme celui de Kremer ; aussi ferme que sa poignée de main. Nul besoin de faire un dessin ; on voit qui est qui ! Prospère me présente comme un ami propriétaire. Nous sommes seuls dans la cour. Allées ratissées, chevaux toilettés, matériel rangé. Propre, net et bien enduit. La sellerie sent bon le cuir ciré. Plus un brin de paille ne traîne sur la pelouse, tondue de frais. C’est la trêve du cassecroûte. De temps à autres un cheval passe la tête pardessus la porte de son box, quelques grains d’avoine accrochés aux poils labiaux. Il règne une douce torpeur sous la lumière blanche de midi. Kremer et Pouchkine s’expriment en russe sans se soucier de ma présence. Qui parle russe en France ? Manque de chance – enfin, pour eux – il se trouve que je comprends le russe. Quand je dis que je le comprends… je me comprends. Aujourd’hui, un "littéraire" ne peut s’en tirer qu’en apprenant plusieurs langues. Comme j’étais doué, mes parents m’ont poussé vers les langues des pays dans le développement desquels ils croyaient : le chinois, le japonais… et le russe. Bon pronostic ! Jamais je ne me serais imaginé que cela pût me servir un jour. A travers mes rares souvenirs de russe scolaire, je perçois quelques phrases. Vassili Pouchkine se plaint de maux d’estomac persistants. "Jyvot bolit." Ou je n’ai jamais étudié la langue de Gogol ou cela veut bien dire : mal à l’estomac ! Kremer lui répond que ça passera mais le métis insiste. Excédé, Kremer lui promet un médicament miracle, puis se tourne vers moi pour couper court aux larmoiements de son protégé. — Ainsi, vous avez des chevaux chez notre ami Barrois? Il s’exprime dans un français parfait. A peine discernet- on une pointe d’accent dans cette manière inimitable qu’ont les Slaves de rouler les « r ». — Oui effectivement, bafouillé-je. Je suis un nouveau propriétaire. — Nouveau… et surtout très jeune. A votre âge, je me préoccupais seulement de savoir comment j’allais nourrir ma famille, pas mes chevaux. Que faites-vous dans la vie, monsieur Morgane ? Kremer fait à peu près ma taille et son regard est difficile à soutenir. Au moment où je m’apprête à baisser la tête, une voix salvatrice résonne dans mon dos. — Il est courtier en ligne. Dans les chevaux, naturellement. Merci Prospère ! J’espère simplement que Kremer ne va pas me demander de lui acheter des chevaux. — Oh, vous êtes net broker, souligne-t-il sur un ton mi-admiratif, mi-amusé. Peut-être pourrons-nous un jour faire des affaires ensemble. Avez-vous une carte ? Merci Prospère ! Les seules cartes dont je dispose sont celles du journal. Comment vais-je me désembourber de ce mensonge ? — Euh, je… c’est-à-dire que je n’en ai pas sur moi. Prospère vous fournira mes coordonnées si, un jour, vous avez besoin de mes services. Un partout, la balle au centre ! Cette solution semble convenir à Kremer qui se retourne vers le footballeur et lui dit en russe : — Arrête de jouer les jeunes filles et viens voir les chevaux. Si tu gagnes la Coupe (sous-entendu : si la Russie devient championne du monde), je t’en donnerai un. Devant cette perspective, le visage de Pouchkine s’illumine. Il y a quelque chose d’enfantin – et même de féminin – dans son sourire. Une expression que son crâne rasé n’arrive pas à durcir. Le redoutable (et surtout redouté) canonnier de "l’armée russe" a pourtant les moyens de s’offrir les plus beaux pur-sang du monde ! Kremer se retourne et prend congé d’une légère inclination de la tête. — Nous allons faire la tournée des boxes, dit-il simplement, sans me proposer de les accompagner. Mais pourquoi le ferait-il ? Il saisit son "poulain" par l’épaule et l’invite délicatement à suivre Prospère vers la première rangée de boxes en colombages. Pouchkine sautille comme une jument au passage. Est-ce sa manière à lui de manifester sa joie ou cherche-t-il à cacher quelque chose ? Une douleur à l’estomac, par exemple. Sur sa peau caramel, lisse comme un lagon à l’abri du vent, certaines contractures – si fugaces soient-elles – peuvent trahir une douleur. Et si je tenais un scoop ? Le pilier de l’équipe qui va disputer la Coupe du Monde contre la France est fissuré. Oui, mais sans preuves ni photos, le scoop n’est qu’une rumeur. Un coup d’intox. De toute manière, je suis journaliste hippique. Le thème de mon papier, c’est Pouchkine et les chevaux. Le foot ne me concerne pas. Je veux dire professionnellement… car demain soir, je serai comme six milliards de Terriens. Devant l’écran de télé numérique de mon PC. Jean-François Pré Le dossier Pouchkine Editions Publibook, Paris 2007 Copyright Jean-François Pré 2007 pour ConsultingNewsLine Extraits du Dossier Pouchkine : Courtoisie de l'auteur et des Editions Publibook All rights reserved Reproduction interdite |
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