La Chronique d'Yves Perez              
17 avril  2007

Spécial élection présidentielle

Quelle place pour la France, puissance moyenne européenne dans un monde globalisé ?

II Le glissement vers l'Est de l'Europe :
   vers un axe Paris-Berlin-Moscou ?

Depuis la disparition de l’URSS et la réunification de l’Allemagne, l’Europe carolingienne des pères fondateurs a cédé la place à une Grande Europe qui s’étend jusqu’aux marches de la Russie et du Bosphore.  Mais, déjà, cette Europe qui tarde à trouver sa forme politique commence à regarder plus loin : vers la Russie et l’Asie mineure. L’hypothèse d’un axe Paris-Berlin-Moscou commence à se faire jour dessinant la perspective d’une Très Grande Europe (TGE) de l’Atlantique à Vladivostok.


Les pères fondateurs de l’Europe n’avaient qu’une seule idée en tête : sceller la réconciliation franco-allemande et favoriser l’émergence d’un espace de paix et de prospérité en Europe occidentale pour faire pièce à l’expansionnisme soviétique.

L’Europe du Traité de Rome (1958) était une petite Europe carolingienne dont la frontière s’arrêtait au beau milieu de l’Allemagne. Vivant à l’ombre du parapluie nucléaire américain, cette Europe se cantonnait uniquement au terrain de l’économique et de ce Montesquieu appelait le « doux commerce ». Au fil des décennies, la petite Europe des six s’est élargie jusqu’à englober douze puis quinze pays. Mais, elle restait fondamentalement une Europe carolingienne dominée par le tête-à-tête franco-allemand sous le haut arbitrage des Etats-Unis pour tout ce qui relève de la « haute politique », c’est-à-dire, la diplomatie planétaire et les affaires géostratégiques. La disparition aussi brutale qu’inattendue de l’URSS et la réunification toute aussi soudaine de l’Allemagne a changé la nature même de l’Europe. La petite Europe carolingienne à base franco-allemande s’est effacée pour laisser place à une grande Europe qui s’étend désormais des rivages de l’Atlantique aux marches de la Russie et du Bosphore. Les anciens pays de l’URSS, tout juste émancipés de la tutelle pesante de Moscou se sont tournés vers l’Union Européenne sur le plan économique tout en faisant acte d’allégeance politique et militaire aux Etats-Unis et à l’alliance Atlantique.
La vieille alliance franco-allemande nouée en 1963 sous les auspices du général de Gaulle et du Chancelier Adenauer a commencé à vieillir. Alors que l’Allemagne retrouvait un rôle économique et (politique ?) à sa mesure dans son ancien hinterland, la France se voyait cantonnée à jouer les utilités.


Mais, déjà, cette Europe qui tarde à trouver sa forme politique commence à regarder plus loin : vers l’Est et vers l’Asie Mineure.
Cependant, cette Europe qui s’est rapidement (trop?) tournée vers l’Est a échoué à définir sa forme politique adéquate. Après le Traité de Nice qui n’a aboutit qu’à un compromis aussi difficile qu’inefficace, l’Europe à vingt cinq a échoué à se doter d’une « constitution », même s’il est permis avec le recul de discuter du bien fondé du choix de ce terme. La France et les Pays-Bas l’ayant rejeté, et cela bien que 17 pays l’ont accepté, l’Europe politique se retrouve en panne, orpheline d’instances politiques de décisions pertinentes. Entre-temps, l’Europe s’est encore agrandie de 25 à 27 pour englober au 1er janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie. La Turquie piétine à la porte de l’Union Européenne, comme si tout d’un coup, celle-ci était prise de vertige à l’idée d’avoir une frontière commune avec l’Irak !

Cependant, et alors même que l’Union Européenne hésite à s’étendre au-delà du détroit du Bosphore vers l’Asie Mineure, l’Ukraine frappe à sa porte. Voici l’Europe « tirée » toujours plus loin vers l’Est. Jusqu’à englober la Russie ? Toute la question est là ! S’agit-il d’un rêve démesuré ou bien au contraire d’un projet lucide s’inscrivant dans le cadre d’une véritable realpolitik européenne ? Aux yeux de beaucoup, la Russie, comme pour d’autres la Turquie, ne fait pas partie des « limites naturelles » de l’Europe. Par leur taille autant que par leur culture et leur système politique, ces pays se trouvent rejetés à l’extérieur de l’Europe. Toutefois, cette analyse mérite d’être discutée. Nous nous bornerons ici à n’aborder que le cas de la Russie en réservant celui de la Turquie pour une autre chronique.


L’hypothèse d’un axe Paris / Berlin / Moscou commence à se faire jour dessinant la perspective d’une Très Grande Europe (TGE) de l’Atlantique à Vladivostok.
L’idée d’adjoindre la Russie à l’Union Européenne heurte le sens commun de nombreux observateurs pour au moins trois raisons. La première est « l’immensité » de l’espace russe. L’Union Européenne à 27 a déjà bien du mal à gérer l’intégration des nouveaux pays d’Europe de l’Est. Comment pourrait-elle s’imaginer l’intégration de près de 17 ou 18 millions de kilomètres carrés qui porterait sa frontière naturelle jusqu’à la Chine et jusqu’aux rivages du Pacifique. La deuxième raison tient à la « masse russe » : 150 millions d’habitants, une masse considérable et pauvre. Le même débat s’est posé en ce qui concerne la Turquie, pays de 70 millions d’habitants destinés à atteindre la barre des 90 millions dans vingt ans et dont le niveau de vie est très inférieur à celui des « pays pauvres » de l’Union Européenne ». La troisième raison tient à la nature de son régime politique. L’Etat russe relève d’une catégorie intermédiaire entre la démocratie parlementaire de type occidental et le « despotisme oriental » cher au penseur socialiste autrichien des années trente, Karl Wittfogel. La Russie de Wladimir Poutine est un régime politique hybride entre la démocratie et les régimes autoritaires.

Tous ces arguments ne sont pas faux et recèlent un incontestable  «noyau de vérité». Cependant, nous leur opposeront trois autres types d’arguments. Le premier est la nécessité pour l’Union Européenne de disposer d’une source sûre d’approvisionnement gazier et pétrolier. De ce point de vue, la Russie offre des perspectives de stabilité politique très supérieures à celle d’un Moyen-Orient déchiré par l’instabilité géo-stratégique du triangle Iran / Irak / Arabie Saoudite. Le second est démographique. La Russie traverse une crise démographique d’une ampleur souvent insoupçonnée. Les cent cinquante millions de russes d’aujourd’hui pourraient ne plus être que cent millions d’ici 2050. Comment feront-ils pour garder l’immensité de l’espace russe qui va de l’Oural aux rivages du Pacifique ? Comment résisteront-ils à la poussée de l’expansionnisme chinois qui a déjà commencé à faire sentir ses effets aux confins de la Sibérie ?
Le troisième est stratégique. Dans toute une série d’industries de pointe comme l’aéronautique, l’espace et l’énergie, l’Union Européenne ne pourra acquérir la taille critique mondiale qu’en s’alliant à la Russie. EADS en fournit un exemple particulièrement éclairant. Après le retrait anglais, l’intégration de la Russie paraît inévitable si le consortium européen veut continuer à rivaliser avec Boeing et, demain, avec son futur concurrent chinois, qui, à n’en pas douter, viendra s’immiscer dans ce face à face pour l’instant transatlantique et le transformer en joute planétaire.

Apparu fortuitement à l’occasion de l’opposition à la guerre en Irak, l’axe Paris / Berlin / Moscou se solidifiera demain autour de trois grands domaines : l’énergie, les technologies de « souveraineté » (Aéronautique, espace et armement) et la géo-stratégie. C’est par ce biais que la France et l’Allemagne retrouveront un rôle à leur mesure et qu’elles éviteront de laisser la Russie s’enfermer dans un nationalisme autoritaire obsidional, coincé entre la peur de l’occident, peur renforcée par l’activisme américain du gouvernement Bush sur les marches de l’empire russe, de l’Islam sur son flanc sud et de l’expansionnisme chinois à l’Est. Les consultants auraient tout intérêt à la constitution de ce nouvel axe Paris-Berlin-Moscou qui commencent à prôner des essayistes aussi divers que talentueux tels que Emmanuel Todd, Alexandre Adler ou bien encore Henry de Grossouvre : mise à niveau des entreprises russes dans le cadre d’un très grand marché européen, développement d’une politique énergétique européenne et d’une stratégie dans les industries de souveraineté. Précisions toutefois que cette expansion vers l’est de l’Europe ne devra pas obérer les liens de partenariat privilégié avec l’Europe méditerranéenne.

Affaire à suivre en ne perdant pas de vue ce que Bismarck disait des russes :

 « les russes attellent lentement mais voyagent vite ».


Yves - André Perez
Directeur de l’IDCE
Institut pour le Développement du Conseil en Entreprise.
Institut associé à l'UCO

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