Carnets de voyage
Juillet-août 2007 Le
Dossier Pouchkine
La Page par Jean-François Pré Ce n’est pas le ruban doré sur lequel la mer vient baver. Ce n’est pas non plus un morceau de CD ou le rebord plat de la banquette arrière d’une voiture. Non, cette plage-là elle est toute verte et ne comporte pas un grain de sable. Enfin… au sens propre. Depuis la nuit des temps (ou peut-être seulement le petit matin), les turfistes nomment ainsi cette bande de pelouse qui longe la ligne droite de l’hippodrome de Saint- Cloud. Pourquoi la plage ? Probablement parce que, l’été, les spectateurs en tenue légère s’y allongent nonchalamment entre deux courses. Les enfants trottinent et les femmes se la racontent ; la plage, quoi ! Les hommes, eux, se musclent les neurones à la recherche du prochain gagnant. Les turfistes appellent ça faire le papier. Et puis, la plage a une réputation d’observatoire à défendre. A entendre les vrais, les purs… ceux qui ont le verbe haut du savoir dogmatique, c’est ici – à trois cents mètres du disque – que les chevaux se sortent les viscères. C’est aussi à la plage qu’on les voit se faire ficeler ou ligoter. Il ne faut pas confondre ces deux verbes ; dans le jargon de la cabane, ce sont presque des antonymes. Ficeler un cheval signifie le retenir, ne pas défendre sa chance. A l’inverse, un cheval ligoté voudrait aller bien plus vite (et son jockey aussi) mais il ne le peut. Entouré d’adversaires qui l’empêchent de passer, il n’a pas la possibilité d’accélérer. On dit aussi qu’il est enfermé, dans la gelée de coing, voire emmuré vivant. C’est rageant d’avoir mis son argent sur un cheval qui va "plein gaz" sans pouvoir passer, non ? Bref, de tout cela (et de beaucoup d’autres choses encore), la plage vous livre le secret. Les mains dans les poches et sans jumelles. Dix fois mieux que perché sur le toit des tribunes, les dernières Zeiss autour du cou. D’ailleurs, il n’y a pas que les turfistes qui le savent. Quelques entraîneurs ou propriétaires viennent s’y salir les Weston à côté des jeans frelatés. Ils ont compris qu’on ne lit pas dans les bulles de champagne comme dans du marc de café. Ils préfèrent voir leur cheval cracher ses boyaux plutôt que d’entendre Madame l’encourager d’un gosier frêle. Loin, très loin de l’arène… dans le silence aveugle d’un effort virtuel. A la plage, on voit et on entend tout. Les cages thoraciques qui se gonflent, le pelage moiré prêt à péter sous la tension des côtes, le martèlement sourd des petits sabots bien graissés sur le gazon chevelu, le claquement sec et rythmé des cravaches, le hurlement des jockeys, la respiration lourde des battus. C’est là que j’aime suivre les « courtines », pour employer la jactance du pelousard. C’est là que je m’imprègne du roulement de tambour qui accompagne le passage du peloton, loin du vrombissement de la foule. J’adore ce bruit, même si le pauvre gaille qui défend mon osier rame comme un galérien. Bien sûr, on distingue mal l’arrivée. La belle affaire ! Après la course, il y a les redifs sur le circuit intérieur de télévision. Le plus important, c’est de se trouver là où le peloton crache son feu. Après, tu sors ton calepin et surtout tu te plâtres les écoutilles. Parce que si tu prêtes attention aux perdants qui te racontent comment Tartemolle n’aurait jamais dû être battu, t’es foutu ! Jean-François Pré Le dossier Pouchkine Editions Publibook, Paris 2007 >>>>> extrait n°2 Copyright Jean-François Pré
2007
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