Carnets de voyage
Octobre 2010

Françoise Thibaut  

Maud et Mathis

Mathis, continuant son investigation, apprend que le virulent gauchiste a, à son actif, une licence de sociologie, une autre de lettres modernes,
un diplôme de russe.
— Je le lis très bien, l’écris moyen, mais le parle mal, faute de pratique, faudrait que je trouve une combine pour y aller, mais j’ai pas le temps…
— Il y a plein de Russes au métro Trocadéro… c’est leur grand rendez-vous, glisse Mathis un peu farceur.
— Ah oui ? J’y avais pas pensé…
— Vous pourrez sûrement faire la conversation ; mais pour aller en Russie, je ne crois pas que ce soit le bon truc ; la plupart sont des gars venus à l’aventure, et peut-être des étudiants… je ne sais pas… ils font souvent de la
musique… de l’accordéon… ils jouent très bien d’ailleurs…
— Trocadéro, c’est une station que je fréquente pas tellement…
— Vous avez tort… Il vaut mieux avoir un studio dans un quartier chic, plutôt qu’une grande villa perdue en banlieue, on fait des rencontres plus intéressantes…
— C’est votre religion ?
— Pas vraiment, je n’en ai pas besoin, mais c’est ce que les concierges espagnoles inculquent à leurs enfants… et vos études actuelles, c’est quoi ?
— Je pousse jusqu’au master, c’est mieux, mais faut écrire un mémoire, et j’ai pas vraiment de bonnes idées… et puis le boulot, ça me pompe… pour les fêtes, on a été obligé de travailler en continu, et de faire des heures sup…
— Payées ? Bien sûr ?
— Manquerait plus que ça ! Bien sûr ! Mais tout de même, c’est crevant et ça bloque la personnalité… Mathis apprend par ailleurs que le bougre conduit mais n’a plus de voiture faute d’argent, ayant emplafonné celle offerte par la tantine il y a cinq ans, ce qui lui occasionne plus d’une heure de transport pour aller manutentionner… qu’il va en vacances, quand il peut en prendre (parce qu’entre le boulot et la fac, c’est compliqué, et le train c’est hors de prix, même avec une carte) de préférence en Bretagne, parce que là au moins les gens sont sympas et vous accueillent facile dans leur grange… L’heure du dessert arrivant, Mathis prend un air un peu solennel, jette des appels de regards vers Maud qui ne dit mot depuis au moins dix minutes, et dans un silence agrémenté des raclements de gorge de Freddy, déclare :
— Je suis depuis quelque temps le banquier de Madame votre tante, et vous pouvez vous demander pourquoi elle vous a demandé de déjeuner avec moi aujourd’hui ; je crois qu’elle a quelque chose à vous annoncer… qui devrait vous faire plaisir… et que je serai chargé de mettre en oeuvre… Madame Gossens ?
Maud semble hésiter, pose sa serviette à côté de son assiette, la tripote un peu, se redresse sur son siège :
— Eh bien voilà… J’ai pensé… J’ai pensé que pour ton anniversaire des 30 ans… c’est une date… je pourrais te constituer un capital… donc, avec monsieur Delalande… nous voulions t’en avertir, te demander ton avis… et que tu prennes rendez-vous avec lui, si tu es d’accord, pour signer les papiers…
— Oh ! C’est bonard ! C’est bonard… murmure l’intéressé.
Mais on ne sait pas si cela salue le discours de sa tante ou l’arrivée de la farandole de desserts étalée dans une assiette immense, et qui ressemble plus à un compact défilé de chocolats et de glaces qu’à une gigue légère…




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Maud et Mathis

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