La Chronique de Noémylle Thomassin & Jérôme Barrand
Sept 2016






Historique du Recrutement :
De la sélection sur la tache à la sélection sur l'agir
par Jérôme Barrand*1, Jocelyne Deglaine*1 et Noémylle Thomassin*2

1 Professeurs à Grenoble Ecole de Management et co-fondateurs d’agil’OA
2 Consultante agil’OA

Peut-on affirmer qu’à savoir-faire techniques égaux, il y a performance égale ? Si tel était le cas, alors deux personnes possédant exactement les mêmes savoir-faire techniques devraient obtenir exactement la même performance. Cependant, les faits nous prouvent tous les jours le contraire. Mais alors, qu’est-ce qui crée cette différence de performance?

Depuis une trentaine d’années, les spécialistes des RH nous disent que c’est la personnalité. Or, là encore, les faits nous montrent que deux personnes à la personnalité différente peuvent réussir dans un même poste. Si ce ne sont ni les savoir-faire techniques qui expliquent la différence de performance, ni la personnalité, alors nous faisons l’hypothèse que c’est la manière de s’insérer dans un contexte. C’est ce que nous appelons « l’agir », qui repose pour nous sur une certaine acception de trois leviers d’action : l’anticipation, la coopération et l’innovation.

Le faire est désincarné, il indique un état. Savoir faire quelque chose, c’est posséder les connaissances pour accomplir une tâche particulière, quel qu’en soit le contexte d’application. À l’opposé, l’agir, sorte de manière de faire, de se conduire, de se comporter dans un contexte donné,  permet à un individu de mettre en œuvre ses compétences au sein d’un système donné et de savoir exercer la bonne influence pour faire avancer ce système vers sa finalité.

Au cours du siècle dernier, le contexte dans lequel étaient plongées les organisations humaines est passé d’un besoin de réalisation de tâches grâce aux savoir-faire (production de masse) à un besoin de savoir-être (marketing relationnel), puis, désormais,à la mise en œuvre du savoir-agir (responsabilité économique, sociale et sociétale).

En effet, pendant de nombreuses années, les organisations vivaient dans le seul but de gagner de l’argent grâce à l’effet de volume, tout en pourvoyant aux besoins primaires des clients enclins à posséder des biens matériels. C’était le règne de la production de masse qui faisait appel à des savoir-faire spécialisés : un ouvrier, une tâche.

Apparaît ensuite au sein des entreprises, au-delà de ce besoin de savoir-faire, un besoin de cohésion en interne et un besoin de fidélisation des clients en externe. L’école des Relations Humaines se développe (à partir de 1930) et modifie la vision associée aux travailleurs : ce ne sont plus des machines, ce sont des êtres humains avec des motivations et des personnalités propres.En parallèle, le marketing se développe autour de la notion de fidélisation, qui implique une connaissance de soi et de sa relation à l’autre.

Enfin, nous entrons maintenant dans l’ère de l’agilité. Pour faire face à un environnement turbulent, il s’agit de la capacité à anticiper et bouger avec justesse (mouvement, temps, moyens et conséquences) et de manière coordonnée (interne et externe) pour aller dans un même sens (Barrand & Deglaine, 2013). Dans ce contexte où l’ensemble des parties prenantes doivent être satisfaites, les organisations ont besoin de savoir agir. Agir, c’est savoir anticiper les risques et les conséquences de son action sur son environnement, c’est savoir satisfaire ses interlocuteurs sans se sacrifier pour autant et c’est savoir être ouvert aux solutions nouvelles tant le contexte change sans arrêt.

Reconnaître l’importance de l’agir dans notre société implique en particulier de modifier nos techniques de recrutement. En effet, parallèlement à cette évolution du besoin des entreprises, on a observé une évolution des pratiques de recrutement. Nous sommes passées d’une recherche exclusivement centrée sur lesavoir-faire à une recherche focalisée sur le savoir-faire et le savoir-être puis, aujourd’hui, à une recherche conjointe de savoir-faire, savoir-être et savoir agir.

La première partie de l’histoire récente du recrutement est centrée sur la recherche de main d’œuvre pour faire des tâches. L’Organisation Scientifique du Travail (OST) commence à poser les jalons d’une procédure de recrutement : la fiche de poste apparaît suite à la division des tâches. On demande au candidat à un poste de prouver qu’il possède le bon savoir-faire, la bonne technique, pour satisfaire au besoin du poste.

La seconde partie de l’histoire récente du recrutement ajoute l’être au faire. L’école des Relations Humaines replace l’homme dans sa dimension humaine et plus seulement technique.Du coup, à partir des années 60, on observe l’essor du recrutement, qui gagne en ampleur au sein des organisations et multiplie les outils qu’il utilise. En particulier, dès la fin des années 70 se développent de nouveaux outils, notamment sous l’influence des intermédiaires du recrutement qui cherchent à créer de la valeur en se focalisant sur l’adéquation entre les besoins de l’entreprise et les candidats recrutés. Si l’entretien de recrutement reste une méthode prépondérante, les tests (de personnalité, de raisonnement…) se développent, se démocratisent et deviennent monnaie courante dans les processus de recrutement. Durant cette période, on recherche alors des collaborateurs compétents et dont la personnalité saura s’adapter à leur équipe.

Nous entrons aujourd’hui dans la troisième partie de l’histoire récente du recrutement, qui doit prendre un virage pour ajouter le savoir agir dans un contexte. En effet, les organisations ont besoin d’acteurs autonomes, responsables et mobiles… en bref, elles ont besoin d’agilité.Il est donc important qu’elles adaptent leurs méthodes de recrutement en ajoutant le savoir-agir au savoir-faire et au savoir-être.

Les organisations qui ne prennent pas ce virage encourent des risques économiques majeurs en cas d’erreur de recrutement. D’après une enquête menée par CareerBuilder, le coût direct d’une erreur de recrutementpeut s’élever jusqu’à 50 000 €. En ajoutant les impacts négatifs en termes de perte de revenus ou de productivité, ou de défis manqués par le collaborateur, le coût total d’une erreur peut représenter le salaire annuel brut de la personne recrutée ! Cette constatation est d’autant plus alarmante que plus de la moitié des employeurs français rapportent faire des erreurs de recrutement. Ces erreurs viennent du fait que les méthodes de recrutement ont malheureusement du mal à prendre le virage de l’agir.

Pour tenter d’éviter ces erreurs coûteuses, les entreprises ont généralisés l’utilisation des tests de personnalité. D’après l’étude « Testons les tests ! » réalisée par NEOMA Business School, pour plus de 90% des recruteurs, tester la personnalité reste le moyen le plus fiable de pronostiquer la performance d’un candidat. Cependant, cette étude montre que la personnalité est un indicateur de réussite médiocre parce qu’elle ne tient pas compte du contexte de la personne testée.La conclusion de cette étude met en avant que les meilleurs prédicteurs de la réussite d’un recrutement sont les exercices de simulation,comme le proposent par exemple les assessment centers. Ceux-ci mettent des candidats en situation et analysent donc leur capacité à entrer en action dans un contexte spécifique. Le critère clé de réduction d’erreur d’un recrutement est donc bien la manière d’agir de façon adéquate avec son contexte et ses interlocuteurs. Bref, c’est l’agir qui va être déterminant. Or, la personnalité seule ne permet pas de prédire l’agir. Au mieux, elle représente une probabilité, mais il faut une interaction avec un environnement pour que s’exprime l’agir. Ces procédures de simulation sont toutefois lourdes et coûteuses. C’est pourquoi commencent à apparaître sur le marché de nouveaux outils d’évaluation qui permettent d’évaluer le savoir agir des candidats en fonction de leur contexte (voir par exemple l’Agile Profile®). Ces outils sont rapides, peu coûteux, pertinents et fiables et sont sûrement la piste à suivre pour des recrutements à risque réduits dans un monde turbulent.

Jérôme Barrand, Jocelyne Deglaine et Noémylle Thomassin
pour ConsultingNewsLine


* Sources :

Barrand J, & Deglaine J. (2013). Développer l’agilité dans l’entreprise : de nouveaux leviers d’action et d’intelligence collective (1e ed). Issy-les-Moulineaux, France : ESF.

CareerBuilder. (2013, mai). Étude : Quel est le coût d’un mauvais recrutement ?
Repéré à
http://recruteur.careerbuilder.fr/blog/2013/05/14/quel-est-le-cout-dun-mauvais-recrutement


Pralong, J. (2014, février). Testons les tests !. H.R. Insights, 3, 3 – 10.

Schmidt, F. L., & Hunter, J. E. (1998). The validity and utility of selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical implications of 85 years of research findings. Psychological bulletin, 124(2), 262.


  


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