La Chronique d'Yves Perez              
15 janvier 2007


Comment résoudre l'équation nucléaire iranienne?

Le prétexte des armes de destruction massives invoqué pour justifier l'intervention américaine en Irak, sachant qu'il n'y en avait pas, et les piètres performances US ultérieures ont conféré aux pays qui veulent s'équiper d'armes nucléaires un mobile prêt à l'emploi dont on n'a pas fini de mesurer les conséquences,  la première étant la revendication de l'Iran sur son programme nucléaire. Un Iran auquel il serait peut-être prudent d'appliquer un traitement négocié plus que des sanctions, et ce d'autant qu'il reste signataire du traité de non prolifération...

   
Bushehr
Centrale nucléaire de Bushehr en Iran. Source : US State Department.  Licence: PD US DOS 


L’Iran a choisi de défier la communauté internationale en faisant fi des sanctions économiques et commerciales de l'ONU - sanctions au demeurant fort édulcorées, grâce aux interventions de la Chine et de la Russie – deux de ses excellents clients. Les Etats-Unis ont dû accepter un compromis mi-chèvre – mi-chou qui ne les satisfait guère.  L’Union Européenne a, une fois de plus, jouée de ses bons offices. La Troïka, Londres, Berlin et Paris s’est employée, sans grand succès à rapprocher les points de vue en présence. Résultat, une résolution qui mécontente tout le monde. Comment en est-on arrivé là et surtout que convient-il de faire ?

Comment en est-on arrivé là ?
En faisant tomber le régime de Saddam Hussein, les américains ont ouvert un grand vide au Moyen-Orient. L’Iran s’est employé à le combler. Fort de ses alliés chiites à Bagdad, Téhéran n’a cessé d’accroître son influence en Irak, trouvant ainsi une occasion inespérée de revanche après la guerre Iran-Irak. Un jour ou l’autre, les chiites seront au pouvoir à Bagdad. Par ailleurs, l’Iran a patiemment tissé sa toile au Moyen-Orient. Tout d’abord en se rapprochant de Damas en butte à la méfiance de Washington et de Paris depuis l’assassinat du premier ministre libanais Rafik Hariri. Le Hezbollah libanais lui a ensuite permis de signifier à Israël les limites de sa puissance militaire, au moins sur sa frontière nord. Enfin, Téhéran s’est rapproché du Hamas confronté aux sanctions économiques des Etats-Unis et de l’Union Européenne depuis sa victoire aux élections législatives.

Tirant les conclusions de l’intervention militaire américaine en Irak, l’Iran semble avoir fait le calcul suivant:  il nous faut la bombe, tout comme l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël. On oublie trop souvent, vu de Paris, que les ambitions nucléaires de l’Iran ont commencé à l’époque du Shah et qu’elles se sont poursuivies depuis lors à peu près sans discontinuer. On a d’autant plus tort de l’oublier que les attentats terroristes déclenchés à Paris en 1988, au plus fort de la guerre Iran/-rak, semblent avoir été dû principalement à deux décisions françaises: le prêt par la France à l’aviation irakienne de super-étendards qui furent utilisés ensuite pour attaquer le terminal pétrolier de Kharg, et le gel par la France de sa coopération nucléaire avec Téhéran, dans le cadre d’Eurodif.

Les Iraniens ont, à n’en pas douter, l’ambition d’être assurément une puissance nucléaire civile et, sans doute aussi, militaire. Il s’agit là d’un objectif politique à long terme et qu'il sera difficile à l’occident d’empêcher – sauf à offrir à l’Iran de très importantes contreparties économiques et politiques.


Que faire ?
L’enlisement américain en Irak rend peu crédible le recours à la force par les Etats-Unis. Et le politologue Pierre Hassner, professeur à l’IEP de Paris, a été jusqu’à dire que le choix de l’option militaire contre l’Iran, pourrait bien marquer la fin de la puissance américaine. Une sorte de Suez à plus grande échelle en quelque sorte.

Le recours aux sanctions économiques a peu de chances de s’avérer efficace, surtout lorsque l’on sait le manque d’enthousiasme de Pékin et de Moscou mais aussi de New Delhi. L’option diplomatique reste la seule possible et les Iraniens le savent. A ce propos, et il convient de le dire, l’Iran n’est pas la Corée du Nord. Il existe dans ce pays des institutions démocratiques, certes imparfaites mais néanmoins réelles. La preuve en est que le président Ahmadinejad et son parti viennent de subir un cinglant revers aux municipales et aux législatives.

Il est donc nécessaire de garder présent à l’esprit qu’un dialogue constructif avec ce pays est possible, à condition de savoir s’appuyer sur les conservateurs modérés de Rafsandjani qui viennent de faire un retour en force sur la scène politique iranienne, sans oublier les réformateurs de Khatami qui n’ont pas dit leur dernier mot. L’Iran est ne l’oublions pas le pays du Moyen-Orient qui possède le plus fort potentiel d’évolution démocratique et économique. Si l’Iran n’apparaît qu’au 30ème rang des puissances économiques en termes de dollars, elle s’affiche au 16ème rang lorsque l’on a recours à la méthode des parités de pouvoir d’achat. Attention donc à ne pas confondre l’Iran avec les foucades d'un président ultra-nationaliste qui est loin de faire l’unanimité, sauf en cas de péril extérieur imminent et de menace de guerre où jouerait automatiquement le réflexe patriotique. A ce propos, les européens devraient se souvenir de ce que fut l’ostpolitik menée par l’Allemagne à l’égard de l’URSS et des pays du Pacte de Varsovie.

Le renforcement des échanges et de la coopération entre les pays de l’Union Européenne et l’Iran – ce que demande ce pays qui vient d’adopter l’euro de préférence au dollar pour ses échanges extérieurs – ne peut que faciliter l’évolution du régime dans un sens démocratique. Qui se souvient encore que peu avant l’invasion de l’Irak par l’armée américaine, c’étaient les réformateurs de Mohamed Khatami qui tenaient le haut du pavé à Téhéran?

Enfin, et cela quelle que soit l’équipe au pouvoir à Téhéran, l’Iran aspire à être reconnu et traité comme une puissance régionale au Moyen-Orient. L’intelligence pour les vieux pays européens ne consisterait-elle pas à le reconnaître et à aménager ce nouveau rôle de l’Iran – quitte à lui fixer des limites plutôt qu’à le combattre avec maladresse.

Le monde qui vient est et sera de plus en plus un monde multipolaire où la stabilité n’y sera plus assurée par la super-puissance américaine ni même pas l’Union Européenne alliée aux Etats-Unis mais par des compromis entre les vieilles puissances autrefois dominantes et les nouvelles puissances régionales (Chine, Brésil, Inde, Iran, Afrique du Sud…).  De ce point de vue, la question de savoir si l’Iran sera ou non une puissance nucléaire a somme toute moins d’importance que la consolidation de son évolution vers un régime plus démocratique – évolution qui ne peut intervenir que dans un contexte de détente – et que la reconnaissance et la délimitation de son nouveau statut de puissance régionale. C’est à ce prix et à ce prix seulement que Téhéran pourrait accepter d’échanger l’accès à l’arme nucléaire contre une reconnaissance de son rôle par les pays occidentaux.

Yves - André Perez
Directeur de l’IDCE
Institut pour le Développement du Conseil en Entreprise.
Institut associé à l'UCO, Université Catholique de l'Ouest


Retour : La Chronique d'Yves Perez
Les Chroniques de ConsultingNewsLine:   retour


Pour Info:
www.idce.com


Images :
US State Department  via Wikipedia. Licence: PD US DOS 


Copyright Yves Perez  2007
pour ConsultingNewsLine
All rights reserved
Reproduction interdite
Yves Perez


 





























   Convergeonline