Carnets de voyage
Octobre 2010

Françoise Thibaut  

Maud et Mathis

<>Freddy est mou, Freddy est flasque, Freddy n’est pas intéressant. Il est exactement comme Mathis le craignait. Mais qu’importe ! Ce dernier est arrivé un peu en avance, pour dire à la caissière qui est aussi la patronne et surveille
le service : « N’envoyez pas l’addition à la banque, c’est une invitation personnelle ; je passerai vous payer dans la soirée »… Elle accepte en souriant, s’attendant à quelque jolie brune ou blonde ; mais Maud débarque bientôt flanquée du neveu adipeux agrémenté d’une queue-de-cheval en broussaille, mal ficelée, vêtue d’un blazer élimé mais de bonne coupe par-dessus un T-shirt rayé d’un gris incertain. Baise main, présentations, salamalecs… on s’assoit.
— Delalande ? Comme le musicien ? fait le neveu.
— Oui, en effet, répond Delalande en souriant (un bon point pour le hippie décadent), mais j’ignore si je suis un descendant… sans doute non, c’est un patronyme très répandu et je n’ai aucun talent musical particulier – il laisse planer un silence – sauf celui d’aimer écouter de la musique…

La conversation s’enclenche là-dessus ; on parle de Delalande, de Marin Marais, de Rameau et de Dardanus… On s’interrompt pour choisir le repas : du poisson pour Maud, pour lui aussi, mais un autre, de la raie… Le neveu prend du très roboratif… « Il doit s’empiffrer pour la semaine », pense Mathis mauvaise langue… Une fois l’entrée arrivée, l’intéressé ne desserre plus guère les dents, absorbé par son assiette, émettant parfois un bref grognement en guise de conversation. Maud et Mathis continuent de bavarder, jetant parfois un regard perplexe sur ce convive affamé. Maud semble embarrassée. Mathis
vient à son secours :
— N’ayez crainte… j’ai connu bien pire… Souvent les clients très fortunés sont aussi très goinfres et pas du tout avec de belles manières…
— Tout de même… Freddy ? Tu devrais manger moins vite… Regarde, tu en as sur ta manche…
— Mmmm…, fait Freddy, en raclant le blazer avec la fourchette…
Le second plat le voit plus calme mais non moins vorace. Toutefois, son estomac étant à peu près calé, il daigne revenir dans la conversation. Mathis a préparé un petit questionnement innocent qui lui permet d’apprendre que Freddy est manutentionnaire intermittent chez Ikea où il est entré grâce à un copain, où il fait les week-ends, plus deux jours la semaine et où il est nourri le midi ; cet arrangement lui permet d’être libre pour aller à la fac et à la cinémathèque.
— Je vois jusqu’à 4 films par jour quelquefois… ça dépend du programme.
— Qu’est-ce que vous aimez ?
— Tout !
— Comment ça, tout ?
— Ben oui, tout… J’apprends… Je voudrais être critique de films… Je le fais pour le journal de la fac qu’on a créé avec des copains…
— Ah, c’est bien, ça… Il marche bien ? Vous le distribuez ou vous le vendez ?
— On le donne ! Vous rigolez ! Ce serait dégueulasse de demander du fric à des étudiants… Le problème, c’est le doyen, veut pas nous filer un seul fifrelin… Un salaud de bourge… Mais on a libre accès à l’imprimerie…

Mathis jette un oeil sur Maud laquelle barbotte dans son assiette sans plus mot dire ;



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Maud et Mathis

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