Carnets de voyage
Juillet-août 2008 André
Dheyve
L'Affaire Courtenoy Le soir, à la maison, il ne faut pas dix secondes à Eveline pour se rendre compte de mon état d’esprit. — Tu as une tuile, mon Loulou ? Jamais elle ne m’appelle ainsi. Elle doit subodorer la gravité de ce qui m’arrive. — Et une fameuse ! Un procès en diffamation. — Toi, personnellement ? Je ne sais pas pourquoi, sa réflexion me fait sourire. Il est vrai que la situation aurait pu être pire. — Non, rassure-toi. Je suis le fautif, mais c’est le journal qui va être assigné. — J’aime mieux cela. — Moi aussi, franchement. N’empêche que je me sens coupable. Ma foutue aversion du collationnement. Si j’avais le courage de relire mes écrits, rien ne serait arrivé. — Détends-toi. Prends un apéritif et raconte-moi tout. Elle me sert un verre de Riesling. Il nous en restait de la choucroute de dimanche. Je lui expose ma bévue. Elle m’écoute religieusement sans m’interrompre. Quand j’en ai terminé, elle vient s’asseoir sur l’accoudoir de mon fauteuil, me passe amoureusement la main dans les cheveux, et s’exclame : — Mais tu n’y peux rien. Personne ne peut être à tout moment totalement concentré. Tes articles ont couvert des procès pendant plus de trente ans et tu ne t’es jamais laissé aller à mettre à mal la présomption d’innocence. C’est prouvable. — Bien sûr. Et le Vieux l’admet aussi. Mais ce n’est pas le problème de Courtenoy. Il nous tient. Il peut invoquer une atteinte à son honneur, même si elle procède d’une négligence et non d’une volonté délibérée. — Que comptes-tu faire ? — Je n’ai pas encore de plan de bataille. C’est trop frais. Je n’ai eu jusqu’à présent que deux malheureuses idées. Je vais d’abord tâcher de découvrir si certains confrères font l’objet d’attaques similaires. Le contraire me surprendrait. Il y en a qui ne font pas dans la dentelle. — Et ensuite ? — Je pense me préoccuper de la lettre d’adieu. — Je croyais qu’on en avait tout dit. — Son authenticité paraît établie. Je n’imagine pas pouvoir la contester. Ce qui me chiffonne, ce qui m’a dérangé depuis son apparition, ce sont précisément les circonstances dans lesquelles elle est apparue. — Je me souviens que tu m’avais touché un mot de ton scepticisme. J’en ai oublié le motif. — Bon. Dans la majorité des cas, on trouve le mot d’adieu des suicidés près de leur corps. Ou chez eux, s’ils décident de se donner la mort ailleurs ou d’une façon qui risque d’entraîner la disparition du corps. Paszyk l’a envoyé à son neveu. La veille ou le jour même de son geste fatal. C’est inhabituel. — Je me rappelle. Et comment cette lettre n’a-t-elle resurgi qu’au procès ? — Un concours de circonstances, tout aussi étrange. La victime l’adresse à son unique parent en vie, un neveu avec lequel il s’entend bien mais qu’il ne voit pas souvent. Ce garçon, qui est décorateur, est également passionné de voile et a pris un congé sabbatique pour faire le tour du monde en bateau. — Ah oui. Et il a fallu le prévenir par radio de la mort de son oncle. — Tout juste. Il était à Valparaiso, pour une petite réparation. Il a pris l’avion pour les funérailles, la visite au notaire, et il est reparti illico terminer son périple. Qui, par un curieux hasard, l’a ramené ici exactement le deuxième jour du procès. — Quand a eu lieu l’enterrement d’Andréas Paszyk ? — Il faudra que je vérifie. Après l’autopsie de toute façon. Je dirais dans la semaine du vingt-trois mai. — Ce qui laissait à la lettre d’adieu presque deux semaines pour lui parvenir. — Exact. Pourtant, il prétend ne l’avoir trouvée qu’à son retour en janvier dernier. Je ne vois pas pourquoi il mentirait. Il s’est comporté en citoyen exemplaire. — Ce délai t’intrigue, n’est-ce pas ? — Et comment ! Je vais bosser là-dessus. >>>>> extrait n°7 Quantorg 2008
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