Carnets de voyage
Juillet 2004 
Pilot First
Par Germain Chambost


Charles, dit « Chuck », Yeager est célèbre pour avoir été le premier pilote à franchir officiellement le mur du son. C’était le 14 octobre 1947, à bord de l’avion expérimental Bell X-S 1 (X pour Experimental, S pour Supersonic et 1 car le premier du programme de recherche de l’Air Corps, qui deviendrait l’US Air Force). Chuck Yeager avait tout juste 24 ans. Il s’était signalé à l’attention de ses supérieirs de l’Air Corps durant la Seconde Guerre mondiale par ses extraordinaires qualités de pilote de chasse. Doué d’une acuité visuelle hors normes, il était capable de repérer l’ennemi avant tout le monde, et son habileté avait quelque chose de stupéfiant. Sa dextérité aux commandes de son P-51 Mustang faisait merveille contre les avions allemands : en une seule journée, il abattit cinq Messerschmitt 109. Ett se paya même le luxe, un autre jour, de descendre un Messerschmitt 262 à réaction. Il termina les opérations avec treize appareils ennemis inscrits à son palmarès. Auparavant , il avait été lui même abattu au-dessus de la France, obligé de sauter en parachute dans la région d’Angoulême, puis récupéré par des maquisards, qui lui feront passer les Pyrénées. Renvoyé en Angleterre, il fera des pieds et des mains pour reprendre le combat, alors que le règlement l’interdit : ceux qui se sont échappés des pays occupés ne doivent pas revoler, courir ainsi le risque d’être abattus à nouveau, et de révéler l’existence des filières d’évasion. Mais Chuck l’entêté contournera le règlement. Entêtement, audace, dextérité... Sans parler de son sang-froid, d’un contrôle de soi étonnant pour un garçon de vingt ans, qui lui permettait de rester clairvoyant en toute circonstance, de ne jamais s’affoler. Ce qui lui sauva la vie dans sa carrière de pilote d’essais... Une carrière qui faillit bien se terminer tragiquement deux semaines après avoir passé Mach 1.

Le 27 octobre, à peine largué depuis le B29, le X-S 1 est victime d’une panne électrique totale. Lorsque Yeager commande l’allumage de son moteur-fusée, rien ne se passe. Il l’annonce à la radio, mais n’entend que le son de sa propre voix dans son masque à oxygène ; inutile de penser à pouvoir alléger l’avion de ses deux tonnes de carburant : les valves qui permettent de vidanger les réservoirs sont elles aussi à commande électrique. Avec une pareille masse, le train d’atterrissage ne résistera pas à l’impact sur le lac asséché qui sert de piste de recueil. Il se rompra et adieu XS-1 et Chuck Yeager! L’esprit de Yeager fonctionne à toute vitesse. L’instinct du piolote prend le pas sut tout le reste, le reste se résumant à un tableau de bord muet, des instruments inertes, des indicateurs hors service. Le pilote sait qu’une commande manuelle d’ouverture des valves se trouve au-dessus de lui, en arrière de son siège. Il l’actionne. Mais sans jauge de niveau, impossible de savoir si la vidange de carburant s’effectue bien, si les réservoirs se vident, si l’avion s’allège. Du temps ! Il lui faut du temps, s’il veut s’en sortir et ramener l’avion en bon état ! Or le temps qui lui est imparti se compte en secondes. Yeager vire en direction du lac. Abaisse la commande du train d’atterrissage , en priant Dieu que les roues sortent par gravité, sous l’effet de leur propre poids, car aucune lampe témoin ne le lui indiquera. Pour se donner un maximum de chances, il prolonge autant que faire se peut le vol au dessus de la piste, nez cabré, jusqu'à la limite du décrochage. L’avion frémit. Il va décrocher ; Yeager le maintient pourtant dans cette position. Encore une seconde. Et une encore. Seconde après seconde, ce sont des kilos de carburant qui se transforment en vapeur derrière l’avion et l’allègent. Enfin, le nez s’abaisse de lui même. Bing ! Les roues prennent contact avec le sol. Les pneus n’explosent pas. Les jambes de train résistent. Ce ne sera pas pour cette fois...


Germain Chambost
Pilotes d’essais, le goût du risque calculé
Editions Alti Presse, 2005





>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   Extrait n°4


Copyright Germain Chambost 2005
pour ConsultingNewsLine
Courtoisie de l'auteur et des Editions AltiPresse
All rights reserved. Reproduction interdite
3
Leduc
 

Convergeonline

Apsidia