La Chronique d'Yves Perez              
7 mars  2007

Spécial élection présidentielle

Quelle place pour la France, puissance moyenne européenne dans un monde globalisé ?

I Les ratés du discours moralisateur de la France face aux nouvelles puissances régionales du Sud
 

A l’instar de celui des Etats-Unis, le discours de la France se veut toujours «universel» et moralisateur. A une différence près, toutefois : les Etats-Unis sont une super-puissance mondiale tandis que la France n’est qu’une puissance moyenne européenne. Qu’à cela ne tienne diront certains, la parole de la France, déliée de la puissance, n’en aura que plus de poids aux yeux du monde. Et de citer à l’appui la mobilisation internationale contre l’intervention américaine en IRAK, où la France a, il est vrai, joué un rôle de premier plan. Cependant, plusieurs faits récents viennent tempérer l’optimisme de ce point de vue et nous mettre en garde contre les pièges que recèle un discours moralisateur dans un monde à la fois multipolaire et multiculturel.


L’engouement pour les lois mémorielles
D’intention humaniste et généreuse, la loi sur la reconnaissance de la responsabilité turque dans le génocide arménien, s’inscrit dans le droit fil de cette tradition d’une France universaliste et « porte-parole » de l’humanité. Or, et comme on pouvait le prévoir, la Turquie, déjà irritée par les propos intempestifs tenus par certains hommes politiques hostiles à l’entrée de ce pays dans l’Union Européenne, a violemment réagit à cette prétention d’un pays étranger de venir réécrire, à son insu, un épisode de son histoire nationale. Cette loi spectaculaire a déclenché l’ire de la classe politique turque contre la France – au point que même les intellectuels turcs qui, à travers un patient travail de recherche, luttent pour intégrer ce fait historique dans la mémoire nationale, y ont vu un coup de poignard dans le dos. Ajoutons aussi que cette loi est venue contrecarrer le travail discret et patient entamé par la Commission de l’Union Européenne ainsi que par le Parlement Européen afin de consolider la culture démocratique dans ce pays. Le vote de la loi sur les « aspects positifs » de la colonisation française en Algérie – retirée depuis – a été particulièrement malencontreuse. Sur le fond, elle a envoyé un signal négatif à l’Algérie. Sur la forme, elle a différé pour une durée non déterminée la signature du traité d’Amitié franco-algérien, traité conçu sur le modèle du traité d’Amitié franco-allemand.


Le refus de la France de discuter du Liban avec Damas
Alors que plusieurs pays de l’Union Européenne, dont l’Italie, plaident pour une reprise des négociations avec Damas afin de tenter de dénouer les fils de l’inextricable crise libanaise, la France s’est drapée dans une position de refus. Paris s’obstine à ignorer Damas au risque de voir les Etats-Unis renouer un jour le dialogue avec le régime de Béchir Al Assad (et, aussi avec Téhéran), par-dessus la tête du Quai d’Orsay. Suivant en cela l’exemple du Général de Gaulle, il serait bon de ne pas continuer à s’envoler vers l’Orient compliqué avec des idées trop simples.


L’Iran a-t-il le droit de développer le nucléaire civil ?
La question a été posée par l’une des candidates à l’élection présidentielle au cours d’un voyage en Israël. Cette position a surpris nombre d’observateurs de la scène Moyen-Orientale puisque l’Iran, pays signataire du traité de non-prolifération, a parfaitement le droit de développer les usages civils du nucléaire et ne s'y est d'ailleurs pas collé depuis hier ou avant hier.  Ajoutons au passage que ni les Etats-Unis ni Israël n’ont exigé de l’Iran qu’il renonce aux usages civils du nucléaire.

Ces faits récents sont une illustration des pièges du discours « universaliste » tenu par la France sur la scène internationale et des problèmes de communication qu’ils engendrent avec les nouvelles puissances régionales.


La France face au réveil des identités
Le monde qui vient sera de moins en moins homogène. Il sera travaillé par le retour des identités nationales, culturelles et religieuses. Le monde vu d’Ankara, de Téhéran, de New Delhi ou de Pékin ne ressemble pas à celui que nous avons appris dans nos manuels d’histoire. Nous devrons cependant nous y habituer car ces pays, avides de reconnaissance, seront amenés à jouer un rôle croissant dans un monde, à la fois, multipolaire et multiculturel.

Nous serions bien avisés de nous en rendre compte et de l’intégrer dans notre discours, sauf à obérer l’avenir de nos relations avec ces pays. Mesurés à l’aune des PIB calculés en parités de pouvoir d’achat, et non plus en dollars, l’Iran et la Turquie font déjà partir du G 20 qui pourrait bien devenir demain, la nouvelle instance de concertation planétaire en lieu et place d’un G8 jugé de moins en moins représentatif par les nouveaux pays émergents.

Plaidoyer pour une France (et une Union Européenne) médiatrice des cultures
La France est et sera, de plus en plus, une puissance moyenne régionale européenne. A l’intérieur même de l’Union Européenne, elle ne retrouvera pas le rôle qu’elle a exercé jusqu’ici. Elle devra composer avec une Europe appelée à s’étendre sans cesse plus loin vers l’Est – nous aurons l’occasion de revenir sur ce point dans l’une de nos prochaines chroniques.

En 2020, à en croire Philippe Bourguignon, économiste en chef à la Banque Mondiale, la France ne sera plus que le dernier pays du G8, sans doute dépassée par l’Inde, et talonnée par le Brésil et la Russie.

Dans ce nouveau monde, la France devra se poser moins en donneuse de leçons qu’en médiatrice entre les cultures des pays émergents. Elle devra s’engager avec elles dans un dialogue ininterrompu. En ce sens, le philosophe et sinologue François Jullien nous invite à nous engager dans cette voie et à travailler sur les "décalages entre les cultures" : « Décaler, écrit-il, s’entendant aux deux sens du terme : opérer un déplacement par rapport à la normale (celle de nos habitudes de pensée) en passant d’un cadre à l’autre – d’Europe en Chine et réciproquement – qui fasse bouger nos représentations et remette en mouvement la pensée, et aussi décaler au sens d’enlever la cale : pour commencer d’apercevoir ce contre quoi nous ne cessons de tenir calée la pensée mais que, par la-même, nous ne pouvons penser ». (François Jullien, Traité de l’efficacité, Paris, Grasset, 1996).


Conséquences pour les entreprises françaises
Alors que la France ne cesse de voir ses parts de marché s’éroder sur les marchés mondiaux, AREVA n’aurait-il pas apprécié de pouvoir construire en Iran des centrales nucléaires, avec tout le conseil, le financement, l'organisation et la formation qui vont avec, plutôt que de voir l'ancien Empire perse se tourner vers les technologies de l'ex Union soviétiques? D’autant que l’Iran a demandé à la France de prendre la tête d’un consortium européen pour l’aider à développer son industrie nucléaire civile et qu'historiquement l'Iran a contribué au capital d'Eurodif, l'usine d'enrichissement du Tricastin. Apparemment, ces informations ne semblent pas être parvenues à l’oreille de certains prétendants à la magistrature suprême de la République. Tout comme le fait que Téhéran ait décidé de substituer l’euro au dollar afin de régler ses échanges extérieurs ! Les entreprises françaises qui apprécient pourtant à sa juste valeur le développement du pourtour de la Mer noire, du Moyen-Orient et du Maghreb ne risquent-elles pas de pâtir de l’attitude de nos députés ? et au passage de passer à côté de quelques beaux appels d’offres ? Les militaires turcs nous ont pourtant lancé comme un signal !  Idem pour l’Algérie qui a préféré rééquiper sa flotte de combat avec des Mig 29 et des bombardiers SUKOI plutôt qu’avec des RAFALE ..

Yves - André Perez
Directeur de l’IDCE
Institut pour le Développement du Conseil en Entreprise.
Institut associé à l'UCO

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