La Chronique d'Olivier Chaduteau             
Mars 2009

Le coût du flou

« Back to strategy » ! Les cabinets de services professionnels - auditeurs, avocats, banquiers d’affaires, consultants en management, experts-comptables, notaires - s’en rendent bien compte aujourd’hui à travers le monde :
« ceux qui n’ont pas une stratégie claire, lisible, cohérente et équibilibrée (activités cycliques et contra-cycliques) sont en situation de crise profonde. Les autres s’en sortent mieux voire ont déjà pu saisir un certain nombre d’opportunités » . Et si mettre en place une stratégie gagnante consistait tout simplement à supprimer le flou et surtout les coûts du flou ? Après tout, « les vents ne sauraient être favorables à celui qui ne sait pas où il va » nous enseignait déjà Sénèque il y a plus de 2000 ans maintenant.

En période de croissance ou en période de crise, les problèmes de clarté du positionnement, de lisibilité des offres, de différenciation sont le quotidien des cabinets. Seulement, tant que la demande est là, les seuls problèmes qui existent sont des problèmes de « production », de « qualité » et de recrutement des équipes. Malheureusement, les cabinets ont oublié un principe de base du management qui veut que c’est en période de croissance qu’il faut se remettre en cause, afin de prendre son temps et d’anticiper les incontournables effets de cycle qui, d’aucuns l’avaient sans doute oublié, arrivent nécessairement un jour ou l’autre ! Maintenant, en période de crise, les marges de manœuvre sont plus difficiles. Ne pas avoir eu de réflexion stratégique sur ce qu’est et doit devenir le cabinet (vision), ce qu’il veut faire et ce pour quoi il veut être reconnu (mission), implique un énorme flou tant en interne auprès des associés et des collaborateurs qu’en externe auprès des clients et des marchés. Et ce flou jette un « dé » aléatoire à ce qu’il faut normalement faire, et tout devient désorganisation, démotivation, dévalorisation… Les choix en termes de management, de positionnement, de stratégie clients, de recrutement, ou de formation sont alors faits dans le plus grand des brouillards par chacun des associés, sans aucune cohérence et génèrent une image floue, des pertes financières mais aussi et surtout des pertes de clients, de marché, de collaborateurs et d’associés.


Une stratégie claire simplement articulée, mais surtout comprise, partagée et exécutée par tous
Le flou c’est un peu comme un grain de sable, il se voit à peine, pénètre partout au sein de l’organisation du cabinet et grippe tout le système. Avoir une stratégie claire permet de se faire connaître et reconnaître plus simplement par le marché, d’agir de façon cohérente et coordonnée et d’afficher une pertinence voire une différence qui apportent l’avantage concurrentiel et développent la marque de référence tant recherchée aujourd’hui. Derrière un leader, il y a toujours, non pas une stratégie de 50 pages, mais une vision et une mission très simplement articulées parfaitement comprises, partagées et surtout exécutées par les associés et l’ensemble des collaborateurs et ressources internes du cabinet. Trop souvent les associés sont excellents pour analyser les problèmes, bons pour trouver des axes d’amélioration, mais insuffisamment efficaces pour les mettre en œuvre dans la durée. Faites le test. Regardez le marché. Qui gagne les beaux dossiers dans votre secteur (et il y en a quand même en ce moment !) ? Qui affiche une réelle croissance en ces périodes difficiles ? Votre stratégie a-t-elle besoin d’un régime pour perdre ce flou qui pèse tant sur votre cohérence et votre performance ?


Une offre lisible et une valeur ajoutée reconnue
Au-delà d’être un poids pour le cabinet en interne, le flou est tout ce qu’un client déteste. « Manque de compréhension de qui fait quoi dans l’équipe », « non perception de la valeur ajoutée », « dérapage budgétaire non prévu et non communiqué », « manque de transparence dans les facturations et le prix »… Dès lors, le cabinet multiplie les efforts pour rester compétitif et s’installe dans une stratégie du « plus » plutôt qu’une stratégie du « mieux ». Plus d’appels d’offres, plus d’actions de développement, plus d’événements, plus de communication… et surtout in fine, plus de budgets, plus de temps non facturable, plus de « write off »... Comment faire ? Etre clair et transparent. Savoir présenter ce que fait le cabinet en 30 secondes. Et passer rapidement à une posture d’écoute active et de questionnement du client. S’intéresser à lui, à son métier, son secteur, son entreprise plutôt qu’au nombre de compétences du cabinet qu’on aura pu citer durant l’entretien, en espérant qu’il y en ait une que le client remarque et retienne ! Petit détail à ne pas oublier, pour le message que vous portez soit performant, il faut qu’il soit le même pour tout le monde au sein du cabinet. C’est la répétition qui crée la réputation, la diversité des messages génère le flou et l’incompréhension. Faites le test. Lors de votre prochaine réunion d’associés, demandez à chacun de présenter le cabinet en 30 secondes. Y-a-t-il un 30 secondes pour le cabinet ou un 30 secondes par associé ? Quel impact pensez-vous que cela peut avoir sur le marché, sur vos clients, ou sur votre marque… ?


Avoir les clients que l’on subit ou avoir les clients que l’on choisit ?
Non, promis, je ne réécrirai pas pour la millième fois depuis que je fais ce métier que « fidéliser un client coûte en moyenne 5 fois moins cher que d’en conquérir un nouveau » ! La valeur économique du « repeat customer » ne devrait plus être à démontrer. Pour conquérir, il vaut mieux choisir que subir ; pour fidéliser, il est préférable d’écouter que d’imposer. Truisme ? Pas tant que cela. Regardons de plus près le portefeuille clients des cabinets de services professionnels. Qui l’analyse et en tire de réelles conclusions stratégiques ? A savoir, se focaliser et investir – en qualité, en relation, en innovation, en expertise et en knowledge –  sur les clients les plus rentables aujourd’hui, mais surtout sur les plus prometteurs pour demain (en termes de chiffres d’affaires, de rentabilité, mais aussi d’influence et de crédibilité/image). Dédier le temps des associés sur quelques clients chacun avec pour objectifs premiers d’améliorer le relationnel, la connaissance de leurs marchés et de leurs métiers, la pertinence et la personnalisation des recommandations… créera davantage de valeur, (d’abord pour le client mais ensuite bien sûr pour l’associé et le cabinet). La clarté des objectifs de développement doit permettre aux professionnels de travailler davantage en équipe, au sein du cabinet, mais aussi et surtout avec les équipes du client, en solutions collaboratives.


Aider les fonctions support à être de véritables partenaires business et non des centres de coûts
S’il est un domaine dans lequel, le flou fait des ravages, c’est bien celui des fonctions support. La non connaissance ou l’incompréhension des réels objectifs stratégiques et du métier du cabinet génèrent un accroissement des coûts, mais surtout impacte fortement la productivité, la performance humaine et la relation, voire l’ambiance, entre les équipes. Mais attention, la compréhension doit venir des deux cotés, comme toujours dans une relation humaine. L’associé doit faire comprendre son métier et ses objectifs mais le « support », devenant de plus en plus un véritable professionnel de sa fonction (marketing, informatique, knowledge, ressources humaines, finances…) doit travailler à expliquer ses contraintes afin d’être certain que son travail au quotidien s’intègre et s’aligne parfaitement avec la stratégie du cabinet. Là encore, le « toujours mieux » devrait être favorisé par rapport au « toujours plus » qui a perduré ces dernières années générant « un petit peu de gras un petit peu partout » dans les structures. Cet alignement devrait, encore plus aujourd’hui en période de crise, être audité et surveillé afin de pouvoir désinvestir fortement sur ce qui n’apporte pas ou très peu de valeur au cabinet et fortement investir sur ce qui crée véritablement de la valeur. Dès lors, des objectifs précis doivent être assignés à chaque fonction support avec la mise en place d’indicateurs de performance et d’un réel suivi.

Ensuite, comme dans toute organisation désireuse d’assurer son développement et sa pérennité, une réflexion sur les compétences, formations et évolutions de carrière des équipes support devrait être engagée. La plupart des équipes actuelles ne résistent pas l’épreuve d’une projection à 5 ans de leur département et équipes. Faites le test. La croissance des salaires sur 5 ans au regard de la valeur ajoutée réelle actuelle génère un effet ciseau et érode la rentabilité.

Que faire ?
Le cabinet doit comprendre et valoriser les fonctions support, cela veut dire qu’elles doivent être de plus en plus professionnelles et écoutées au sein du cabinet. En poussant plus loin le raisonnement, ces fonctions doivent être traitées, évaluées et considérées comme dans toutes entreprises. Elles devraient dès lors se retrouver au comité de direction des cabinets. Peut-on concevoir une entreprise aujourd’hui qui n’aurait pas les fonctions finances, marketing, ressources humaines et informatiques représentées à son comité de direction ? Si cela était le cas, les associés ne regarderaient ils pas différemment les fonctions supports ? N’attendraient-ils pas davantage de valeur ? Les cabinets vont-ils faire l’impasse sur cette évolution majeure de la profession ?

Une véritable analyse des rôles et des compétences doit être réalisée et surtout doit venir supplanter l’approche quantitative historique de ces questions.  Des exemples, que nous avons constatés tout d’abord aux Etats-Unis, mais aussi déjà un peu en France prouvent que la voie est ouverte.

La crise doit permettre de saisir cette opportunité afin d’en sortir plus fort, mais surtout afin d’être prêt pour appréhender la croissance différemment et plus sereinement. Car après tout, si faire différemment ne signifie pas nécessairement faire mieux, pour faire mieux, il faut nécessairement faire différemment !

Olivier Chaduteau
Associé, fondateur du cabinet DayOne

 

Pour Info:
www.dayone.fr

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