Carnets de voyage
Juillet 2004 
17 tours la tête en bas
Par Germain Chambost

En ce matin de décembre 2000, Daniel Muller se trouve au commandes du prototype du monomoteur de voltige Cap 222, biplace en tandem dérivé de l’avion américain Giles G-202. Il en assure les essais en vol.  Il gagne de l’altitude, en larges spirales qui se succèdent les unes aux autres. Le ciel de l’Espagne est clair, dégagé, sans nuage. C’est dailleurs pour cette raison que les essais ont lieu de l’autre côté des Pyrénées, alors que le constructeur  français de l’avion, Cap Aviation, est implanté sur l’aérodrome de Dijon-Darois, en Côte d’Or.  Mais en cette saison, les conditions météorologiques ne sont pas idéales sur la France.  Pour le vol de cette journée de décembre, Daniel Muller doit atteindre l’altitude de 10000 pieds (3000 m). Puis procéder à l’essai de vrille qui porte le numéro 74 dans la série (Quelque cent cinquante au total) qu’il doit exécuter pour "couvrir" cette partie du domaine de vol de l’avion. Cette vrille là est une vrille inversée, un vrille dos, moteur au régime maximum. Sur un avion de voltige il faut tout prévoir. Prouver que même dans ces conditions-là, l’avion reste maîtrisable et la vrille, aisément "récupérable"...

Pendant le montée Daniel Muller observe le paysage. Vers le sud, une chaîne de montagnes enneigées, celles de la Sierra Nevada, lui rappelle son pays natal, les Alpes et leurs sommets encapuchonnés de glace. Daniel Muller est d’origine suisse, même s’il a par la suite opté pour la citoyenneté française, au mois de novembre 1992. Il est né en janvier 1946 à Sierre, dans le Canton du Valais, ancienne République indépendante du même nom, puis Département du Simplon sous l’Empire. Il a suivi toutes ses études « sur les bords du Léman », comme aiment à le dire les Français pour parler de la Confédération Helvétique. Ancien élève de l’Ecole Polytechnique de Zurich, Ingénieur aéronautique, il a d’abord travaillé comme ingénieur "structure" à l’usine suisse d’avions de FFA Alterhein. C’était pour un appareil acrobatique d’entraînement. Déjà... En 1964 il obtient son brevet de pilote privé à Sion, avec comme instructeur Hermann Geiger, celui que l’on appelait le "pilote des glaciers". A cette époque Daniel Muller est étudiant et, pendant ses vacances universitaires, il travaille chez "Air Glaciers". Le plus souvent il occupe la place droite des avions qui ravitaillent les refuges et les cabanes de haute montagne. Le travail consiste à larguer du bois ou des provisions depuis un Pilatus PC-6 à moteur à piston, ou à procéder à l’évacuation des corps d’alpinistes accidentés. Plus tard il volera sur PC-7 à turbine et sur hélicoptère. En 1972  il entre chez Pierre Robin, à Dijon, appelé par Michel Brandt, son compagnon d’études de l’Ecole Polytechnique de Zurich, qui travaille chez le constructeur de Dijon-Darois. C’est Michel Brandt qui le formera à la voltige, puis aux essais en vol. En France, il obtiendra la licence de pilote professionnel avec qualification IFR, la qualification bimoteur, l’examen théorique de pilote de ligne. Puis en 1989, la licence de Pilote d’Essais, à l’Ecole du Personnel Navigant d’Essais et de Réception (EPNER) d’Istres.  C’est là que sont formés tous les pilotes d’essais français et bon nombre d’étrangers, car il n’existe qu’un très petit nombre d’écoles de ce genre de par le monde. En Occident, on en trouve deux aux Etats-Unis, une en grande Bretagne et une en France...

Pour l’instant Daniel Muller est en montée, tiré par les 200 CH de son moteur. Vers l’ouest le paysage se noie dans la brume matinale, mais l’est l’éblouit par la blancheur éclatante de la ville de Cordoue, patrie du célèbre matador El Cordobès, elle-même réputée entre autre pour sa mosquée, chef d’œuvre de l’architecture de la Dynastie Omeyyade, reconvertie en cathédrale sous Charles Quint. La ville lui servira de repères pour les essais d’aujourd’hui. Au delà de Cordoue, il devine la cité de Baylen, triste champ de bataille napoléonien, où le Général français Dupont capitula en 1808. Daniel l’avait survolée lors de son transfert depuis Dijon, avec une pensée au passage pour les soldats des Régiments Suisses au service de la France et de l’Espagne, qui avaient refusé de se massacrer mutuellement...

Sous lui le Guadalquivir serpente. Ses méandres sont semblables à ceux du Réchy, la rivière de son vallon valaisan. 7000 pieds. Une altitude à graver dans sa mémoire. C’est l’altitude à laquelle il devra impérativement évacuer l’avion, lors de l’essai, s’il ne réussit pas à arrêter la vrille... 7000 pieds minimum ou quinze tours maximum...

Encore un ou deux virages de 360° et il atteindra l’altitude de 10 000 pieds... Il passe sur le dos. Le nez de l’avion se fiche dans le bleu du ciel. Daniel sent un léger frémissement aux ailerons, indice de l’approche du décrochage. « Top ! » lance-t-il à la radio, en même temps qu’il enfonce à fond son pieds à gauche...

Germain Chambost
Pilotes d’essais, le goût du risque calculé
Editions Alti Presse, 2005



>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   Extrait n°8


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