Carnets de voyage
Juillet-août 2008 André
Dheyve
L'Affaire Courtenoy Huit semaines plus tard Richard Courtenoy a été libéré. Le tribunal, après avoir ordonné des devoirs d’enquête complémentaires et s’être assuré de la fiabilité de la lettre, a conclu au suicide et acquitté le prévenu. Le Vieux me convoque dans son bureau. Il n’est pas seul. — Entrez Dheyve, me fait-il. Je vous présente Maître Duroyer, qui défend nos intérêts lorsqu’il y a lieu. Je serre la main de l’avocat que je connais de vue. Une pointure au civil. — Et nos intérêts sont en cause ? — Une tuile, mon cher André. Richard Courtenoy veut nous assigner en diffamation. — Ah bon ? Et sur quelles bases ? — Un de vos articles du début du procès, intervient l’homme de loi. Je tombe des nues. — Et il y a matière ? — Je crains que oui. Dans votre introduction, il y a une phrase où vous semblez tenir pour acquis qu’il est coupable. Moi qui suis un adepte inconditionnel des précautions oratoires quand rien n’est incontestable, je n’en reviens pas. Je m’enquiers : — Vous l’avez sous la main ? Le patron me le tend. Il a souligné une phrase. Je lis : « Ce lundi 9 janvier débute le procès de Richard Courtenoy, l’assassin d’Andréas Paszyk ». — Eh oui, Dheyve, me dit-il. Il manque « présumé ». — Notez, ajoute Maître Duroyer, que le reste de l’article est beaucoup moins catégorique. Mais pas assez pour lever le doute. C’est ce que l’adversaire utilise. Il prétend que vous avez ruiné sa réputation. — Vous croyez qu’il peut nous faire tomber pour si peu ? — Je l’ignore. Certains juges sont très remontés contre la presse. Dans le pire des cas, cela pourrait marcher. — Que réclame-t-il ? — Un million d’euros, pas moins. Il propose toutefois de transiger pour la moitié, pour éviter le tribunal. Je serais plutôt tenté d’accepter. — Pas trop vite, Monsieur. Essayons de gagner du temps. — C’est bien pour cela que j’ai appelé Maître Duroyer. Nous devons faire le point et soupeser les chances que nous avons de nous en tirer. Un procès nous causerait beaucoup de tort. — Pas si sûr, Monsieur, si je peux me permettre. Un journal, c’est un peu comme les hommes politiques : toute publicité a certaines retombées profitables, quand elle ne porte pas sur des malversations. — Une publicité à un million d’euros ! Vous y allez allégrement, Dheyve. On voit que l’argent ne sort pas de votre poche. — Je ne veux certainement pas empiéter sur vos prérogatives, mais je suis persuadé que le jeu en vaut la chandelle. Il sera aisé de démontrer qu’il n’y a eu qu’une distraction de ma part. Notre passé plaide pour nous. Maître Duroyer abonde dans mon sens. Un procès ferait mieux ses affaires qu’une transaction. — Monsieur Dheyve a raison. Transiger exige d’aller vite et vous n’arriverez pas à gagner beaucoup de temps. Les lenteurs légendaires de la Justice nous offrent de meilleures possibilités. Sans compter que je peux faire traîner les choses. Le boss se tait et paraît absorbé dans d’inextricables cogitations. Puis il reprend : — Ne décidons rien pour l’instant. Que devons-nous examiner? — Dans un premier temps, il importe de nous renseigner sur les démarches de Courtenoy. Peut-être ne sommes-nous pas les seuls visés. — A ma connaissance, reprend Maître Duroyer, notre ami attaque également l’Etat. Il veut des indemnités pour sa préventive indue. — Nous ne devons pas espérer grande aide de ce côté-là, soupire le Vieux. — Qui sait, dis-je à mon tour ? L’Etat a pour principe de tout tenter pour s’en sortir, si l’on en juge à sa propension à épuiser tous les recours judiciaires avant d’abdiquer. Les juges d’instruction font partie de son personnel. Il acceptera peut-être d’en laisser un fouiner encore un peu, si nous parvenons à lui faire comprendre qu’il y va de son intérêt. — Allons donc ! L’affaire est close. L’erreur est entérinée. — Sauf si la lettre est un faux ! — L’expert et le contre-expert sont formels. Elle est bien de la main de Paszyk. — Admettons ! Vous avouerez que sa réapparition près de huit mois après les faits a de quoi étonner. Il y a quelque chose qui cloche ! — Dheyve, ne prenez pas vos désirs pour des réalités. Vous avez suivi le procès et ses prolongations. La production tardive du message a reçu une explication plausible. — Plausible est le mot. Elle n’implique aucune certitude. Moi, je l’ai personnellement toujours trouvée bancale. Et je continue à le croire. — Si notre politique est de gagner du temps, intervient à nouveau l’avocat du journal, rien n’empêche Monsieur Dheyve de faire des recherches de ce côté. Il a démontré dans un passé récent qu’il en était capable. — Mon avis va dans le même sens. L’enjeu est trop important pour ne pas tenter de lutter. André, vous avez carte blanche. Maître Duroyer et moi-même tirons les négociations en longueur, les faisons capoter à la dernière minute et comptons sur l’engorgement des tribunaux civils pour reporter un éventuel procès à plus tard. Vous, vous faîtes une enquête. Il y a un peu plus de trente-deux ans que je pratique le Vieux. Je le vois imaginant son employé prouvant que la thèse du crime était la bonne. Je le vois surtout comptant et recomptant les recettes qu’un tel retournement de situation procurerait à son cher quotidien, l’amour de sa vie. Quantorg 2008
ConsultingNewsLine Extraits de l'Affaire Courtenoy : Copyright André Dheyve 2007 Editions Publibook All rights reserved Reproduction interdite |
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