Maud et Mathis

Carnets de voyage
Octobre 2010

Françoise Thibaut
Maud et Mathis

— Eh bien voilà…
Elle pépie avec distinction, articulant [ ] de manière à être comprise sans difficulté, posée sur le bord du fauteuil dans une attitude légèrement tendue, mais sans angoisse : juste le souci d’être intelligible de bout en bout. C’est une petite femme, à la charpente menue, aux proportions gracieuses, dans la soixantaine, peut-être, qui a dû être vraiment ravissante – dans le style précieux Tanagra – lorsqu’elle était jeune. Elle a encore un charme réel, presque fou, fascinant, qui lui sert – elle en est parfaitement consciente, exercée comme elle est – à obtenir tout ce qu’elle veut. La peau est rosée, saine, sans maquillage, pense-t-il, le regard limpide, la bouche douce, souriante même quand elle parle, le petit nez est « mutin » comme on disait autrefois ; le dessus des mains, qu’il voit forcément, posées sur les gants, n’est pas attaqué par l’âge ; elle est mise avec soin, en vrai tweed, en vrai cachemire, en vrai cuir pour le sac, sans doute Hermès ou Morabito, mais discret.

Elle sourit, il sourit. Elle n’a pas entendu ce qu’il lui a dit ; il n’a pas compris ses deux phrases de début, trop occupé à la détailler. Il faut recommencer.
— Que puis-je pour vous ?
Elle ne se formalise pas de ce début raté, de cette répétition, mécontente, elle aussi de la manière qu’elle estime peu claire dont elle s’est présentée.
— Eh bien monsieur, je suis cliente de votre banque depuis… oh ! très longtemps ! Mon défunt mari s’était chez vous car vous êtes assez près de chez nous et il avait confiance en votre réputation… L’essentiel de mes fonds est donc confié à votre établissement… avec satisfaction, je dois vous le préciser. J’ai largement de quoi vivre…
Elle fait une pose ; elle soupire, reprend son souffle.
Asthme ? Emphysème ? se demande-t-il.
Elle continue :
— Comme l’âge avance… les ans s’accumulent, qu’on le veuille ou non.
Elle fait un pauvre sourire, qui rend triste, tout soudain.

>>> Extrait 3