Carnets de voyage
Juillet 2004 Mission secrète en Israël
Par Germain Chambost Le rêve de tout pilote qui vole de façon habituel sur un type d’avion défini est de pouvoir mieux connaître les appareils concurrents, d’en pendre les commandes, et de pouvoir les évaluer en vol. Un tel rêve cela va sans dire est plus facile à réaliser lorsque l’avion en question est un avion civil. Pour un avion militaire le rêve s’apparente presque à un fantasme ou à une gageure. On connaît cependant quelques cas célèbres de ce genre. Celui d’un pilote Coréen livrant aux Américains un modèle de MIG d’origine soviétique, ou d’un pilote d’une nation arabe en conflit avec Israël fournissant à l’Etat hébreux un autre modèle de semblable origine. Même si le pays possesseur de l’avion est un ami, ou un allié, il ne consent pas volontiers à livrer quelques-uns de ses secrets. Sauf lorsque des liens particulièrement étroits ont été noués entre deux nations. Tel était précisément le cas entre la France et Israël au cours des vingt années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. La France soutenait Israël et lui avait fourni nombre d’armements, elle aidera même Tel Aviv à construire le missile sol-sol de moyenne portée qui deviendra le Jéricho, dérivé du Marcel Dassault MD-620. L’Armée de l’Air israélienne utilisait des appareils français, Ouragan, Mystère, Vautour, entre autres, et plus tard des monoréacteurs de combat Mirage III. Des échanges de pilotes avaient lieu entre les deux pays. Il continuèrent, mais de manière plus discrète, après l’embargo décidé par le Général de Gaulle à la suite de la guerre des Six jours de 1967 En dépit des tensions politiques entre Paris et Tel Aviv, au mois de juillet 1976, une mission française, avec à sa tête le Lieutenant-Colonel Guillou, pilote d’essais, officier de l’Armée de l’Air, fut autorisée à voler sur le Kfir (lionceau en hébreux) israélien, pour en évaluer les caractéristiques et les capacités. Le Kfir était en fait un dérivé « made in Israël » du Mirage IIIC d’interception à haute altitude. Israël en avait reçu 72 exemplaires, rebaptisés Mirage IIICJ, qui jouèrent un rôle capital durant la guerre des Six jours de 1967. Le Mirage IIIC était propulsé par un réacteur Snecma Atar 9C de 6400 Kg de poussée et, comme appoint, en phase d’interception, d’une fusée de 1680kg de poussée, laquelle pouvait fonctionner durant une minute et demie. Le Kfir avait été conçu par les Israëliens pour faire face à l’arrivée en Syrie et en Egypte d’appareils nouveaux fournis par les soviétiques... Sur la cellule d’un Mirage III, les Israéliens, en l’occurrence la société Israël Aircraft Industries, avait "greffé" un réacteur américain General Electric J-79, qui équipait déjà leurs biréacteurs de combat Phantom. Le J-79 avait une poussée de 8126 kg . Soit, à peu de chose près, celle que fournissait le réacteur français Atar et la fusée d’appoint (mais, pour celle-ci, durant une minute et demie seulement...). Et avec une consommation spécifique en carburant réduite d’un quart... Les français furent conviés à venir jeter un œil en juillet 1976. La mission française était composée de deux pilotes d’essais, le Lieutenant-Colonel Jacques Guillou, chargé à l’Etat Major de l’Armée de l’Air du Programme "Avion de Combat du Futur" (qui deviendra le Mirage 2000), et le Commandant Francis Grimal, de l’annexe du Centre d’Essais en Vol de Cazaux (Gironde), ainsi que de l’Ingénieur en chef Claude Terrazzoni, du service technique aéronautique, et du Capitaine Bernard Oudot, officier mécanicien du Centre d’expériences aériennes militaires de Mont-de-Marsan. Le "contrat", négocié entre les deux pays par l’intermédiaire des attachés de l’Air auprès des Ambassades respectives, et entre les deux Armées de l’Air, prévoyait que chacun des deux pilotes d’essais français effectuerait trois vols sur les deux versions du Kfir, l’une d’interception, l’autre d’attaque au sol. Première constatation des français: la sophistication du système de navigation et d’attaque. L’avion est équipé d’une centrale à inertie, d’un viseur à tube cathodique "tête haute". Deuxième constat : le confort de l’avion, et la possibilité de "manipuler", comme dit Jacques Guillou, le moteur General Electric sans aucune restriction ni limitation dans tout le domaine de vol. Le pilote pouvait pousser la manette des gaz, ou la tirer, sans se préoccuper du reste : la régulation s’en débrouille ! Pour le reste, la comparaison des chiffres de performance du Kfir avec ceux du Mirage 5 [version modifiée du Mirage III qui aurait du être livrée à Israël s’il n’y avait pas eu l’ambargo] comme base de référence laisse les Français stupéfaits, presque pantois. Notamment l’Ingénieur en chef Claude Terrazoni, qui collationne chaque soir les données ramenées par les pilotes. L’avion made in Israël accélère beaucoup plus vite, que ce soit à haute ou en basse altitude et consomme beaucoup moins que le Mirage français... Un doute commence à se faire jour dans l’esprit des membres de la mission, qui tous, à un titre ou à un autre, sont impliqués dans le programme du futur Mirage 2000, dont la construction a été décidée en décembre 1975. Les 8500 kg de poussée, avec post-combustion, du réacteur M-53-2 de la Snecma, qui équipera le futur Mirage 2000, dont les vols sont prévus pour le printemps 1978, ces 8500 kg ne seront-ils pas un peu juste? Les observations et les enseignements recueillis par la mission dirigée par le Lieutenant-Colonel Guillou auront le temps de faire leur chemin dans les méandres des Etats-Majors et des Ministères. Avec le franc-parler que tous ceux qui l’on fréquenté lui reconnaissent, Jacques Guillou n’aura de cesse de plaider la cause du Mirage 2000. Ainsi sera mené à bien le développement des versions suivantes du réacteur jusqu'à la version M-53-P-2 actuelle, de 9700 kg de poussée avec post-combustion, plus conforme à ce que l’on peut attendre d’un moteur sur un avion comme le Mirage 2000. Autre constat qui avait retenu l’attention des français: la longueur nécessaire à l’insertion des paramètres de vol dans le système de navigation et d’attaque, insertion que le pilote effectue avant de mettre son réacteur en route pour partir en mission. Il y avait là matière à amélioration. Elle consistera dans la mise au point de ce que l’on appellera plus tard le MIP, Module d’Insertion de Paramètres, un support magnétique contenant tous les éléments d’une mission et qui pourra être préparé à l’avance, en salle d’opérations, avant que le pilote s’installe à bord de son avion. « Le système de préparation de mission était né. Sans doute une première mondiale » constate à posteriori Jacques Guillou. Germain Chambost Pilotes d’essais, le goût du risque calculé Editions Alti Presse, 2005 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Extrait n°7 Copyright Germain Chambost 2005
pour ConsultingNewsLine Courtoisie de l'auteur et des Editions AltiPresse All rights reserved. Reproduction interdite |
6
|
|