Carnets de voyage
Juillet 2004 
Tuyau de poêle
Par Germain Chambost


Au plan de la météorologie, le mois de juin de l’année 1955 ne se singularisait guère. Notamment pour les deux dernières journées du Salon du Bourget, samedi 18 et dimanche 19, journées « grand public ». Les prévisions n’annonçaient pas un temps superbe. Et c’est un euphémisme. La morosité du climat semblait vouloir s’accorder avec celle des esprits. Le pays entier était encore marqué par le terrible accident qui s’était produit une semaine auparavant lors de l’épreuve des 24 Heures du Mans. On ne parlait même que de cela. Quatre bolides, après s’être accrochés en course, avaient foncé dans la foule. Bilan, quatre-vingt morts. Le nombre des blessés était à l’avenant.  Or s’ils ne mettaient pas encore en pratique le principe dit de précaution, invention récente, les organisateurs du salon ne se montraient guère enclins à voir se dérouler le show aérien auquel aspiraient les constructeurs et les pilotes. Une semaine après une telle catastrophe Le Bourget et les avions ne pouvaient se permettre de prendre des risques inutiles.  Ou même de sembler vouloir en prendre. La coïncidence tombait mal. Car Le Bourget 1955 se situait à une période faste pour l’aéronautique française. Les sociétés de construction aéronautique avaient entrepris des programmes novateurs qui laissaient présager de belles réussites. Elles brûlaient d’en apporter la preuve.

Parmi les machines nouvelles, l’avion Leduc était à coup sûr l’une des plus révolutionnaires. Le « Leduc » , ainsi qu’on le désignait communément , dû au génie novateur de René Leduc, était en effet propulsé par un statoréacteur. Ou comme on le disait aussi : une tuyère thermopropulsive. Contrairement au turboréacteur que nous connaissons bien, le statoréacteur ne comporte aucune partie tournante, aucun compresseur pour comprimer l’air avant qu’on mélange celui-ci avec un carburant qui , en brûlant, fournira la poussée nécessaire. La compression de l’air est obtenue, naturellement, par la vitesse de l’avion, dans une sorte de gros cylindre de quelque 10 mètres de long, doté d’une aile de 10 mètres d’envergure et à l’avant duquel est placée la cabine du pilote. Encore faut-il pour disposer d’une compression suffisante, que cet avion équipé de sa tuyère thermopropulsive ait atteint auparavant la vitesse adéquate. Pour y parvenir le Leduc était installé au dessus du fuselage d’un avion porteur, un quadrimoteur à hélices Languedoc, qui l’amenait en altitude.

Le vendredi 17 juin, une réunion a lieu. Elle rassemble les responsables du Centre d’Essais en Vol, la direction des vols au Bourget et les représentants de la société Leduc, dont le patron, René Leduc. Le moins que l’on puisse dire est que la réunion a été assez animée. Le directeur des vols ne cache pas qu’il est loin d’être enthousiaste à l’idée de voir le Leduc réaliser un largage au dessus du Bourget, allumer sa tuyère et se poser ensuite en vol plané, selon le schéma qui lui est soumis. Le Président de la République, autre tradition du Bourget, sera présent dans la tribune officielle. Et l’on estime que 100 000 personnes se trouveront massées derrière les grilles qui délimitent l’emplacement réservé au public, ou sur les aires bétonnées de l’exposition statique. Impossible de ne pas établir de parallèle avec les 24 Heures du Mans...

La veille les pilotes d’essais Jean Sarrail  et  Yvan Litolff ont tiré au sort, à pile ou face, dans un café proche des Champs Elysées, pour savoir qui volerait le samedi, et qui le dimanche. Sarrail le samedi, Litolff le dimanche. Sarrail se glisse  jusqu'à son siège en position inclinée. Un a un, les quatre moteurs du Languedoc sont mis en route ; L’avion porteur roule vers la piste ; Long point fixe sur chacun des moteurs, alignement, décollage, mise en montée. Durant celle-ci, les hommes présents à bord peuvent constater de visu ce qu’ils pressentaient : le temps n’est vraiment pas fameux. Des nuages épars traînent vers 2000 mètres, qui constituerons à coup sûr une gêne pour le pilote au cours de ses évolutions et son retour vers la piste. Gonord, premier pilote du Leduc, aujourd’hui au commandes du Languedoc s’adresse à Sarrail : « je vous déconseille d’y aller... ». « J’y vais... » annonce Sarrail.


Germain Chambost
Pilotes d’essais, le goût du risque calculé
Editions Alti Presse, 2005





>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   Extrait n°5


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Leduc

 

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