La Chronique de Frédéric Doche
Directeur du cabinet Décision Performance Conseil
Président de l'association Centrale Consultants

Septembre  2008





Vers une autre approche du pilotage? 

Les managers qui doivent prendre des décisions - que cela soit dans des grandes entreprises ou dans des PME - souffrent le plus souvent de biais liés à un manque d’analyse des faits réels. Ces erreurs d’analyse peuvent avoir un impact très lourd, soit dans leur stratégie, soit dans les comptes. Un retour au management factuel (ou par la preuve) nécessite l’apprentissage par les dirigeants d’une démarche d’analyse des faits plus rigoureuse, basée sur une méthode et moins liée à l’intuition.

Le livre de deux professeurs de Stanford , J. Pfeffer et R. Sutton, paru fin 2006 est un plaidoyer en faveur d'une plus grande rigueur de jugement et d'un retour au management factuel (ou par la preuve). Les auteurs décortiquent les différents comportements managériaux négatifs qui conduisent souvent à de mauvaises décisions managériales. Ils prônent à un retour dans les instances de décision aux faits, à l’analyse des données réelles et à une prise de décision plus factuelle. Ils mettent en avant 10 comportements positifs pour le pilotage des entreprises.

«  Les 10 règles du management par la preuve :

- Considérer l'entreprise comme un prototype à améliorer sans cesse.
- Observer les faits, rien que les faits.
- Privilégier l'art du bon sens et de la preuve.
- Recourir aux services de conseillers extérieurs.
- Prendre conscience que les certitudes absolues sont destructrices.
- Décliner le management factuel à tous les niveaux hiérarchiques...
- ... Et vendre la démarche en interne.
- En cas d'échec, ralentir la diffusion de mauvaises pratiques.
- Considérer l'échec comme un révélateur.
- Ne pas tout miser sur un homme providentiel. »

Un certain nombre de ces règles s’appuient sur de meilleures pratiques en termes d’analyse des informations dans l’entreprise ainsi que sur la diffusion de cette culture d’analyse à tous les niveaux managériaux. Les nombreux commentaires qui ont suivi la parution de ce livre ont confirmé l’intérêt croissant des entreprises dans l’amélioration de leur processus de pilotage. L‘édition de décembre de la revue « the McKinsey Quartely » place dans les 8 tendances managériales à surveiller en 2008 la nécessité d’introduire plus de « science » dans le management. Les auteurs mettent en évidence que les environnements d’entreprises qui mettent en avant des processus de décision basés sur les faits seront plus effectives que celles qui basent leurs prises de décisions sur les habitudes, les semi-vérités, sur les approches qui ont été efficaces dans le passé.

La quantité d’informations potentiellement riches d’enseignement pour le pilotage de l’entreprise a crû de façon exponentielle durant la dernière décennie. Les outils d’analyse sont certes devenus plus puissants, plus prédictifs, plus orientés vers l’aide à la prise de décision mais il manque souvent la méthode d’utilisation et d’interprétation de ces analyses.
Pourtant tous les ingrédients pour que cette pratique de pilotage basé sur des analyses précises des données représentant la réalité, sont là, à disposition dans de nombreuses entreprises. Pourquoi cette pratique n’est-elle pas plus développée ? Quels sont les freins à la mise en œuvre de cette approche ?
Les freins sont, nous semble-t-il, essentiellement culturels au sein des entreprises françaises et se situent à trois niveaux.

Tout d’abord la suprématie de la remontée d’informations financières pour les investisseurs a occulté le besoin d’analyses aux niveaux hiérarchiques intermédiaires où la majorité de décisions quotidiennes sont prises. Le niveau opérationnel est souvent bien outillé en données très détaillées à partir de systèmes métiers opérationnels. La prise de décision sur un stock manquant, un client non livré,… est rapide et efficace. La direction générale obtient quant à elle un reporting régulier financier ou étendu de type Balanced-ScoreCard souvent de qualité. Cependant la synthèse décisionnelle au niveau intermédiaire est très souvent inexistante. Telle grande entreprise industrielle a repensé ses outils de pilotage en installant au premier chef son outil de reporting financier groupe mais très vite cela est apparu insuffisant pour obtenir les informations détaillées nécessaires à la plupart des décisions sur les produits, sur les hommes, sur les clients,… Chaque business a donc dû développer ses outils d’analyse pour obtenir les données vraiment nécessaires à ses prises de décision sans que la méthode d’analyse ne soit unifiée ni partagée.

Le deuxième facteur qui nous parait  freiner le développement de ces pratiques de pilotage a été une sur-simplification des modèles de l’entreprise. Sous prétexte de recherche de simplification et parfois par mimétisme trop grand avec d’autres expériences, certains cabinets de conseil ont poussés à des simplifications dans la modélisation de l’entreprise qui ne permet plus alors de rendre compte de complexité de la réalité. Le modèle économique de chaque entreprise est souvent unique et devient de plus en plus complexe avec la mise en place de partenariats, de réseau de fournisseur ou de prescripteurs…La réalité de l’entreprise vu par les managers tend vers un complexité croissante. Or, il est proposé trop souvent des approches de pilotage simplificatrices soit parce que les outils ne permettent pas de modéliser le « prototype » que représente l’entreprise au niveau de complexité souhaité soit  par faiblesse quand  les cabinets proposent sous couvert de gains potentiels des modèles pré-formattés qui leur permettent une certaine standardisation de leur offre propre. Il est indispensable que chaque entreprise ait un modèle de pilotage totalement adapté à la réalité de son métier à chaque niveau de l’entreprise.

Le dernier facteur et à la fois culturel et économique. Les comportements
« moutonniers » sont encore valorisés dans les entreprises. Telles modes de pilotage sont ancrées dans les habitudes : par exemple les affirmations telles que « délocaliser ou faire un CSP est toujours rentable », « compléter son offre par une offre internet est une évidence (attention avec les faux amis anglais : evidence = preuve) »,… sont souvent acceptées sans analyser la réalité de chaque métier. D’autre part, il est difficile de faire accepter le fait que prendre une bonne décision a un coût.  La croyance que la prise de décision par le manager est intégrée dans les tâches liées à sa fonction donc sans coût marginal est largement répandue (sans preuve). Un dirigeant d’une grande entreprise mondiale suisse indiquait que sa préoccupation majeure était que  les centaines voire  milliers de micro- décisions prises par ses managers au quotidien  aillent  dans le sens favorable à l’entreprise. Il se satisfait si une majorité d’entre elles peut aller dans le bon (et même) sens. Pour aider les managers dans ce processus, des outils de prise de décision sont mis à leur disposition. Faut-il encore qu’ils les exploitent et assoient leurs décisions sur l’analyse de  résultats qui apparaissent parfois contre-intuitifs par rapport à leurs expériences et attitudes.

Les impacts en termes de développement de systèmes décisionnels sont évidents : plus d’analyses complexes, plus de diffusion auprès du management intermédiaire, plus de méthodologie de prise de décision basée sur les données et les faits (analyse de rentabilité, analyse des options, valorisation des impacts immatériels…).

 Contrairement au discours classique, l’avenir des systèmes de décision en entreprise passera par la prise en compte de la  plus grande complexité des modèles économiques des entreprises que cela soit au niveau de la production, des liens financiers, des ressources humaines ou des services aux clients. Ces outils devront avoir une forte connotation prédictive afin de faire progresser le prototype « entreprise ».La diffusion de ces outils nécessitera du management un lâcher-prise sur nombre de décisions « automatisables » afin conforter la pratique de l’analyse des données réelles pour la prise de décision à tous les niveaux de leur entreprise. Les principes qu’ils devront encourager sont résumés en 5 attitudes :


Les 5 Principes du PPP (Pilotage Par la Preuve)

1. Considérer les faits bruts et construire une culture où les gens sont encouragés à dire la vérité, même lorsqu’elle dérange.  
2. Encourager le process de décision base sur les faits – cela implique de rechercher les éléments les plus pertinents pour la prise de décision et de les utiliser dans la prise de décision et les actions résultantes.
3. Voir l’entreprise comme un prototype non abouti et encourager l’expérimentation et l’apprentissage par la réalisation.
4. Analyser les risques et inconvénients de toute recommandation – même les meilleurs médicaments ont leurs effets secondaires.
5. Eviter toute prise de décision base sur les croyances non testées, sur les habitudes du passé ou sur des comparaisons (benchrmarks) avec les pratiques d’autres entreprises.

Suivre ces principes nécessite non seulement une réflexion sur les outils qui supportent ces attitudes mais surtout un accompagnement au changement des habitudes de prise de décision interne à chaque entreprise. Cela ne peut se faire qu’en mettant en place des méthodologies d’analyse des données unifiées et partagées dans l’entreprise. Seule une prise de conscience du management de l’impact de ce processus dans l’entreprise permettra une avancée vers un management et un pilotage plus scientifiques.

Frédéric Doche
Président et fondateur du cabinet Décision Performance Conseil
Président de Centrale Consultants


Pour Info:
www.conseil-dpc.com

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