Carnets de voyage
Juillet-août 2008 André
Dheyve
L'Affaire Courtenoy Salle d’audiences, quatorze heures cinq
Le Président, pourtant réputé pour son extrême ponctualité et pour ses vifs reproches envers ceux qui n’en font pas preuve avec la même rigueur, n’est pas en place. Pire, je me rends compte au bout de trois ou quatre minutes que l’avocat général et l’avocat de la défense font également défaut. L’attente dure, dans un chahut grandissant. A quatorze heures trente-quatre, le Président fait son entrée et annonce d’une voix mal assurée : — En raison d’un fait nouveau de première importance, les débats sont suspendus. Je ne suis pas en mesure de vous faire savoir actuellement quand ils reprendront. Restez à l’écoute des huissiers. Je suis désolé. Il doit l’être réellement. Rien de tel n’a jamais dû se produire au cours des procès qu’il a dirigés de main de maître. C’est la ruée vers les couloirs et vers les marches de l’imposant escalier extérieur. Les transmissions par GSM assurent en un jour le bénéfice trimestriel des opérateurs. Chacun tente de prévenir sa rédaction. Moi, j’essaie plutôt de trouver quelqu’un qui soit au courant. Quelqu’un qui puisse me documenter sur les raisons de ce coup de théâtre. Cela fait plus de trente ans que je hante les interminables couloirs du Palais de Justice. C’est bien simple, si on venait à en perdre les plans, je crois que je pourrais me montrer très utile pour les reconstituer. Je suis sûr d’y connaître des recoins oubliés de tous. Mon flair me guide vers les pièces les plus discrètes et je finis par en dénicher une où se tiennent deux avocats stagiaires de Maître Radenot qui assure la défense de Richard Courtenoy. Je dépasse l’entrée et me rends bruyamment au bout du couloir où je fais claquer la porte de sortie. Je reviens alors sur mes pas, silencieusement et en priant que personne ne s’aperçoive de mon manège. Je m’arrête près de la petite salle et tends l’oreille pour surprendre la conversation des deux jeunes gens. Au bout de dix minutes, j’en sais assez pour m’éloigner et téléphoner à mon boss. Le Vieux, – c’est son surnom dans la maison, bien qu’il n’ait que trois ans de plus que moi – décroche presque immédiatement. Il sait déjà qu’il y a du neuf au procès. — Oui, Dheyve ? — Monsieur, je voulais vous prévenir. Cela bouge très fort ici. — Je suis déjà au courant. Il y a eu un flash spécial à la radio. Vous avez appris quelque chose ? — J’ai espionné deux assistants de Radenot qui se tenaient à l’écart. Il leur semble que la cause soit entendue : il s’agirait finalement d’un suicide ! — Nom de Dieu. Et sur quoi basent-ils cette certitude ? — Aucune idée. Je n’ai surpris qu’une partie de leur conversation. Ils m’ont paru convaincus et donc ils doivent détenir une preuve, mais j’ignore laquelle. Vous comptez tirer une spéciale ? — Non, Dheyve. Ce n’est pas la peine. Tous nos concurrents détiennent la même information. Rien pour nous différencier. — Mais le suicide ? — Il nous donne une heure ou deux d’avance, pas plus. Nous ne gagnerons pas un lecteur avec cette information. Nos confrères sont également capables de faire mousser un titre. L’arrêt du procès suffira à intéresser le lectorat. — C’est vous qui décidez, Monsieur. Et si j’arrive à en apprendre plus sur la fameuse preuve ? — Nous doublerons le tirage demain. Comme je vous connais, je préviens l’imprimerie. >>>>> extrait n°3 Quantorg 2008
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