le pOint
Oct  2019
ConsultingNewsLine

Interview

Jean-Luc Placet, Associé de PwC

Nicole Notat
 


Jean-Luc PLacet
Copyright  B. Villeret - Quantorg 2 pour ConsultingNewsLine 2019
La REF 2019 à Longchamp, organisée par le Medef.
Au centre de g à d : Pierre Gattaz, Jean-Luc Placet, Geoffroy Roux de Bézieux
 


Jean-Luc Placet est spécialiste des Ressources Humaines. Associé du cabinet PwC - il a en effet procédé en 2016 au rapprochement de son cabinet IDRH avec ce grand groupe anglo-saxon du conseil et de l'audit - et ancien président de la fédération Syntec, il répond à nos questions de conjoncture, tant pour PwC qu'au nom d'une profession qu'il a toujours défendue.


Jean-Luc Placet, on constate aujourd'hui une offre de conseil très uniformisée et qui repose sur un "prêt à penser" dont on peut s'interroger sur la réelle capacité des cabinets à en dominer la connaissance quand ce n'est pas la capacité de mise en place : innovation de rupture, réchauffement climatique, transition énergétique, révolution digitale... N'est-on pas dans un déclaratif entendu qui se solde au mieux par la vente de quelques logiciels américains ?

Jean-Luc placet :
Vous n'y allez pas de main morte! Fort heureusement nous avons des gens très compétents et comme je vous l'ai dit souvent nous avons en France les meilleurs managers et les meilleurs consultants. Mais je comprends votre agacement que partage nombre de professionnels du métier. Le "tous innovants", c'est un message qui devient fatiguant. Je vais tâcher de clarifier : clairement on a pris la fin pour les moyens ! Devant le retard des entreprises, que ce soit en termes d'offre, de production, d'organisation, d'informatisation, d'internationalisation... et l'arrivée concomitante de solutions technologiques digitales, on a très clairement confondu l’outil nouveau et l’objectif et l'on s'est jeté sur tout cela avec frénésie !


Mais la tendance à l'offre digitale est bien là...

Jean-Luc placet : Incontestablement la numérisation change la donne, change l'approche des problèmes, mais il ne faut pas pour autant faire de l'innovation pour l'innovation. Le fait d'avoir accès à des bases de données énormes, c'est un avantage indéniable, incontournable, incontestable. Encore faut-il savoir où l'on va et ce que l'on veut faire avec. Donc le secret aujourd'hui c'est d'intégrer le numérique et de gérer ses échanges d'info en se demandant ce dont on a besoin, ce qui doit-on être stocké, ce qui peut être échangé, ce qui peut être mis à disposition et quelles données décisionnelles on peut en retirer. C'est par exemple tout l'enjeu de la pépinière d'entreprises de l'Ecole polytechnique, que je citerai en exemple, laquelle marie des Startups du digital avec des entreprises à la recherche de Spin offs. Ce n'est que dans ce type d'environnement « nativement innovant » que l'on impacte la capacité des entreprises à innover : un savoir, un besoin, une synergie. Notez au passage que l'innovation n'est dès lors plus un phénomène interne mais procède de collaborations, avec toutes les problématiques de confidentialité que cela entraine.


Ces bases de données que vous citez en filigrane et le partage plus ou moins dissymétrique d'information deviennent l'enjeu du moment. Est-ce l'objet de débats au sein de PwC dont aux côtés des activités conseil et audit on doit rappeler l'importante activité juridique? Une offre de conseil va-t-elle dans ce sens ?

Jean-Luc placet :
Je pense bien ! C'est la Chine qui nous en a fait parler en premier! A PwC nous avons un réseau mondial, aussi les problématiques nouvelles sont remontées très vite. Avec le numérique est apparu cette notion de propriété de l'info et de partage des données: de la capture à la commercialisation des données client, éventuellement sans son consentement, en passant par la RGDP telle que définie dans l'Union Européenne, il existe un immense champ d'interrogation pour les informaticiens, le marketing et bien sûr les juristes. Et là, le constat a été que les Chinois avaient une approche castratrice de l'échange d'info : ce qui est à moi reste à moi et ce qui est à toi est à moi. Vous voyez, on est loin de la gentille philosophie de certains débats télévisés, là on est dans le « dur ». Maintenant je ne dis pas que les Chinois n’ont pas des qualités propres dont on ne devrait s’inspirer. Attention par ailleurs au pillage d'info par des gens mal intentionnés, ce qui est tout autre : exemple des problèmes de gestion sur le Cloud comme la fuite de données en Equateur, ou encore les difficultés de sécurité des données chez Altran - pourtant rompu à la haute technologie.  Aussi, pour répondre à vos questions je dirai que cela fait non seulement l'objet de débats chez PwC mais cela conduit déjà à proposer une offre de cyber sécurité sous la direction de Philippe Trouchaud qui est notre spécialiste des systèmes de défense et notre conseil auprès très grands groupes.


Vous avez cité Altran dont on dit aujourd'hui qu'il pourrait se rapprocher de Capgemini. Il s'agit là de deux enseignes françaises. N'assiste-t-on pas à une disparition des noms de cabinets français ? Le cabinet IDRH que vous avez dirigé a lui-même rejoint PwC en 2016... 

Jean-Luc placet :
A part Atos et Capgemini qui restent de très grandes entreprises de conseil en IT, et le secteur de l’ingénierie (Alten, Assystem, Altran, Segula etc...), la plupart des grands noms sont en effet anglo-saxons. Cela tient à la consolidation, qui est de règle dans nos métiers, et à une tendance plus récente à vouloir élargir son offre géographique. Si vous offrez au plus haut niveau une expertise très ciblée, pour élargir votre marché à l'international vous n'avez guère de choix que de rejoindre un groupe déjà bien établi. Les Big Four de l'Audit (Deloitte, PwC, EY, KPMG) présentent cet avantage. Ils font du conseil en expertise comptable, dans le juridique, le fiscal et sont donc bien placés dans les fusions acquisitions (M&A) lesquelles requièrent du soutien en management. Comme vous l’avez mentionné IDRH, spécialiste des ressources humaines, a rejoint PwC depuis 3 ans. Nous sommes maintenant partie intégrante de PwC et nous avons conservé un savoir-faire propre (P&O), une sorte de think tank :  la fondation IDRH. Donc, oui, les noms français disparaissent, mais il s’en crée fort heureusement de nouveau. Le véritable sujet d’inquiétude de notre époque c’est la capture d’enseignes et de leur portefeuille brevets du fait de l’extension à l’international du droit américain.


Rappelons en effet que Technip, spécialiste de l’ingénierie pétrolière a été capturé par l’américain FMC. Espérons que Schlumberger, dont le siège est aussi à Houston, ne suivra pas la même voie... Va-t-il en aller de même des nouvelles Start-ups qui allient techno et conseil ainsi que pour ceux que l'on appelle les "Gafa à la française" ? A peine né(e)s et déjà racheté(e)s ?

Jean-Luc placet : L'informatique et les technologies ont été un peu moins impactés par le phénomène, mais force est de constater, comme vous le mentionnez, que Technip est devenu américain... Et pour ceux qui sont Leaders un jour, rien ne garantit leur survie le lendemain : regardez Business Object qui a totalement disparu. Aussi pour répondre à votre question, et plus particulièrement sur les Gafa, l'avenir reste incertain. Le français Qwant se présente aujourd'hui comme "européen". Le risque c'est surtout au stade des Start-Ups, car les grands groupes anglo-saxons font des razia : voyez Google, ils ont racheté tous leurs concurrents ou presque!


A part tous ces rapprochements et rachats de cabinets, observe-t-on des choses nouvelles, en termes de méthodologies par exemple ? Depuis l'agilité on n'a rien vu de nouveau... non? Sauf peut-être ces « briefings », d’aéroclub, dont vous m’avez parlé...

Jean-Luc Placet :
Si en effet on n'observe pas d'appellations nouvelles dans les méthodes, la transformation digitale est l'occasion d'un véritable Reengineering des entreprises, aussi je pense que l'on est tout au contraire à une époque de « révolution managériale ». Mais on en est au tout début. Pour ce qui est des RH, ma spécialité, et pour ce qui est de l'interne au cabinet PwC, le soutien aux équipes et aux individus est devenu très important, afin d'assouplir le management et d'adresser tous les problèmes individuels. On fait du "tête à tête" avec les consultants chaque jour pour parler des missions mais aussi pour parler de la vie, de leur vie !  C'est un peu devenu ce que vous appelez l'aéroclub : briefing avant le vol, débriefing après le vol. Avec le management par projet et le faible nombre de couches hiérarchiques, le management hiérarchique ça ne marche pas, il faut être au contact de chaque individu. C'est du micro management entre chaque patron et ses collaborateurs. Et çà c'est nouveau.


Cette méthode porte-telle un nom ?

Jean-Luc Placet : Nous avons formalisé cette méthode sous le nom de Your Future, un dispositif où l'on s'intéresse non plus au "quoi" mais au "comment". Depuis 15-20 ans les grands cabinets avaient mis en place des méthodes globales que tout le monde devait appliquer, avec des séries de classeurs puis de l'IT permettant de supporter les process. Aujourd'hui ça ne marche plus ! Il faut individualiser tout cela. Idem pour les juristes et les experts comptables qui ont pourtant des métiers procéduriers. Les consultants se retrouvaient souvent très seuls avec des problématiques humaines chez le client, des problématiques de confiance envers les données du client et avaient l'impression que leur hiérarchie ne les comprenait pas, voire ne les couvraient pas. Aujourd'hui où c’est devenu de plus en plus compliqué, dans un environnement juridique complexe, avec des enjeux stratégiques à tous niveaux, le consultant n'est plus seul. On fait de l'intuitu personae.


Un moyen de garder les troupes aussi ? Le Turn over humain est devenu important dans les cabinets et a rejoint les chiffres du conseil en technologies que l’on montrait du doigt il y a 15 ans. On dit que certains consultants finissent par rester pantoufler chez leurs clients lorsqu’ils ont des noms prestigieux tels que Total ou encore Airbus...

Jean-Luc placet : Nos Turn Over dans le conseil sont en effet devenus importants comme dans les autres secteurs. Cela peut atteindre 21% dans certains cabinets, soit plus que le 17% observé par le passé chez les prestataires de technologies que certains qualifiaient alors d’intérimaires de luxe. Comme quoi ! La conséquence c’est que les jeunes qui arrivent partent au bout de 3 ans et qu’après 5 – 7 ans tout une jeune génération s’en est allée si l’on n’y prend garde.


Cela correspond-il a une dégradation des métiers du conseil ou à une tendance plus liée à l'évolution sociétale ?

Jean-Luc placet : Plusieurs raisons à cela : il existe de tout temps une tradition où l’on vient chercher dans les cabinets conseil une carte de visite pour sa carrière. Ceux qui jouent à cela cherchent le renom et ont un autre projet de carrière, c’est inévitable et il y a donc des pertes. Par ailleurs on est aussi un peu le troisième cycle, le cycle de fin d’études pratiques, on forme au meilleur niveau dans des spécialités managériales. Pour avoir un poste à responsabilité dans un grand groupe, être passé par un grand cabinet c’est un plus. Donc aujourd’hui, où les collaborateurs se sentent moins attachés aux entreprises et gèrent leurs carrières par petits sauts d’une entreprise à l’autre, il existe pour les cabinets conseil un vrai problème de gestion des RH, un problème réellement nouveau.


A-t-on trouvé une parade à cette plus grande "volatilité" des équipes ?

Jean-Luc placet : On peut difficilement invoquer les notions de "marque-employeur" que nous recommandons pourtant à nos clients, car nos consultants bénéficient de réels avantages en termes de formation ou d’activités extra-professionnelles, de même qu’un nom qui les valorisent. Donc notre problème n’est pas symétrique à celui des grands groupes industriels ou de services. D’où l’intérêt de l’intuitu personae que nous développons afin que chaque consultant puisse s’épanouir dans sa fonction tout en faisant partie d’un ensemble auquel il adhère, et ce dans des structures et des métiers qui restent très immatériels. Maintenant des aller-retours entre l’entreprise et le conseil restent inévitables.      


L’Intelligence Artificielle (IA) a fait son entrée dans le management des Ressources Humaines (MRH). Le robot annexe donc aussi le dernier secteur humain de l'entreprise. Tous ces algorithmes ce n'est pas un peu en décalage par rapport au sujet de la gestion des humains?

Jean-Luc Placet :
  Cela peut sembler un peu étonnant au début mais lorsque l’on voit les logiciels fonctionner on est plutôt rassuré, un peu comme avec des grilles de lectures. Il est clair qu'il faut de bons algorithmes, basés sur de bons historiques : avoir à sa disposition 100 000 exemples permet de comprendre, de clarifier, de réduire l'incertitude. Jusque-là on n’était pas assez précis sur les définitions de postes. Donc l'IA apporte très clairement une aide à la définition des rôles. Mais ce n'est pas un épouvantail, ce ne doit pas être un épouvantail. Cela doit être une aide technique à la formalisation et à l’identification. Après, sur les milliers de CV que vous devez éplucher, l’algorithme vous fait des propositions. A vous d’aller dans leurs sens ou non.


Ne risque-t-on pas avec une plus grande adéquation « clef-serrure » de se retrouver avec des candidats incapables d'évoluer ? de s'adapter, hors de leur poste, à l'entreprise ?

Jean-Luc Placet : 
Tout dépend de ce que l'on met dans la définition du poste. L'intégration à l'entreprise et l'évolution professionnelle doivent-être précisés et évalués. Par ailleurs si l'adéquation au poste est difficilement réductible, aujourd'hui les RH sont sensibles à d'autres dimensions comme la citoyenneté de l'entreprise : égalité homme - femme, vie privée vs vie professionnelle, Upskilling tout au long de la carrière... L'IA peut aider à prendre en compte ces champs nouveaux et très complexes.


REF 2019
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La REF 2019 à Longchamp, organisée par le Medef. Table ronde avec Dominique Carlac'h.


Vous citez l’égalité homme-femme. Vous étiez aux côtés de Geffroy Roux de Bézieux à l'Université d'été du Medef (rebaptisée cette année La REF) ...

Jean-Luc Placet :
  C'est vraiment bien ces grands rassemblements où se mélangent grands patrons, nouveaux entrepreneurs, politiques et journalistes. Cela permet de poser les vraies questions et aussi de rappeler la place de l'entreprise et ses divers rôles dans la société. L'Etat n'a pas le monopole de l'intérêt général ! L'entreprise peut et doit assumer de nombreuses responsabilités :  le rôle des femmes par exemple, comme cela a été mis en avant cette année avec Dominique Carlac’h. Ainsi la nouvelle équipe du Medef en transformant son université d’été en "La REF" (La Rencontre des Entrepreneurs de France) a produit quelque chose de très détonnant et de très intéressant. Geoffroy Roux de Bézieux a bien fait. Les choses s'étaient cristallisées depuis 10-15 ans. Le RSE et tout ce qui permet de réintroduire l'entreprise dans son environnement était nécessaire, tout cela a créé un tissu qui évite les distorsions de richesse et les inégalités.


On vous sent toujours aussi pasionné par les grands programmes syndicaux professionnels. Tout cela doit-il être coordonné avec l'action de l'Etat?

Jean-Luc Placet : Il faut même aller encore plus loin. L'environnement économique et social doit être développé par les pouvoirs publics car il favorise l'implantation des entreprises : Technopoles, centres de R&D, services administratifs, crèches... Mais comme je l'ai dit l'entreprise doit assumer ses divers rôles. Le Medef s'est intéressé au concept d' "Entreprises à missions", avec Jean-Dominique Senard - nouveau patron de Renault - lequel a travaillé avec le ministère sur ce thème et réalisé un rapport (Senard-Notat en 2018). Il connait bien le sujet.  Comme vous le savez il vient de Michelin où tout était coordonné et régulé. C’est un chantier immense et un thème de travail ambitieux que Geoffroy Roux de Bézieux a souhaité mettre en avant. Dans cette voie il peut compter sur les cabinets conseil !
 
 
La réindustrialisation de la France en dépend. Comment se porte cette industrie ?

Jean-Luc Placet :
La production reste soutenue et l’on sent un retour de l’intérêt pour la fabrication (cf. Industrie du Futur et French Fab par exemple). Mais on n’a insuffisamment automatisé nos productions par le passé au titre de la conservation de l’emploi. Résultat face au Chinois on a perdu la moitié des emplois industriels en 20 ans ! Aujourd’hui on ne robotise pas assez vite. On est en retard. Mais on sent monter une vague nouvelle. C’est bien sûr là que les cabinets ont un grand rôle à jouer. Mais comme je l’ai dit en introduction de cette interview, il convient de ne pas confondre l’objectif et le moyen.


Pour conclure Jean-Luc Placet, les consultants devront-ils s’appliquer aussi toutes ces bonnes préconisations dont nous avons parlé, en interne ?

Jean-Luc Placet : 
Comme je vous l’ai souvent dit nous sommes des savetiers mal chaussés. On préconise bien mais on a du mal à appliquer ces préconisations à nos propres troupes. Cela dit nous sommes de grosses boutiques d’individus travaillant le plus souvent en solistes : 6000 consultants en France et 250 000 dans le monde, si je prends le cas de PwC, d’où des spécificités individuelles, psychologiques que l’on ne rencontre guère dans les autres « industries » ... Aussi pour nous, en pleine révolution digitale, l’intuitu personae est vraiment l’outil du moment !

Propos recueillis par Bertrand Villeret,
Rédacteur en chef, ConsultngNewsline   



Jean-Luc Placet
Images  : BV. ConsultingNewsLine 2018
 
Whoswoo:
Jean Luc Placet
Partenaire PwC
Ancien président de Syntec
Membre du CESE

 




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