Carnets de voyage
Juillet-août 2007
Le Dossier Pouchkine
Rolex
par Jean-François Pré


Pour une fois, je me suis « mouillé » au Derby. C’est
jour de fête, non ? J’ai investi environ cinq cents euros,
toutes combinaisons confondues et j’ai invité mon pote
Roland à venir suivre mes chevaux sur Equisport, chez
moi. Un appart de célibataire avec tout le capharnaüm que
vous pouvez imaginer… Sûr qu’on aurait été beaucoup
mieux dans le confort douillet du BON, mais ça me permettra
de peaufiner mon article entre deux courses. Et puis
Roland, lui, il s’en fout. Il est plutôt du genre bohème.
Roland Vendôme est d’un an mon aîné. Il travaille avec
moi au Citoyen. Nous ne sommes que deux pour animer la
rubrique hippique ; c’est lui mon chef. Enfin, le responsable
du service. Le Citoyen est un petit journal populaire
qui ne marche pas mal. Il ne penche ni à gauche ni à
droite ; il s’occupe des petites gens et de leurs petits problèmes.
Pas de grands courants d’idées, pas de nobles
idéaux… chez nous, c’est la vie au quotidien, le prix de la
baguette et du kilowatt.
A la rubrique, on nous fiche une paix royale. Sauf évidemment
quand un Vassili Pouchkine se prend d’un
amour fou pour le cheval. Là, on se souvient de notre existence
et l’on nous colle un papier à rendre dans les vingtquatre
heures. Le reste du temps, nous vivons dans la plus
parfaite autarcie, sans aucune surveillance. Du moment
que la copie arrive en temps et en heure… Les patrons de
presse se conduisent un peu comme l’état : ils empochent
l’argent des courses tout en ignorant pudiquement sa provenance.
Garder les mains propres, tel est leur credo ! On
laisse le (sale) boulot à de soi-disant spécialistes qui peuvent
écrire ou raconter n’importe quoi, on s’en fout
royalement. Du moment qu’ils font tourner la boutique. Et
au Citoyen, la boutique tourne rudement bien. Evidemment,
la rubrique hippique est un mouroir de première
classe. Aucun espoir de promotion ! La voie de garage, le
point de non retour, l’étiquette réductrice du petit tuyauteur…
c’est à peine si l’on mérite une carte de journaliste.
D’ailleurs, les grands journaux – dits d’opinion – n’ont pas
de rubrique hippique. Au Citoyen, on ne donne pas
d’opinion (ou si peu) mais on sait faire les comptes. Le
lecteur a besoin d’opium, on lui en fournit…

Roland Vendôme a un surnom : Rolex. Vendôme, les
joailliers, Roland… Rolex, vous avez compris ?
La place Vendôme est restée ce qu’elle était ; un petit bijou
en plein cœur du Quartier Français. Celui-ci englobe les Ier et
VIIIème arrondissements sur la rive droite, plus le VIème et
le VIIème de l’autre côté du fleuve Seine. Oh, ce n’est pas
que les autres arrondissements aient véritablement changé
(à l’exception du XVIème), mais on ne s’y sent plus tellement
chez soi. Parfois, on a même du mal à s’imaginer
que Paris fut le miroir de la culture française. Mais je vous
rassure… il n’existe pas encore de Check point Charlie à
l’entrée du QF !
L’hippodrome d’Auteuil-Longchamp est le seul espace
vert qui ait pu être sauvé à l’ouest de la capitale. Autant
vous dire que le prix du mètre carré dans l’ex-très bourgeois
XVIème a chuté plus vite que les arbres sous la
pression des bulldozers. Feu le Bois de Boulogne est devenu
une zone de non droit où plus personne n’ose flâner,
même en plein jour. Tous les riverains qui en avaient les
moyens se sont enfuis vers le QF. Les autres vivent dans
une abominable promiscuité.
Rolex porte bien son sobriquet. C’est un solide gaillard
d’un mètre quatre-vingt-douze, très brun avec un système
pileux extrêmement développé. On imagine aisément le
fameux bracelet en or autour de son poignet velu...

Ah, le fameux sourire Rolex… Difficile d’y résister.
— Tu as peut-être tort.
— Peut-être ou peut-être pas.
Je sens qu’il va se passer
quelque chose aujourd’hui.
— Moi aussi. Allez, tope-là ! Tu me dois 250 euros.
Nos mains claquent, le pacte est scellé.
Dans la première, je n’ai joué qu’un cheval. C’est un
maiden, une course apparemment facile. Rolex se met à
hurler devant l’écran comme si sa vie en dépendait. Notre
cheval se détache et gagne dans un canter.
— T’emballe pas Roro, lui dis-je, c’est le grand favori.
Tout le monde est dessus.
Je sais, pleurniche-t-il, mais je n’y peux rien. Dès que
je commence à mettre des ronds sur un cheval, je suis en
transe !

Jean-François Pré
Le dossier Pouchkine
Editions Publibook, Paris 2007

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