par Jean Noël Contensou

… de ces petits moments d’indiscrétion bienveillants que se permettent les parents, penchés sur les cahiers de leur fils, ils y voyaient maintenant de ces signes incompréhensibles, de grands S étirés devant des formules pleines d’indices illisibles, des petits i et j sautant en haut et en bas.

Le père savait faire miroiter aux yeux de Candide l’ascension sociale liée aux diplômes prestigieux, faire discrètement référence à l’oncle Gérard au détour d’une conversation ; il avait l’habileté de le faire sans se dévaloriser, en dégageant les vertus qui lui avaient permis à lui aussi de s’élever de plus bas, jusqu’à englober dans sa propre réussite le fait de hisser un fils à de telles hauteurs. Même si Candide n’avait pas été soumis à ces douces pressions, il eût été conduit naturellement à se présenter aux concours d’ingénieurs, vu les encouragements que subissent en permanence dans les lycées les meilleurs élèves en matière scientifique, dont il était. Sous les feux croisés de ces influences, et guidé par un fond naturel de docilité, il montra tout le sérieux possible dans sa préparation, sacrifiant comme la plupart de ses camarades les loisirs, l’amitié, et même la curiosité à connaître le monde, pour s’enfermer dans le travail et devenir une sorte de taupe, comme le disent eux-mêmes les potaches.

La récompense était au bout du chemin. Candide fut reçu dans une école d’ingénieurs renommée, l’ENIS, Ecole Nationale d’Ingénieurs Supérieurs ; sans savoir ce qu’était le métier d’ingénieur, personne ne lui avait vraiment parlé d’autre chose que du prestige et des salaires qui lui étaient attachés, et surtout du fait qu’il était la récompense réservée aux bons élèves.