La Chronique d'Yves Perez
27 Septembre 2006 Eurofighter: la couleur de l'Europe, un goût amer en plus BAE System, le groupe britannique vient de confirmer son désengagement d'EADS. Si les retards de l'Airbus A380 donnent un prétexte bien facile à ce départ, la signature d'un contrat de vente de 72 Eurofighter à l'Arabie Saoudite avec l'aval de Washington confirme une européanité britannique à géométrie variable et révèle une Europe à la recherche de sa base d'alliances Le bi-réacteur Eurofighter Typhoon, concurrent du Dassault Rafale. BAE en aurait vendu 72 à l'Arabie Saoudite. Depuis le printemps on savait BAE System, l’entreprise britannique de défense, portée à se séparer de sa participation dans EADS, le consortium européen d'aéronautique et défense qui fabrique entre autre l'A380 via sa filiale Airbus. Début septembre les choses se sont accélérées, le Conseil d’Administration de BAE System a en effet demandé formellement à ses actionnaires d'entériner la cession des 20% de parts que BAE détient encore dans le capital d''EADS, soit au bas mot environ 3 milliards d’euros. Depuis, le processus de désengagement semble s'être continuement accéléré, la séparation devenant maintenant inéluctable. Retour sur les raisons d’un départ à l'anglaise Pour les consultants spécialisés dans le secteur de la défense, le départ de BAE ne faisait aucun doute depuis un certain temps, seul le moment opportun devant encore attendre les aléas de l'histoire pour être définitivement fixé. Les problèmes de l'Airbus A380, révélés récemment auront donc été le prétexte tant attendu de l'autre côté du Channel pour mettre en application cette stratégie. Officiellement la firme britannique aurait réagi afin de pallier à une dépréciation de la valeur de son capital liée aux difficultés sus-citées... Alertée par la Banque Rotschild*, le groupe britannique aurait ainsi demandé un audit* d’Airbus au cabinet PriceWaterhouseCoopers, lequel aurait produit un compte-rendu sévère sur les perspectives financières à court et moyen terme et confirmé les craintes émises par la Banque d'affaire, ouvrant ainsi à BAE la route du retrait. Un retrait qui constitue un coup sévère pour EADS, car non seulement les difficultés incriminées englobent le programme de développement de l’A-380 mais également les modalités de financement de l’A-350-XWB (Xtra Wide body), le projet d’avion de 350 places destiné à concurrencer le 787 Dreamliner de Boeing, concurrent direct, bien que sur un autre créneau, de l'A380. Et l'on imagine que retards et retrait aient depuis lors contribué à aviver les divergences de vues que les partenaires français et allemands entretenaient soigneusement au sein du consortium. Aboutissement d'une stratégie purement financière servant des intérêts atlantistes ou bien atlantisme avançant masqué sous les oripeaux de la rigueur financière? BAE le regard tourné vers le grand large et les sables du désert S'il ne fait donc aucun doute que BAE souhaitait se rapprocher des groupes de défense d’outre-atlantique, les difficultés d’Airbus permettant dés lors de justifier un tournant stratégique mûrement réfléchi et décrété de longue date, un événement récent est venu corroborer cette appréciation, pour ceux qui en douteraient encore. En effet, entre la crise du nucléaire iranien et la guerre au Liban, l’événement est presque passé inaperçu. Il s’agit de la vente de plus de soixante dix chasseurs-bombardiers Euro-fighter Typhoon par BAE à l’Arabie Saoudite dans le cadre du rééquipement des forces aériennes du royaume saoudien. A n’en pas douter, ce contrat mirobolant n’a pu être signé sans l’aval de Washington dont on connaît l’influence à Riad, notamment, pour tout ce qui concerne les questions de sécurité et de défense. BAE aurait donc déjà encaissé cet été les premiers dividendes de son retournement d’alliance et l'on comprend mieux dés lors les tensions sur EADS apparues très tôt dans l'année. Une raison de plus certainement pour Dassault Aviation de réexaminer sa position dans EADS. Toutefois ce coup dur pour la technologie française autant que pour l'Europe pourrait avoir une issue intéressante. Quand Moscou frappe à la porte d'EADS La Vnechtorgbank** (VTB) qui possède 5,2 % du capital d’EADS vient de faire savoir qu’elle était prête à s’engager plus étroitement dans les activités du consortium européen. Or la banque d'affaire russe agit à n'en pas douter avec le soutien du Kremlin qui souhaite refaire de la Russie une grande puissance aéronautique et a donc besoin pour cela d’une alliance avec l’Europe. Cependant, les Russes se méfient et gardent encore un souvenir mitigé de la façon dont a été éconduit Alexeï Mordachov, le PDG de Severstal qui avait voulu jouer le chevalier blanc d’Arcelor face à l’Indien Mittal. Nul doute que les Russes s’y prendront cette fois-ci autrement et il est raisonnable de penser que Vladimir Poutine a inscrit cette question au menu du sommet franco-germano-russe qui s'est déroulé du 22 et 23 septembre près de Paris. L’idée du président Russe semble être de créer un grand holding public de l’aéronautique et de l’armement russe (l’OAK) qui pourrait peser rapidement 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires. En ces temps de menaces géostratégiques, de montée en puissance de la Chine et par voie de conséquence de renchérissement des matières énergétiques, l'arrivée de la Russie pourrait être un facteur de consolidation européen efficace, même si il y a encore peu, nul n'aurait donné le moindre crédit à un tel projet. En tout cas un facteur que les USA semblent ne pas avoir pris en considération. Une Europe coincée entre l'Ouest et l'Est Maintenant l'avenir du groupe EADS reste incertain. Le retrait britannique pourrait bien ne pas être un cas isolé mais le révélateur d'un départ progressif des divers partenaires. Dés lors les rivalités franco-allemandes sur la gouvernance du consortium pourraient bien tourner au jeu des chaises musicales. Même si l'on en est pas encore là, ce que l’affaire du retrait de BAE révèle c’est que l’Europe est de moins en moins un espace pertinent pour les alliances industrielles et technologiques, "ce vieux rêve de l'après 93" et que dans l'avenir le choix pour les entreprises européennes risque de se résumer à des alliances transatlantiques, comme l’a fait BAE, soit encore à des alliances avec des groupes appartenant aux pays de l’Est (Russie) ou d'Asie (Inde, Chine…). Et faute de savoir choisir, les Européens risquent fort de devenir les otages des nouvelles stratégies industrielles des groupes transatlantiques autant que de celles des pays en pleine ascension. Une intégration ingénieuse des intérêts des pays émergents dans la politique industrielle européenne pourrait ouvrir un axe stratégique qui jusqu'à présent n'existait pas, et ce, au nez et la barbe des Etats Unis. Yves Perez Directeur de l’IDCE Institut pour le Développement du Conseil en Entreprise Retour : La Chronique d'Yves Perez Les Chroniques de ConsultingNewsLine: retour http://www.idce.com sources: * Dominique Gallois, Le Monde du 8 septembre 2006 ** Marc Deguer La Tribune du 25 septembre 2006 BAE System: http://www.baesystems.com/newsroom/newsindex2006.htm Images : Typhoon d'Eurofighter. Extrait du site d'Eurofighter. Images libres de droit pour la presse. Copyright
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