Carnets de voyage
Octobre 2010

Françoise Thibaut  

Maud et Mathis

Donc, ce groupe représente environ un capital de 38 000 euros… Vous pourriez l’attribuer à votre neveu… s’il sait le laisser dormir, cela, de plus, lui rapportera tous les ans, et nous le réinvestirons pour lui…
— Oui ! Et au passage, vous aurez ainsi un nouveau client !
Elle éclate d’un petit rire légèrement sardonique, mais pas impoli, lequel fait immédiatement comprendre à son interlocuteur qu’elle sait tout de la rapacité bancaire. Il sourit avec elle, indulgent pour ses propres manigances, et
lâche, bon prince :
— Vous avez tout compris…
Ils rient tous les deux, discrètement, comme s’ils étaient les témoins d’une petite farce mondaine ; il continue :
— A côté, vous pouvez, si vous le souhaitez, lui accorder tous les mois, ou tous les trimestres… comme vous voudrez… ou tous les ans… une petite rente, qui complétera son revenu… De quoi vit-il ?
— Je suppose qu’il a un salaire… et peut-être une allocation d’étudiant, ou je ne sais pas quoi… vous savez, il n’est pas très brillant… et ça change souvent… Il se tourne légèrement vers le clavier d’ordinateur :
— Vous pouvez me donner ses coordonnées ? Je vais essayer de le retrouver… Savez-vous quelle est sa banque ?
— Je sais qu’il est à la Caisse d’Epargne… Quand je lui fais des virements, c’est là que je les adresse. Je pense qu’il y met aussi mes chèques… mais il a peut-être un autre compte ailleurs… dans une vraie banque… je n’en sais pas plus… Son nom, c’est Frédéric Levers… Il habite… Elle débite cela sur un ton d’un profond ennui, sort de son sac un calepin où, après avoir tourné quelques pages, elle trouve le numéro de compte d’épargne. Elle justifie :
— Je l’ai… parce que quelques fois, je lui fais une surprise… quand j’ai compris qu’il est un peu dans la gêne, je mets un petit paquet… pour déposer, c’est toujours facile… mais il n’abuse pas… il est très discret… et toujours très reconnaissant… Il la regarde fixement, de son beau regard bleu, qui n’est plus du tout celui d’un setter. Sans rien dire. Il pense qu’en fait elle doit être assez duraille à lâcher ses fifrelins… pas vraiment avare ou regardante, mais avec un sens aigu des mérites que l’on doit avoir pour empocher de l’argent. Le neveu doit tirer la langue assez souvent… surtout s’il est bon à rien et peu argenté.
— Il faut quelque chose de simple… Ce n’est pas un garçon à l’aise avec l’argent… et je crains qu’il ne se laisse facilement gruger… Ses parents lui avaient laissé un peu de bien, il a tout mangé ou s’est fait avoir… notamment
par des soi-disant copains qui ont vécu à ses crochets pendant des années… Il a vendu la maison de ses parents… et le capital est mangé depuis belle lurette… C’est pour cela, je me méfie… et je voudrais un placement assez sûr, qu’il ne puisse pas perdre en un instant…
— Je comprends.
Il laisse un silence, puis largue :
— Mais on peut toujours tout perdre en un instant…



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Maud et Mathis

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