Historique
du Recrutement :
De
la sélection sur la tache à la sélection sur l'agir
par Jérôme Barrand*1, Jocelyne Deglaine*1 et Noémylle
Thomassin*2
1
Professeurs à Grenoble Ecole de Management et co-fondateurs d’agil’OA
2 Consultante agil’OA
Peut-on
affirmer qu’à savoir-faire techniques égaux, il y a performance égale ?
Si tel était le cas, alors deux personnes possédant exactement les
mêmes savoir-faire techniques devraient obtenir exactement la même
performance. Cependant, les faits nous prouvent tous les jours le
contraire. Mais alors, qu’est-ce qui crée cette différence de
performance?
Depuis
une trentaine d’années, les spécialistes des RH nous disent que c’est
la personnalité. Or, là encore, les faits nous montrent que deux
personnes à la personnalité différente peuvent réussir dans un même
poste. Si ce ne sont ni les savoir-faire techniques qui expliquent la
différence de performance, ni la personnalité, alors nous faisons
l’hypothèse que c’est la manière de s’insérer dans un contexte. C’est
ce que nous appelons « l’agir », qui repose pour nous sur une certaine
acception de trois leviers d’action : l’anticipation, la coopération et
l’innovation.
Le
faire est désincarné, il indique un état. Savoir faire quelque chose,
c’est posséder les connaissances pour accomplir une tâche particulière,
quel qu’en soit le contexte d’application. À l’opposé, l’agir, sorte de
manière de faire, de se conduire, de se comporter dans un contexte
donné, permet à un individu de mettre en œuvre ses compétences au
sein
d’un système donné et de savoir exercer la bonne influence pour faire
avancer ce système vers sa finalité.
Au
cours du siècle dernier, le contexte dans lequel étaient plongées les
organisations humaines est passé d’un besoin de réalisation de tâches
grâce aux savoir-faire (production de masse) à un besoin de savoir-être
(marketing relationnel), puis, désormais,à la mise en œuvre du
savoir-agir (responsabilité économique, sociale et sociétale).
En
effet, pendant de nombreuses années, les organisations vivaient dans le
seul but de gagner de l’argent grâce à l’effet de volume, tout en
pourvoyant aux besoins primaires des clients enclins à posséder des
biens matériels. C’était le règne de la production de masse qui faisait
appel à des savoir-faire spécialisés : un ouvrier, une tâche.
Apparaît
ensuite au sein des entreprises, au-delà de ce besoin de savoir-faire,
un besoin de cohésion en interne et un besoin de fidélisation des
clients en externe. L’école des Relations Humaines se développe (à
partir de 1930) et modifie la vision associée aux travailleurs : ce ne
sont plus des machines, ce sont des êtres humains avec des motivations
et des personnalités propres.En parallèle, le marketing se développe
autour de la notion de fidélisation, qui implique une connaissance de
soi et de sa relation à l’autre.
Enfin,
nous entrons maintenant dans l’ère de l’agilité. Pour faire face à un
environnement turbulent, il s’agit de la capacité à anticiper et bouger
avec justesse (mouvement, temps, moyens et conséquences) et de manière
coordonnée (interne et externe) pour aller dans un même sens (Barrand
& Deglaine, 2013). Dans ce contexte où l’ensemble des parties
prenantes doivent être satisfaites, les organisations ont besoin de
savoir agir. Agir, c’est savoir anticiper les risques et les
conséquences de son action sur son environnement, c’est savoir
satisfaire ses interlocuteurs sans se sacrifier pour autant et c’est
savoir être ouvert aux solutions nouvelles tant le contexte change sans
arrêt.
Reconnaître
l’importance de l’agir dans notre société implique en particulier de
modifier nos techniques de recrutement. En effet, parallèlement à cette
évolution du besoin des entreprises, on a observé une évolution des
pratiques de recrutement. Nous sommes passées d’une recherche
exclusivement centrée sur lesavoir-faire à une recherche focalisée sur
le savoir-faire et le savoir-être puis, aujourd’hui, à une recherche
conjointe de savoir-faire, savoir-être et savoir agir.
La
première partie de l’histoire récente du recrutement est centrée sur la
recherche de main d’œuvre pour faire des tâches. L’Organisation
Scientifique du Travail (OST) commence à poser les jalons d’une
procédure de recrutement : la fiche de poste apparaît suite à la
division des tâches. On demande au candidat à un poste de prouver qu’il
possède le bon savoir-faire, la bonne technique, pour satisfaire au
besoin du poste.
La
seconde partie de l’histoire récente du recrutement ajoute l’être au
faire. L’école des Relations Humaines replace l’homme dans sa dimension
humaine et plus seulement technique.Du coup, à partir des années 60, on
observe l’essor du recrutement, qui gagne en ampleur au sein des
organisations et multiplie les outils qu’il utilise. En particulier,
dès la fin des années 70 se développent de nouveaux outils, notamment
sous l’influence des intermédiaires du recrutement qui cherchent à
créer de la valeur en se focalisant sur l’adéquation entre les besoins
de l’entreprise et les candidats recrutés. Si l’entretien de
recrutement reste une méthode prépondérante, les tests (de
personnalité, de raisonnement…) se développent, se démocratisent et
deviennent monnaie courante dans les processus de recrutement. Durant
cette période, on recherche alors des collaborateurs compétents et dont
la personnalité saura s’adapter à leur équipe.
Nous
entrons aujourd’hui dans la troisième partie de l’histoire récente du
recrutement, qui doit prendre un virage pour ajouter le savoir agir
dans un contexte. En effet, les organisations ont besoin d’acteurs
autonomes, responsables et mobiles… en bref, elles ont besoin
d’agilité.Il est donc important qu’elles adaptent leurs méthodes de
recrutement en ajoutant le savoir-agir au savoir-faire et au
savoir-être.
Les
organisations qui ne prennent pas ce virage encourent des risques
économiques majeurs en cas d’erreur de recrutement. D’après une enquête
menée par CareerBuilder, le coût direct d’une erreur de recrutementpeut
s’élever jusqu’à 50 000 €. En ajoutant les impacts négatifs en termes
de perte de revenus ou de productivité, ou de défis manqués par le
collaborateur, le coût total d’une erreur peut représenter le salaire
annuel brut de la personne recrutée ! Cette constatation est d’autant
plus alarmante que plus de la moitié des employeurs français rapportent
faire des erreurs de recrutement. Ces erreurs viennent du fait que les
méthodes de recrutement ont malheureusement du mal à prendre le virage
de l’agir.
Pour
tenter d’éviter ces erreurs coûteuses, les entreprises ont généralisés
l’utilisation des tests de personnalité. D’après l’étude « Testons les
tests ! » réalisée par NEOMA Business School, pour plus de 90% des
recruteurs, tester la personnalité reste le moyen le plus fiable de
pronostiquer la performance d’un candidat. Cependant, cette étude
montre que la personnalité est un indicateur de réussite médiocre parce
qu’elle ne tient pas compte du contexte de la personne testée.La
conclusion de cette étude met en avant que les meilleurs prédicteurs de
la réussite d’un recrutement sont les exercices de simulation,comme le
proposent par exemple les assessment centers. Ceux-ci mettent des
candidats en situation et analysent donc leur capacité à entrer en
action dans un contexte spécifique. Le critère clé de réduction
d’erreur d’un recrutement est donc bien la manière d’agir de façon
adéquate avec son contexte et ses interlocuteurs. Bref, c’est l’agir
qui va être déterminant. Or, la personnalité seule ne permet pas de
prédire l’agir. Au mieux, elle représente une probabilité, mais il faut
une interaction avec un environnement pour que s’exprime l’agir. Ces
procédures de simulation sont toutefois lourdes et coûteuses. C’est
pourquoi commencent à apparaître sur le marché de nouveaux outils
d’évaluation qui permettent d’évaluer le savoir agir des candidats en
fonction de leur contexte (voir par exemple l’Agile Profile®). Ces
outils sont rapides, peu coûteux, pertinents et fiables et sont
sûrement la piste à suivre pour des recrutements à risque réduits dans
un monde turbulent.
Jérôme Barrand, Jocelyne Deglaine et Noémylle Thomassin
pour ConsultingNewsLine
* Sources :
Barrand
J, & Deglaine J. (2013). Développer l’agilité dans l’entreprise :
de nouveaux leviers d’action et d’intelligence collective (1e ed).
Issy-les-Moulineaux, France : ESF.
CareerBuilder. (2013,
mai). Étude : Quel est le coût d’un mauvais
recrutement ?
Repéré à
http://recruteur.careerbuilder.fr/blog/2013/05/14/quel-est-le-cout-dun-mauvais-recrutement
Pralong, J. (2014,
février). Testons les tests !. H.R. Insights, 3, 3 – 10.
Schmidt, F. L., &
Hunter, J. E. (1998). The validity and utility of
selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical
implications of 85 years of research findings. Psychological bulletin,
124(2), 262.
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