Carnets de voyage
Juillet-août 2007 Le
Dossier Pouchkine
Derby et stratégie par Jean-François Pré Au Derby, il faut être économe dans les courses que l’on « sent » bien, pour ensuite élargir au maximum son jeu dans celles où aucun concurrent ne se détache. Certes, plus on désigne de chevaux plus on a de chances de tomber sur le gagnant… mais plus le prix de la combinaison est élevé ! On ne peut s’offrir le luxe de l’hésitation qu’à deux ou trois reprises. Le reste du temps, la chevrotine est interdite ; on a droit à une seule balle et il faut la mettre dans le mille. Les deux courses qui suivent sont des handicaps de vingt partants. De vraies bouteilles à encre ! Dans chaque épreuve, j’ai choisi cinq chevaux et le gagnant se trouve dans mes filets. La chance a voulu que ce fût deux concurrents à plus de 40/1. Rolex est dans un état second. — On est seuls au monde… on est seuls au monde, Fléo ! C’est vrai qu’il est difficile de garder son sang-froid en de telles circonstances. D’une voix rauque, j’essaye de tempérer son enthousiasme. — T’emballe pas, rien n’est fait ! A quatre, on n’a droit à rien… pas même aux félicitations du caissier. — Le plus dur est passé, roucoule-t-il d’un timbre suraigu. J’ai fait le papier des trois dernières, c’est du béton. Il ne peut plus rien nous arriver ! Rolex se frotte les mains, couinant comme une jument en chaleur. J’aurais presque envie de rire si la tension n’était à son comble. La cinq et la six se déroulent comme prévu. Enfin… tel que l’auteur de ces lignes l’a prédit. Un favori quasiment imbattable qui remplit son contrat (c’est pourtant rare à Deauville) et un "réclamer" sans grande surprise, mettant en présence des chevaux de valeur inégale. Six sur sept. Quoiqu’il advienne, nous toucherons un coquet bonus… mais dans une poignée de secondes, ce sera peut-être le triomphe absolu. Je commence à y croire. La « der » n’est pas ce qu’on appelle une course facile ; j’ai toutefois pris mes précautions. Six numéros figurent sur mon bordereau… dont j’ai délibérément exclu le grandissime favori. Statistiquement, dans ce genre de confrontations (handicaps pour chevaux d’âge modeste) à Deauville, l’élu de la cote ne gagne qu’une fois sur dix. Il ne nous reste plus à espérer que ce ne sera pas cette fois-là. Les derniers concurrents pénètrent dans les boîtes de départ. Rolex transpire à grosses gouttes. Moi aussi, j’ai le front moite. "Sous les ordres… parti !" Je booste la sono à fond. L’écran a beau être géant et les images numériques, je n’y vois rien. Les yeux complètement embués. A peine ai-je eu le temps de m’essuyer les paupières que les chevaux sont arrivés. Le silence de Rolex est inquiétant. Moi, je ne sais même plus où j’habite. "Photo générale." Rolex m’interroge du regard. Il semble aussi paumé que moi. — Tu crois qu’on est dans le coup ? lui demandé-je du bout des lèvres. — J’sais pas. Il me semble qu’on en a un ou deux à la photo. Le commentateur d’Equisport vient à la rescousse. Il annonce une arrivée très serrée et confirme, effectivement, que deux des nôtres figurent parmi les postulants à la victoire. Apparaît ensuite le ralenti de l’arrivée qui surajoute à notre confusion… puis la photo numérique. — Putain de bordel de merde ! lâche Rolex. Trois mots et tout un château d’espoirs qui s’écroule. Le nez du favori, qui touche la ligne blanche matérialisant l’arrivée, est plus long que celui de mes deux toquards. Un quart de millimètre… un poil de barbichette, comme disaient les chroniqueurs d’antan. A quoi cela tient-il ! La fortune nous a frôlés d’un quart de millimètre… et c’est le favori qui nous l’a volée. — Celui qui, soi-disant, ne gagne jamais la der à Deauville, ironise Rolex. — C’est ce que disent les statistiques. — Tu sais où tu peux te les mettre tes statistiques… Devant cet accès de vulgarité, j’essaye de m’en sortir par un mot d’esprit. — Les statistiques, c’est comme la minijupe… ça montre tout, sauf l’essentiel ! Rolex me lance un regard noir. — Ça te fait rire ? — Bof… Lorsque ses grands yeux sombres se plissent, il aurait presque l’air méchant. Jean-François Pré Le dossier Pouchkine Editions Publibook, Paris 2007 Copyright Jean-François Pré 2007 pour ConsultingNewsLine Extraits du Dossier Pouchkine : Courtoisie de l'auteur et des Editions Publibook All rights reserved Reproduction interdite |
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