Carnets de voyage
Juillet-août 2007 Le
Dossier Pouchkine
Ecurie Barois par Jean-François Pré L’écurie
Barrois se situe en bordure du terrain des Aigles.
Gigantesque clairière de gazon manucuré, soigneusement "vaporisé" par les services d’entretien de France Galop, afin que l’herbe conserve la souplesse molletonnée requise par les jambes des pur-sang. La "ronde" des Aigles est ceinte d’une couronne de sable finement peigné. Pour les exercices d’entretien que l’on appelle canters. Les galops poussés, eux, se déroulent sur le turf. Eh oui, la culture anglo-saxonne a beau être en déliquescence, le jargon hippique en a gardé quelques sédiments ! Prospère Barrois occupe un établissement ultramoderne où tout est automatisé. Cela paraît un peu bizarre de le dire aujourd’hui, mais le monde du cheval est resté très artisanal. Certaines écuries vivent encore comme au temps de Saint-Martin (ce n’est pas un martyre du Christianisme mais un grand jockey du siècle dernier). Bref, le personnel, pourtant très nombreux, ne s’occupe que du cheval… je veux dire : que du cheval pour le cheval. Toutes les corvées diverses (eau, nourriture et même pansage) sont robotisées. L’homme travaille principalement sur la psychologie de l’animal, notion introduite par la nouvelle génération des entraîneurs éthologues dont Barrois est le chef de file. Ce dernier refuse de faire monter ses chevaux par des robots d’entraînement, comme cela se pratique aujourd’hui dans la plupart des écuries. La main-d’œuvre est de plus en plus chère, mais peu importe ! Les propriétaires de Prospère Barrois ont les moyens d’offrir un cinq étoiles grand luxe à leurs chevaux. Selon la loi, un employé ne peut travailler plus de trente heures par semaine, mais comme la main de l’homme n’intervient pratiquement plus dans aucun domaine, le nombre exponentiel des oisifs commence à inquiéter les sociologues qui ont l’oreille des politiques. Comme il faut bien que les actifs payent pour les autres, ceux-ci sont criblés de charges en tout genre. De surcroît, celui qui travaille aujourd’hui appartient à une espèce rare. Par conséquent, il exige un salaire en adéquation avec la rareté de la tâche. Tout cela pour vous dire qu’en matière d’entraînement, Barrois représente le nec plus ultra. Ma chance, à moi, c’est de bien le connaître… mais surtout d’en être apprécié car le jeune professionnel déteste les journalistes. Et la presse hippique en particulier : "Un ramassis de joueurs qui ne connaissent rien aux chevaux !" Lorsqu’il décrit ainsi la majorité de mes confrères (dont j’ai la faiblesse de m’exclure), je fais la sourde oreille. Je n’aime pas cracher dans la soupe et Prospère a horreur qu’on le contredise. A quelques mois près, nous avons le même âge. Cela se voit, non ? Prospère et Fléance… prénoms fin de siècle. Lorsque le Moyen-Âge est revenu à la mode, nos parents nous ont donnés des prénoms de héros shakespeariens. Dieu merci, ils ont évité les plus connus ; Hamlet Morgane… vous voyez un peu le tableau ! Prospère et moi nous sommes connus parce qu’au lycée, je courtisais sa sœur, Ophélie. Ce fut mon premier flirt et son frère, mon premier vrai pote. C’est rare que le frère de la copine ne vous traite pas en parasite mais Ophélie était l’aînée (deux ans de plus que nous deux) et à l’époque, le petit Barrois ne bronchait pas. Je l’aimais bien, Ophélie. C’était un peu ma grande sœur, à moi aussi. Oh, nous n’avons pas été très loin dans l’exploration intime de nos anatomies respectives (et respectueuses), mais j’ai le sentiment d’avoir beaucoup appris à son contact. La réciproque ne doit pas être vraie car Ophélie m’a largué à la première occasion. Aujourd’hui, elle est mariée (pas à celui qui m’a succédé, ni même au suivant d’ailleurs…) avec quatre enfants et vingt kilos de plus. Moi, je n’aurais jamais pu lui faire tout ça ! Prospère, lui, est resté un ami fidèle… quoique manifestant une certaine défiance à mon endroit, eu égard au métier que j’exerce. Mais ça s’arrête là. Effectivement, il y en a qui paieraient très cher – mais vraiment très cher – pour être à ma place en ce moment. — Tu te glisses dans un coin, m’a-t-il dit, tu ne fais pas de bruit et surtout… pas de photographes ou de caméras planqués dans un arbre, c’est bien compris ? Jean-François Pré Le dossier Pouchkine Editions Publibook, Paris 2007 Copyright Jean-François Pré 2007 pour ConsultingNewsLine Extraits du Dossier Pouchkine : Courtoisie de l'auteur et des Editions Publibook All rights reserved Reproduction interdite |
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